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Groupe fondamental

Le « groupe fondamental  » d’un espace topologique est en effet fondamental en mathématiques, même en dehors de la topologie algébrique.

Pour chaque espace topologique $X$, et pour chaque choix d’un point $x\in X$, Poincaré définit un groupe qui est noté aujourd’hui $\pi_1(X,x)$. Cette association est fonctorielle dans le sens qu’à chaque application continue $f : X \to Y$ envoyant $x$ sur $y$ correspond un homomorphisme de groupes $f_*:\pi_1(X,x)\to \pi_1(Y,y)$ de manière compatible avec les compositions. Il s’agit d’un exemple typique de la démarche dont procède la topologie algébrique : on associe quelque chose d’algébrique à quelque chose de topologique.

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D’une certaine façon, on pense que les objets algébriques sont plus faciles à comprendre que les objets topologiques, et on espère qu’une première approche d’un problème topologique passera par le problème algébrique qui lui est associé. Cette méthode fonctionne souvent, mais pas toujours. On peut montrer que tout groupe abstrait est le groupe fondamental d’un certain espace topologique, mais il faut bien prendre garde au fait que deux espaces topologiques, même deux variétés, et même deux variétés de dimension 3, peuvent avoir des groupes fondamentaux isomorphes sans être pour autant homéomorphes. La topologie est plus compliquée que l’algèbre ! L’algèbre n’en est pas pour autant « facile ». Par exemple, on peut montrer qu’il n’existe pas d’algorithme qui permette de décider si deux groupes de présentations finies (nombres finis de générateurs et de relateurs) sont isomorphes. Si on ajoute que tout groupe de présentation finie est le groupe fondamental d’une certaine variété compacte de dimension 4, on comprend par là qu’il est illusoire de vouloir classer les variétés de dimension 4. Ce dernier résultat aurait certainement perturbé Poincaré. Le groupe fondamental est certes fondamental mais il ne dit pas tout.

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Poincaré perturbé...

Comme on le sait, le concept de groupe a subi beaucoup de modifications au cours du temps. Initialement, il s’agissait de groupes de permutations avant que l’idée de groupe abstrait — un ensemble muni d’une composition satisfaisant quelques axiomes — ne prenne le dessus. Un groupe de permutations n’est plus alors qu’une représentation concrète d’un groupe abstrait. Aujourd’hui, on manipule plus volontiers des groupes abstraits… mais ce n’était pas le cas du temps de Poincaré.

On peut aborder l’étude du groupe fondamental de deux manières. Certains lecteurs préféreront commencer par la première et d’autres par la seconde. Quel que soit le choix, il est important de connaître les deux approches. D’ailleurs, la présentation originale de Poincaré naviguait en permanence entre les deux points de vue.

La première est celle qu’on trouve le plus souvent dans les livres. Il s’agit d’associer un groupe abstrait — un ensemble d’éléments et une loi de composition — à un espace topologique $X$ et un point $x$ de $X$. Les éléments sont les classes d’homotopie de lacets issus du point base $x$ et la composition consiste à mettre bout à bout les lacets. Cette approche est décrite en détail dans la partie :

La seconde est plus abstraite. Il s’agit ici de faire jouer au groupe fondamental un rôle analogue à celui du groupe de Galois d’une extension de corps : un groupe de symétries d’un certain objet universel canoniquement associé à l’espace topologique. Le concept de base est celui de revêtement, qui formalise l’idée un peu vague de fonction multiforme dans laquelle un point peut avoir plusieurs images. Poincaré a intuitivement l’idée qu’un espace possède une fonction multiforme « la plus générale ». Par exemple, sur le cercle $\mathbb R / 2 \pi \mathbb Z$, la « fonction angle » est multiforme : elle n’est définie que modulo $2 \pi$ et il est intuitif que toute fonction multiforme sur le cercle est en fait une fonction uniforme (i.e. une vraie fonction au sens moderne) de cette fonction angle. En termes modernes, on montre que tout espace (raisonnable) possède un revêtement « universel », i.e. tel que tous les autres en soit des quotients. Le groupe fondamental de l’espace de départ est alors défini comme le groupe d’automorphismes de ce revêtement universel. Cette approche est décrite en détail dans la partie :

Le lecteur est encouragé à exploiter la « non linéarité » de ce site pour étudier en même temps les exemples que nous proposons. Les deux définitions du groupe fondamental seront plus digestes lorsque le lecteur aura quelques exemples en tête.

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Une fois les définitions du groupe assimilées, il s’agit d’être capable de calculer ce groupe.

L’approche par les lacets est utile lorsque l’espace considéré est construit par « recollement » de morceaux. Le théorème de Van Kampen (que Poincaré utilise déjà implicitement) permet de calculer le groupe fondamental de l’espace entier à partir des groupes fondamentaux des morceaux et de la manière dont ils sont recollés.

Typiquement, le résultat du théorème est une présentation du groupe : il fournit des générateurs et explicite des relations entre ces générateurs. En dimension 3, une décomposition de Heegaard d’une variété fermée $X$ permet par exemple le calcul d’une présentation du groupe fondamental de $X$. C’est bien, c’est souvent utile. Cela permet par exemple à Poincaré de construire sa célèbre sphère d’homologie, et de prouver ainsi que la topologie d’une variété ne saurait être caractérisée par ses seuls groupes d’homologie. Mais c’est parfois bien loin d’être suffisant... Ainsi, comme rappelé plus haut, il n’existe pas d’algorithme qui permette de décider si deux groupes de présentations finies sont isomorphes. Pire encore : il n’existe pas d’algorithme qui décide si une présentation définit un groupe trivial. C’était d’ailleurs l’un des obstacles pour aborder la conjecture de Poincaré : la sphère de dimension 3 est-elle la seule variété fermée de dimension 3 dont le groupe fondamental est trivial ? Pour ce problème, une présentation à la Heegaard est de peu d’utilité.

L’approche par les revêtements est parfois plus simple. Bien souvent, l’espace $X$ qui nous intéresse est « évidemment » le quotient d’un espace très simple $E$, dont le groupe fondamental est « évidemment » trivial (par exemple, $E=\mathbb{R}^n$), par un groupe de transformations $\Gamma$. Ce groupe $\Gamma$ est alors le groupe fondamental de l’espace $X$. Avant même de définir le groupe fondamental, Poincaré commence par décrire une famille d’exemples de variétés de dimension 3 : les fibrés en tores sur le cercle. Il parvient à classer ces variétés à homéomorphisme près grâce à l’introduction d’un groupe, qui est évidemment leur groupe fondamental (dans la deuxième approche). Ce n’est que dans le paragraphe suivant que, en se fondant sur ces exemples particuliers, il généralise et définit le groupe.

Les lecteurs intéressés découvriront dans cet article les étapes successives qui ont conduit Poincaré à « l’invention » du groupe fondamental. On y retrouve l’oscillation entre les deux points de vue évoqués ci-dessus : celui des lacets et celui des revêtements.

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Finalement, l’indice 1 de la notation $\pi_1(X)$ suggère qu’il existe des groupes $\pi_i(X)$ avec $i\geq 1$. C’est en effet le cas. Poincaré ne les connaissait pas, mais nous leur consacrons une dernière rubrique :