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§ 18. Deuxième démonstration

La deuxième démonstration va nous apprendre comment il en dépend [1].

Pour bien le faire comprendre, je vais d’abord l’exposer pour les polyèdres ordinaires avec $\alpha_0$ sommets, $\alpha_1$ arêtes et $\alpha_2$ faces.

A chacun des $\alpha_0$ sommets, je fais correspondre un nombre arbitraire ; à chacune des $\alpha_1$ arêtes, je fais correspondre un nombre $\delta$ égal à la différence des nombres correspondant à ses deux sommets.

Nous aurons ainsi $\alpha_1$ différences $\delta$ ; mais elles ne pourront pas toutes être choisies arbitrairement ; en effet, elles seront déterminées, quand on connaîtra les $\alpha_0$ nombres affectés aux divers sommets et même quand on connaîtra les excès de $\alpha_0-1$ de ces nombres sur le dernier. Il y aura donc en tout $\alpha_0-1$ différences $\delta$, qui pourront être choisies arbitrairement.

Il doit donc y avoir entre les différences $\delta$

$$ \alpha_1 - \alpha_0 +1$$

relations linéaires.

Il est clair que l’on pourra obtenir toutes ces relations linéaires de la manière suivante : Considérons une suite d’arêtes formant un contour fermé ; la somme algébrique des différences $\delta$ relatives aux diverses arêtes de cette suite devra être nulle.

Cherchons donc à construire des contours fermés formés d’arêtes.

Nous avons d’abord les contours polygonaux de chaque face ; ils sont au nombre de $\alpha_2$.

Si ensuite le polyèdre n’est pas simplement connexe, nous pourrons tracer à sa surface $P_1-1$ contours fermés linéairement indépendants au sens donné à ce mot dans le paragraphe sur les homologies. Soit $C$ l’un de ces contours, il traversera successivement différentes faces ; soient $a_1a_2, \ a_2a_3, \ \ldots, \ a_{n-1}a_n, \ a_na_1$ les arcs de ce contour, qui sont dans chacune de ces faces.

Prenons le premier de ces arcs $a_1a_2$ et $F$ la face correspondante.

Le point $a_1$ et le point $a_2$ sont sur le périmètre de cette face ; nous pouvons alors aller de $a_1$ en $a_2$ en suivant ce périmètre par un chemin que j’appellerai $a_1m_1a_2$. Nous aurons alors

$$ a_1m_1a_2+a_2a_1 \sim 0,$$

c’est-à-dire que, dans le contour $C$, on peut remplacer l’arc $a_1a_2$ par l’arc $a_1m_1a_2$ ; opérons de même pour les autres arcs de $C$ ; nous aurons finalement remplacé $C$ par le contour homologue

$$ a_1m_1a_2+a_2m_2a_3+ \ldots + a_nm_na_1,$$

que j’appellerai $C^{\prime}$. Ce contour $C^{\prime}$ se composera d’un certain nombre d’arêtes et de portions d’arêtes. Par exemple, l’arc $a_1m_1a_2$ se composera d’un segment d’arête joignant $a_1$ au sommet le plus voisin, puis d’un certain nombre d’arêtes complètes, puis d’un segment $S a_2$ joignant $a_2$ au sommet le plus voisin.

Mais ce segment $S a_2$ se retrouvera parcouru en sens contraire dans l’arc $a_2m_2a_3$. Les portions d’arêtes, qui font partie de $C^{\prime}$, sont donc parcourues deux fois en sens contraire ; nous pouvons donc les supprimer et nous obtenons ainsi un contour $C^{\prime \prime}$ exclusivement formé d’arêtes complètes et homologue à $C$ ou à $C^{\prime}$.

Nous aurons $P_1-1$ contours analogues à $C^{\prime \prime}$, qui nous donneront $P_1-1$ relations entre les $\delta$.

Nous obtenons ainsi $\alpha_2+$$P_1-1$ contours fermés formés d’arêtes ; je dis que tous les autres contours possibles n’en sont que des combinaisons.

