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§ 16. Théorème d’Euler

On connaît le théorème d’Euler, d’après lequel, si $S,A$ et $F$ sont le nombre des sommets, des arêtes et des faces d’un polyèdre convexe, on doit avoir

$$ S - A + F = 2.$$

Ce théorème a été généralisé par M. l’amiral de Jonquières, pour le cas des polyèdres non convexes [1]. Si un polyèdre forme une variété fermée à deux dimensions, dont le nombre de Betti est $P_1$, on aura

$$ S - A + F = 3 - P_1 .$$

Le fait que les faces sont planes n’a évidemment aucune importance, le théorème s’applique également aux polyèdres curvilignes ; il s’applique encore à la subdivision d’une surface fermée quelconque en régions simplement connexes ; ces régions correspondent alors aux faces du polyèdre ; les lignes, qui servent de frontière à deux de ces régions, correspondent aux arêtes, et les extrémités de ces lignes aux sommets.

Je me propose de généraliser ces résultats pour un espace quelconque.

Soit donc $V$ une variété fermée à $p$ dimensions. Subdivisons-la en un certain nombre de variétés $v_p$ à $p$ dimensions ; ces variétés $v_p$ ne seront pas fermées et leurs frontières seront formées par un certain nombre de variétés $v_{p-1}$ à $p-1$ dimensions ; les frontières des $v_{p-1}$ seront formées à leur tour par un certain nombre de variétés $v_{p-2}$ à $p-2$ dimensions, et ainsi de suite ; j’arriverai ensuite à un certain nombre de vraiétés $v_1$ à une dimension, qui auront pour frontières un certain nombre de points isolés ou de variétés à zéro dimension que j’appelerai $v_0$.

La variété $V$ peut avoir des nombres de Betti quelconques, mais je suppose expressément que les variétés $v_p, \ v_{p-1}, \ \ldots, \ v_1$ sont simplement connexes.

J’appellerai $\alpha_p,\ \alpha_{p-1}, \ \ldots, \ \alpha_1$ et $\alpha_0$ le nombre des $v_p$, des $v_{p-1}, \ \ldots,$ des $v_1$ et des $v_0$.

La figure formée par toutes ces variétés pourra s’appeler un polyèdre ; car l’analogie avec les polyèdres ordinaires est évidente. Un polyèdre ordinaire est, en effet, une variété fermée $V$ à deux dimensions, qui est subdivisée en un certain nombre de variétés $v_2$, qui sont les faces. [2] Les faces ont pour frontières un certain nombre de variétés $v_1$, qui sont les arêtes et qui admettent à leur tour pour frontières un certain nombre de variétés $v_0$ appelées sommets.

Je me propose de calculer le nombre

$$ N = \alpha_p - \alpha_{p-1} + \alpha_{p-2} - \ldots \mp \alpha_1 \pm \alpha_0 .$$

J’introduirai ici quelques dénominations nouvelles, peut-être mal justifiées, mais commodes.

Si deux polyèdres sont obtenus en subdivisant de deux manières différentes une variété $V$, je dirai qu’ils sont congruents.

Soit maintenant le polyèdre $P$ formé par la variété $V$, par les régions $v_p$ et par leurs frontières successives $v_{p-1},\ \ldots,\ v_1, \ v_0$.

Subdivisons les $v_p$ en régions plus petites $v_p '$ ; les frontières complètes des $v_p'$ se composeront d’un certain nombre de régions nouvelles $v_{p-2}''$ et, en outre, des régions $v_{p-1}'$ obtenues en subdivisant les $v_{p-1}$ ; les frontières complètes des $v_{p-1}'$ et des $v_{p-1} ''$ se composeront d’un certain nombre de régions nouvelles $v_{p-2} ''$ et, en outre, de régions $v_{p-2}'$ obtenues en subdivisant les $v_{p-2}$, et ainsi de suite ; nous arriverons enfin aux $v_1'$ et aux $v_1 ''$, dont les frontières complètes se composeront d’un certain nombre de points nouveaux $v_0 ''$ et, en outre des points $v_0$.

Soit $P'$ le polyèdre formé par l’ensemble des régions $v_p ', \ v_{p-1}',\ v_{p-1} '', \ v_{p-2}', \ v_{p-2}'', \ \ldots, \ v_1',\ v_1'',\ v_0,\ v_0 ''$.

Je dirai que le polyèdre $P'$ est dérivé du polyèdre $P$.

J’éclaircirai cette définition par un exemple emprunté à la Géométrie ordinaire. Considérons un tétraèdre régulier $T$. Dans chacune des faces, je joins chaque sommet au milieu du coté opposé. Chaque face se trouvera ainsi décomposée en six triangles ; en tout vingt-quatre triangles. Le polyèdre à vingt-quatre faces ainsi obtenu sera dérivé de $T$.

