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Commentaires sur l’Analysis Situs

Le premier mémoire sur l’Analysis Situs est l’œuvre d’un mathématicien en pleine maturité qui jette un regard sur sa propre trajectoire scientifique. Il cherche à unifier son approche et tente de mettre en évidence les caractéristiques communes aux problèmes qu’il a rencontrés. Son but n’est pas de résoudre tel ou tel problème, comme il a pu le faire souvent dans le passé. Il s’agit de poser les fondements d’une nouvelle science, que nous appelons aujourd’hui la topologie algébrique. Cette science sera utile dans un très grand nombre de situations, allant de la théorie des nombres à la physique mathématique. Ce mémoire est à l’évidence un chef d’œuvre de Maître.

L’introduction de ce premier mémoire est exemplaire à plus d’un titre. Nous lui consacrons un long commentaire.

La notion de variété

Les paragraphes 1, 2, 3 et 4 sont consacrés à introduire la notion de « variété ».

Dans le paragraphe 1, Poincaré donne une première définition des variétés, plus restrictive que la notion moderne : seules les sous-variétés de $\mathbb{R}^n$ définies globalement comme pré-image d’une valeur régulière d’une application entrent dans le cadre de cette définition. Poincaré introduit également une notion de « frontière complète » d’une variété, qui, hélas, soulève de nombreux problèmes.

Dans le paragraphe 2, Poincaré introduit une notion d’équivalence entre les variétés : être homéomorphe (aujourd’hui, on dirait « difféomorphe »).

Dans le paragraphe 3, Poincaré donne une deuxième définition des variétés qui correspond plus ou moins à la notion moderne de sous-variété de $\mathbb{R}^n$ (cette définition ne résout cependant pas les problème posés par la notion de « frontière complète » des variétés).

Contrairement aux variétés de la première définition, celles de le deuxième définition peuvent ne pas être orientables, comme Poincaré l’expliquera plus loin. Dans le paragraphe 4, Poincaré discute de la notion d’orientation.

(Co-)homologie

Les paragraphes 5, 6 et 7 sont révolutionnaires, Poincaré y introduit l’homologie, les nombres de Betti et un embryon de cohomologie de de Rham.

Dans le, pourtant bref, paragraphe 5, Poincaré crée une science nouvelle en introduisant le concept d’homologie. Les définitions de Poincaré dans ce paragraphe prêtent les flancs à de nombreuses critiques... mais elles sont à l’origine de tout un pan des mathématiques du XXème siècle !

Dans le paragraphe 6, Poincaré définit les nombres de Betti.

Dans le paragraphe 7, Poincaré explique le lien entre les nombres de Betti d’un ouvert de l’espace $\mathbb{R}^n$ et le calcul des intégrales multiples sur cet ouvert. Avec le recul temporel, on y voit la source de la cohomologie de De Rham.

Intersection et dualité

Les paragraphes 8 et 9 visent à développer une première théorie de l’intersection.

Dans le paragraphe 8, Poincaré commence par revenir sur la notion d’orientation, pour remarquer qu’il existe des variétés orientables et des variétés non-orientables.

Dans le paragraphe 9, Poincaré tente de définir une théorie de l’intersection compatible avec sa théorie de l’homologie. Il en profite pour donner une première « démonstration » de la célèbre « dualité de Poincaré ».

Exemples de variétés de dimension 3

Les paragraphes 10 et 11 proposent deux manières de construire des variétés ; il considère principalement des exemples de dimension 3.

Dans le paragraphe 10, Poincaré généralise une pratique bien acceptée dans le cas des surfaces, consistant à construire une variété à partir d’un polyèdre en identifiant ses faces deux pas deux.

Dans le paragraphe 11, Poincaré propose de construire des variétés comme quotients de l’espace ordinaire par l’action propre et discontinue d’un groupe discret de transformations.

Groupe fondamental

Les paragraphes 12 et 13 sont encore révolutionnaires, Poincaré y introduit le groupe fondamental.

Dans le paragraphe 12, Poincaré introduit d’abord le groupe fondamental comme groupe de monodromie.

Dans le paragraphe 13, Poincaré identifie le groupe fondamental à un groupe de lacets modulo « équivalences fondamentales ».

Autres exemples de variétés

Dans les paragraphes 14 et 15 Poincaré considère à nouveau des exemples.

Dans le paragraphe 14, Poincaré classifie en particulier les suspensions du tore.

Dans le paragraphe 15, Poincaré propose de nouveaux exemples de variétés.

Formule d’Euler—Poincaré

Les paragraphes 16, 17 et 18, qui concluent l’Analysis Situs, sont consacrés à une généralisation de la formule d’Euler pour toutes les variétés compactes sans bord.

Dans le paragraphe 16, Poincaré montre que, si $V$ est une variété compacte sans bord de dimension $p$ munie d’une décomposition cellulaire (ce que Poincaré appelle un polyèdre à $p$ dimensions), et si $\alpha_k$ désigne le nombre de cellules de dimension $k$ dans cette décomposition, alors le nombre

$$\chi(V) = \alpha_0 - \alpha_1 + \cdots + (-1)^p \alpha_p$$

ne dépend pas du choix de la décomposition cellulaire. C’est ce nombre qu’on appelle la caractéristique d’Euler de $V$. Notons que Poincaré travaille plutôt avec le nombre

$$\alpha_p - \alpha_{p-1} + \cdots + (-1)^p \alpha_0$$

qui s’avère être égal à $\chi(V)$ lorsque $V$ est une variété compacte et sans bord, mais qui en diffère en général lorsque le bord est non-vide.

Dans le paragraphe 17, Poincaré montre que la caractéristique d’Euler d’une variété compacte sans bord de dimension impaire est nulle. Comme il le remarque lui-même dans le paragraphe suivant, cela peut aussi se déduire de la formule d’Euler—Poincaré et de la dualité de Poincaré.

Enfin, dans le paragraphe 18, Poincaré énonce la formule d’Euler—Poincaré et ébauche une preuve en dimension $3$. Cette preuve contient en germe la construction de l’homologie polyédrale, que Poincaré développera dans le premier complément.