Soit d’abord un contour fermé formé d’arêtes et homologue à zéro, il partagera la surface du polyèdre en deux régions. Soit R l’une d’elles ; elle sera évidemment formée d’un certain nombre $q$ de faces, puisque le contour est exclusivement formé d’arêtes ; nous pourrons donc remplacer le contour donné par $q$ contours partiels formés par les périmètres de ces $q$ faces.

Si maintenant le contour donné n’est pas homologue à zéro, nous pourrons toujours le remplacer par une combinaison des contours $C^{\prime \prime}$ et par un contour homologue à zéro.

Nous avons donc

$$ \alpha_2 + P_1 -1$$

relations entre nos $\delta$ et nous n’en avons pas d’autres ; mais sont-elles toutes distinctes ?

Pour le reconnaître, il faut voir si l’on peut former une combinaison linéaire de ces relations qui se réduise à une identité ou, ce qui revient au même, si l’on peut former une combinaison de nos $\alpha_2+P_1-1$ contours, une combinaison telle que chaque arête soit parcourure deux fois en sens contraire (ou, si elle l’est plus de deux fois, qu’elle le soit autant de fois dans un sens que dans l’autre).

Peut-on d’abord former une telle combinaison avec les $\alpha_2$ périmètres $\Pi$ ? Dire que chaque arête est parcourue ainsi deux fois en sens contraire, c’est dire que l’ensembles des polygones, dont on parcourt ainsi les périmètres, forme un polyèdre fermé.

Or on ne peut évidemment construire de la sorte qu’un seul polyèdre fermé, qui est le polyèdre donné.

Avec les $\alpha_2$ relations correspondant aux $\alpha_2$ périmètres $\Pi$, nous pouvons donc former une combinaison linéaire identique et une seule. Il y a donc entre les $\delta$

$$ (\alpha_2+P_1-1)-1$$

relations distinctes. Le nombre des $\delta$ arbitraires est donc

$$ \alpha_1-(\alpha_2+P_1-1)+1,$$

de sorte qu’il vient

$$ \alpha_0-1= \alpha_1-(\alpha_2+P_1-1)+1$$

ou

$$N=3-P_1.$$

Etendons cette démonstration au cas où nous avons un polyèdre à trois dimensions, où l’on distinguera :

$$ \begin{array}{cccc} \mbox{Les sommets} & v_0 & \mbox{au nombre de} & \alpha_0,\\ \textrm{les varietes} & v_1 & » & \alpha_1,\\ » & v_2 & » & \alpha_2 ,\\ » & v_3 & » & \alpha_3.\\ \end{array} $$

A chacun des $v_0$, faisons correspondre un nombre, et à chacun des $v_1$ la différence $\delta$ des nombres correspondant à ces deux sommets. Nous aurons ainsi $\alpha_1$ différences $\delta$, dont $\alpha_0-1$ seront arbitraires.

On obtiendra les relations linéaires qui ont lieu entre les $\delta$, en construisant tous les contours fermés exclusivement formés par des $v_1$.

Nous aurons d’abord les périmètres $\Pi$ des $v_1$, qui seront au nombre de $\alpha_2$ ; soit ensuite $C$ un contour fermé quelconque non homologue à zéro, il traversera successivement différents $v_3$ ; soient $a_1a_2,\ a_2a_3, \ \ldots$ les arcs de $C$ qui se trouvent dans chacun de ces $v_3$.

Considérons l’arc $a_1a_2$ qui se trouve dans un des $v_3$, que j’appelle $\Phi$, et dont les extrémités $a_1$ et $a_2$ se trouvent dans deux des $v_2$, qui servent de frontière à $\Phi$, à savoir $a_1$ dans $\varphi_1$ et $a_2$ dans $\varphi_2$.