Soient maintenant $P$ et $P'$ deux polyèdres congruents, c’est-à-dire obtenus par deux modes de décomposition différents d’une même variété $V$ ; il existera toujours un polyèdre $P''$ qui sera dérivé à la fois de $P$ et de $P'$ et qu’on obtiendra en combinant les deux modes de décomposition ; de telle façon que, si nous appelons $v_p, \ v_p'$ et $v_p''$ les subdivisions de $V$ dans les trois modes de décomposition qui correspondent aux trois polyèdres $P$, $P'$ et $P''$, la condition nécessaire et suffisante pour que deux points appartiennent à la fois à la même région $v_p''$, c’est qu’ils appartiennent à la fois à la même région $v_p$ et à la même région $v_p '$.

Je me propose d’établir que le nombre $N$ est le même pour deux polyèdres congruents et, comme nous venons de voir que deux polyèdres congruents ont toujours un dérivé commun, il nous suffira de montrer que le nombre $N$ est le même pour un polyèdre et pour tous ses dérivés.

Si, dans le polyèdre $P$, nous envisageons une des régions $v_{p-1}$, elle appartiendra toujours à deux régions $v_p$ et à deux seulement qu’elle séparera l’une de l’autre. Au contraire, une région $v_{p-2}'$ appartiendra, en général, à plus de deux régions $v_p$ et à plus de deux régions $v_{p-1}$. C’est ainsi que dans les polyèdres ordinaires, une arête sépare toujours deux faces l’une de l’autre, tandis qu’un sommet appartient, en général, à plus de deux faces et à plus de deux arêtes.

Nous n’excluons pas toutefois le cas où une région $v_{p-2}$ appartiendrait à deux régions $v_{p-1}$ seulement. Ainsi pour un polyèdre ordinaire, nous n’exclurions pas le cas où le milieu d’une arête serait regardé comme un sommet et où cette arête serait, par conséquent, regardée comme formée de deux arêtes juxtaposées.

Les régions $v_{p-2}$, qui n’appartiendraient ainsi qu’à deux régions $v_{p-1}$, seront dites singulières. Soit donc $v_{p-2}$ une région singulière appartenant à deux régions $v_{p-1}$ que j’appelle $v_{p-1}'$ et $v_{p-1}''$. Il est clair que $v_{p-1}'$ séparera l’une de l’autre les deux mêmes régions $v_p$ qui sont séparées par $v_{p-1}''$ ; de sorte que $v_{p-2}$ n’appartiendra aussi qu’à deux régions $v_p$ seulement.

De même, je dirai que la variété $v_q$ est singulière, si elle appartient qu’à deux variétés $v_{q+1}$ ; et dans ce cas les deux $v_{q+1}$, auxquelles $v_q$ appartiendra, appartiendront aux mêmes $v_{q+2}$, aux mêmes $v_{q+3}$, $\ldots$, aux mêmes $v_p$ ; de telle façon que la suppression de $v_q$ et l’annexion mutuelle des deux $v_{q+1}$ ne changera rien aux $v_{q+2}$, aux $v_{q+3}$, $\ldots$, aux $v_p$.

Soit maintenant une variété $v_k$ ; à cette variété appartiendront un certain nombre de variétés $v_{k-1}$ ; si l’une d’elles est singulière, je dirai que la variété $v_k$ est irrégulière ; elle sera régulière dans le cas contraire.

Considérons donc le polyèdre $P$ avec les régions $v_p$, $v_{p-1}$, $\ldots$ et le polyèdre dérivé $P'$ avec les régions $v_p'$, $v_{p-1}'$, $\ldots$. Cherchons à remonter du polyèdre $P'$ au polyèdre $P$. Soient deux régions $v_p'$ que j’appelerai $\alpha$ et $\beta$ ; je suppose qu’elles soient séparées l’une de l’autre par une région $v_{p-1}'$ que j’appelerai $\gamma$ ; qu’elles soient, par conséquent, contiguës et qu’elles fassent partie d’une même région $v_p$. (Comme $\alpha$ et $\beta$ font partie d’une même région $v_p$, la région $\gamma$ n’est pas une subdivision de l’une des régions $v_{p-1}$ qui séparent les régions $v_p$ les unes des autres ; cette région $\gamma$ est donc une de celles que j’avais appellées $v_{p-1}''$ dans la définition des polyèdres dérivés ; mais ici je ne fais plus cette distinction et je désigne les variétés que j’avais appelées alors $v_{p-1}''$ aussi bien que celles que j’avais appelées alors $v_{p-1}'$ par la même notation $v_{p-1}'$.)

Cela posé, supprimons la région $\gamma$, qui sert de frontière à $\alpha$ et à $\beta$, et annexons la région $\alpha$ à la région $\beta$. Nous aurons ainsi supprimé une région $v_p'$ et une région $v_{p-1}'$. D’autre part, nous n’aurons supprimé aucune région $v_{p-2}'$ si la région $\gamma$ est régulière ; si, en effet, aucune des régions $v_{p-2}'$ n’est singulière, chacune d’elles appartiendra au moins à trois région $v_{p-1}'$ et, après la suppression de $\gamma$ elle appartiendra encore au moins à deux régions $v_{p-1}'$. De même, toute région $v_q'$ (où $q< p - 2 $) faisant partie de $\gamma$ appartiendra au moins à trois régions $v_{p - 1}'$, et, après la suppression de $\gamma$, elle appartiendra encore au moins à deux régions $v_{p-1}'$. La suppression de $\gamma$ ne supprime donc aucune des régions $v_q'$ ; elle ne change donc pas la valeur du nombre $N$.

Si, au contraire, la région $\gamma$ est irrégulière, nous n’avons plus le droit de la supprimer, car il existera alors une région $v_{p-2}'$ qui appartiendra seulement à $\gamma$ et à une autre région $v_{p-1}'$ ; après la suppression de $\gamma$, elle n’appartiendrait plus qu’à une seule région $v_{p-1}'$, ce qui est inadmissible.

Que faudra-t-il faire alors ? La région $\gamma$ sépare deux régions $v_p$ que j’ai appelées $\alpha$ et $\beta$ ; mais elle ne constitue pas à elle seule la frontière entre $\alpha$ et $\beta$ ; en effet, comme $\gamma$ est irrégulière, il existera une région $v_{p-2} '$ singulière que j’appelerai $\delta$ et qui appartiendra à $\gamma$ et à une autre région $v_{p-1}'$ que j’appelerai $\gamma'$. Cette région $\gamma'$, d’après ce que nous avons vu plus haut, sépare les mêmes régions que $\gamma$, c’est-à-dire $\alpha$ et $\beta$.

Si la région $\delta$ est régulière, nous pourrons la supprimer et annexer $\gamma$ à $\gamma'$. La région $\gamma + \gamma'$ séparera alors $\alpha$ de $\beta$. Nous aurons ainsi diminué $\alpha_{p-1}$ et $\alpha _{p-2}$ d’une unité, tandis que les autres nombres $\alpha_i$ n’auront pas changé. $N$ n’aura donc pas changé non plus.

Si $\delta$ est irrégulière, il y aura une région $v_{p-j }'$ singulière que j’appelerai $\varepsilon$ et qui la séparera d’une autre région $\delta '$ ; nous supprimerons $\varepsilon$ et annexerons $\delta$ et $\delta'$, et ainsi de suite.

Nous pourrons ainsi supprimer une région $v_q'$, qui sépare l’une de l’autre deux régions $v_{q+1} '$, et annexer ces deux régions $v_{q+1}'$ l’une à l’autre, mais à deux conditions :

1. Si $q$ est plus petit que $p-1$, il faut que la région $v_q'$ soit singulière ;

2. Et, dans tous les cas, il faut qu’elle soit régulière.

Cela posé, voici dans quel ordre nous ferons les opérations :

Je veux remonter du polyèdre $P'$ au polyèdre $P$. Je puis sans inconvénient supposer que le polyèdre $P$ n’admet pas de région singulière, mais le polyèdre $P'$ et les polyèdres intermédiaires en admettront.

Par une série de suppressions et d’annexions successives, nous remonterons de $P$ à $P'$ en passant par une série de polyèdres intermédiaires que j’appellerai

$$ P_0 = P',\ P_1, \ P_2,\ \ldots, \ P_{m-1}, \ P_m.$$

Comment passerons-nous du polyèdre $P_i$ au polyèdre $P_{i+1}$ ?

Si dans $P_i$ il y a des $v_0'$ singuliers, j’en supprimerai un. S’il n’y en a pas, tous les $v_1'$ seront réguliers ; s’il y a des $v_1'$ singuliers, j’en supprimerai un.

S’il n’y a pas de $v_1'$ singulier, tous les $v_1'$ seront réguliers ; s’il y a des $v_2'$ singuliers, j’en supprimerai un.

Et ainsi de suite.

Si enfin il n’y a pas de $v_{p-2}'$ singulier, tous les $v_{p-1}'$ seront réguliers et l’on aura le droit de supprimer un quelconque d’entre eux ; si l’une des régions $v_p$ est subdivisée en plusieurs régions $v_p'$, je choisirai deux de ces régions $v_p'$ qui seront contiguës et séparées l’une de l’autre par une région $v_{p-1}'$, qui sera leur frontière commune ; je les annexerai l’une à l’autre en supprimant cette frontière commune.

Aucune de ces opérations ne peut altérer le nombre $N$.

On se sera arrêté que quand il n’y aura plus de région singulière et que, d’autre part, aucune des régions $v_p$ ne sera plus subdivisée en plusieurs régions $v_p'$. Mais alors on sera arrivé au polyèdre $P$.