Soient $b_1$ un sommet de $\varphi_1$, $b_2$ un sommet de $\varphi_2$ ; joignons $a_1$ à $b_1$ par une ligne quelconque $a_1b_1$, puis $b_1$ à $b_2$ par une ligne $b_1b_2$ formée exclusivement par des $v_1$ appartenant à la frontière de $\Phi$, et $b_2$ à $a_2$ par une ligne quelconque $a_2b_2$ ; on aura

$$ a_1a_2\sim a_1b_1+b_1b_2+b_2a_2,$$

de sorte que nous pourrons remplacer l’arc $a_1a_2$ par l’arc $a_1b_1b_2a_2$ ; opérons de même pour les autres arcs de $C$. Nous aurons remplacé $C$ par le contour homologue

$$ a_1b_1b_2a_2+a_2b_2b_3a_3+\ldots$$

que j’appelle $C^{\prime}$. Le contour $C^{\prime}$ se compose d’un certain nombre de $v_1$ et d’arcs analogues à $a_1b_1, \ a_2b_2, \ \ldots$ parcourus chacun deux fois en sens contraire. On peut donc supprimer ces arcs, et il reste un contour $C^{\prime \prime}$ homologue à C et exclusivement formé de $v_1$.

Il y aura $P_1-1$ contours $C^{\prime \prime}$.

Je dis maintenant que tout contour fermé $K$ formé de $v_1$ est une combinaison linéaire des $\Pi$ et des $C^{\prime \prime}$. Si $K \sim 0$, le contour $K$ sera la frontière complète d’une certaine région $R$ à deux dimensions. Cette région $R$ pourra être subdivisée en un certain nombre de variétés $r$, chacune des régions $r$ étant la portion de $R$ qui se trouve à l’intérieur de l’un des $v_3$. Considérons une des variétés $r$, et soit $\varphi$ la région $v_3$ dans laquelle elle se trouve ; la frontière complète de $r$ sera une variété fermée $u$ à une dimension, qui fera partie de la frontière complète de $\varphi$. Comme $\varphi$ est simplement connexe, $u$ partagera la frontière complète de $\varphi$ en deux régions ; soit $r^{\prime}$ l’une de ces régions ; elle se composera d’un certain nombre de $v_2$ qui en feront partie tout entières et d’un certain nombre de portions de $v_2$ (puisque, parmi les $v_2$ qui forment la frontière complète de $\varphi$, il y en a qui sont partagées en deux parties par $u$). On voit que $r$ est homologue à $r^{\prime}$ : nous pourrons remplacer $r$ par $r^{\prime}$ ; si nous opérons de même pour toutes les régions $r$, nous aurons obtenu une variété $R^{\prime}$ homologue à $R$ et qui se composera d’un certain nombre de $v_2$ complètes et d’un certain nombre de portions de $v_2$ prises chacune deux fois en sens contraire. Nous pourrons supprimer ces portions de $v_2$ et nous obtiendrons ainsi une variété $R^{\prime \prime}$ homologue à $R$ et limitée par le même contour $K$. Cette variété $R^{\prime \prime}$ pourra être décomposée en un certain nombre de polygones $v_2$, de sorte que le contour $K$ pourra être remplacé par les périmètres $\Pi$ de ces polygones.

Si $K$ n’est pas homologue à zéro, on pourra le remplacer par un certain nombre de contours $C^{\prime \prime}$ et par un contour homologue à zéro.

Nous avons donc

$$ \alpha_2 + P_1-1$$

relations entre les $\delta$, que j’écrirai

$$ \epsilon=0,$$

et nous n’en aurons pas d’autres. Mais sont-elles toutes distinctes ?

En d’autres termes, pouvons-nous former une combinaison linéaire des $\epsilon$ qui soit identiquement nulle, ou encore une combinaison des $\Pi$ et des $C^{\prime \prime}$ où chaque $v_1$ figure deux fois en sens contraire ?

Si dans cette combinaison devaient figurer des $C^{\prime \prime}$, l’ensemble des polygones $v_2$, dont les périmètres $\Pi$ figureraient dans la combinaison, formerait une variété à deux dimensions, qui ne serait pas fermée et dont la frontière complète serait formée par un certain nombre de contours $C^{\prime \prime}$. Or cela n’est pas possible, puisque les $C^{\prime \prime}$ sont linéairements indépendants.

Il me reste donc à examiner les combinaisons où ne figureraient que des $\Pi$ ; l’ensemble des polygones $v_2$ dont les périmètres $\Pi$ y figureraient formeraient alors une variété fermée.

Nous sommes ainsi conduits à examiner les variétés fermées exclusivement formées de $v_2$.

Nous avons d’abord les frontières complètes des $v_2$, frontières complètes que j’appellerai $\Phi$ et qui sont au nombre de $\alpha_3$.

Soit ensuite $D$ une variété quelconque à deux dimensions, non homologue à zéro. Traitons-la comme nous avons traité $R$ ; nous verrons qu’elle est homologue à une variété $D^{\prime \prime}$ fermée et à deux dimensions, exclusivement formée de $v_2$.

Le nombre des $D^{\prime \prime}$ est $P_2-1.$

Je dis maintenant que toute variété fermée $K$ formée de $v_2$ est une combinaison de $\Pi$ et des $D^{\prime \prime}$. Si, en effet, elle est homologue à zéro, elle limite une région $S$ à trois dimensions qui se composera d’un certain nombre de $v_2$, puisque $K$ se compose d’un certain nombre de $v_2$ ; on pourra donc remplacer $K$ par les frontières complètes $\Phi$ de ces $v_2$. Si $K$ n’est pas homologue à zéro, on pourra la remplacer par un certain nombre de $D^{\prime \prime}$ et par une variété homologue à zéro et exclusivement formée de $v_2$.

Nous avons donc, entre les $\epsilon$,

$$ \alpha_2+P_2-1$$

relations linéaires, que j’écrirai

$$\zeta=0,$$

et nous n’en aurons pas d’autres. Sont-elles distinctes ?

Pour former une combinaison linéaire des $\zeta$ qui soit identiquement nulle, il faut former une combinaison des $\Phi$ et des $D^{\prime \prime}$ telle que chaque $v_2$ y figure deux fois en sens contraire. Nous verrions, comme plus haut, que les $D^{\prime \prime}$ ne peuvent pas figurer dans cette combinaison et que l’ensemble des $v_2$, dont les frontières $\Phi$ y figurent, doit former une variété fermée à trois dimensions. Or, nous ne pouvons construire qu’une seule variété de cette sorte : c’est le polyèdre donné lui-même.

Il y a donc une combinaison linéaire des $\zeta$ qui s’annule identiquement.

Il y aura donc

$$(\alpha_3+P_2-1)-1 $$

relations linéaires distinctes entre les $\epsilon$,

$$(\alpha_2+P_1-1)-(\alpha_3+P_2 -1)+1 $$

relations linéaires distinctes entre les $\delta$.

Parmi les $\delta$, il en restera donc

$$ \alpha_1 - (\alpha_2+P_1-1)+(\alpha_3+P_2 -1)-1$$

qui seront arbitraires ; on trouve ainsi

$$ \alpha_0-1=\alpha_1 - (\alpha_2+P_1-1)+(\alpha_3+P_2 -1)-1$$

et l’on trouverait

$$ \alpha_0-1=\alpha_1 - (\alpha_2+P_1-1)+(\alpha_3+P_2 -1)-(\alpha_4+P_3-1)+1$$

pour les polyèdres à quatre dimensions.

On a donc

$$ N=P_2-P_1$$

pour les polyèdres à trois dimensions, et

$$ N=3-P_1+P_2-P_3$$

pour les polyèdres à quatre dimensions.

En général, on aura

$$ N=P_{p-1}-P_{p-2}+ \cdots + P_2-P_1$$

si $p$ est impair, et

$$ N=3-P_1+P_2- \cdots + P_{p-1}$$

si $p$ est pair.

Si nous observons maintenant que les nombres de Betti, également distants des extrêmes, sont égaux, on verra que l’on doit avoir

$$ N=0$$

si $p$ est impair, comme nous l’avions déjà vu dans le numéro précédent.


[1Rappelons la dernière phrase du paragraphe précédent : « Le nombre $N$ est nul et indépendant des nombres de Betti si $p$ est impair ; il dépend, au contraire, des nombres de Betti si $p$ est pair. »