Aucune de ces opérations ne peut altérer le nombre $N$.

Ce nombre a donc la même valeur pour $P$ et pour $P'$. CQFD


Cette démonstration pourrait donner lieu à certaines objections, car on pourrait se demander si, dans cette série d’opérations, toutes les régions resteront simplement connexes ; mais, avant de modifier notre démonstration de façon à me mettre à l’abri de ces objections, je veux déterminer quelle doit être la valeur du nombre $N$ pour un polyèdre simplement connexe.

Si notre théorème est vrai, le nombre $N$ doit avoir la même valeur pour deux polyèdres obtenus en subdivisant deux variétés homéomorphes ; il a donc même valeur pour deux polyèdres simplement connexes quelconques.


Il nous suffira donc de faire cette détermination pour un polyèdre simplement connexe arbitrairement choisi.

Je choisirai le tétraèdre généralisé.

J’appelle ainsi le polyèdre formé par la frontière complète du domaine

$$ x_1 >0, \ x_2 >0 , \ \ldots , \ x_p >0 , $$

$$ x_{p+1} >0, \ x_1 + x_2 + \ldots + x_p + x_{p+1} < 0. $$

On a alors

$$ \alpha_p = p+2,\ \ \alpha_{p-1} = \frac{(p+1)(p+2)}{2}, \ \ \ldots, $$

$$ \alpha_q = \frac{(p+2)! }{(q+2)! (p-q)!}, \ \ldots, \ \alpha_1 = \frac{(p+1)(p+2)}{2} ,\ \alpha_0 = p+2, $$

c’est-à-dire que les nombres $\alpha_q$ sont égaux aux coefficients du binome. On aura donc

$$ (1-1) ^{p+2} = 1- \alpha_p + \alpha_{p-1} - \ldots \pm\alpha_1 \mp \alpha_0 \pm 1 = 1 - N \pm 1 .$$

On doit donc prendre devant le premier terme le signe $+$ si $p$ est pair, et le signe $-$ si $p$ est impair.

On aura donc $N=2$ si $p$ est pair, $N=0$ si $p$ est impair.

Je serais arrivé au même résultat en choisissant le cube généralisé. J’appelle ainsi le polyèdre formé par la frontière complète du domaine

$$ -1 < x_i < 1 \ \ \ (i= 1,\ 2,\ \ldots, \ p+1).$$

On a alors

$$ \alpha_p = 2(p+1), \ \ \ \alpha_{p-1} = 2^2 \frac{p(p+1)}{2}, \ \ldots,\ \alpha_q = 2^{p-q+1} \frac{(p+1)} {(q + 1)! (p -\alpha)!}\ \ \ldots, $$

$$ \alpha_1 = 2^p (p+1), \ \ \ \alpha_0 = 2^{p+1}, $$

d’où

$$ (1-2) ^{p+1} = 1 -\alpha_p + \alpha_{p-1} - \ldots \pm \alpha_1 \mp \alpha_0 = 1-N, $$

d’où

$$ N = 1 - (-1)^{p+1}, $$

c’est-à-dire

$N=2$ si $p$ est pair,

$N=0$ si $p$ est impair.

Ainsi, pour un polyèdre simplement connexe, le nombre $N$ est égal à $2$ si $p$ est pair et à $0$ si $p$ est impair.

Cela posé, pour établir notre théorème d’une façon complète et rigoureuse, je vais supposer qu’il soit vrai pour les variétés de moins de $p$ dimensions.

Considérons donc notre polyèdre $P$ et une région $v_q$ à $q$ dimensions appartenant à ce polyèdre. Cette région $v_q$ fera partie d’un certain nombre de régions $v_{q-1}$, d’un certain nombre de régions $v_{q-2}$, $\ldots$, d’un certain nombre de régions $v_p$ [3]. L’ensemble de toutes ces régions formera ce que j’appellerai l’aster de $v_q$.

Je désignerai par $\gamma_h$ le nombre des régions $v_h$ ($h>q$) qui font partie de l’aster de $v_q$.

Soit $(x_1^0, x_2^0, \ldots, x_n^0)$ un point de $v_q$ ; considérons l’hypersphère $S$ qui a pour équation

$$ (x_1 - x_1^0 ) ^2 + (x_2 - x_2^0)^2 + \ldots + (x_n - x_n^0) ^2 = \varepsilon ^2 ,$$

$\varepsilon $ étant très petit.

Soit $\Pi$ la variété plane définie par les équations

$$ A_i^1 (x_1 -x_1^0 ) + A_i^2 (x_2 - x_2^0) + \ldots + A_i^n (x_n -x_n^0) = 0 $$

$$ (i=1,\ 2,\ \ldots,\ q),$$

où les $A_i^k$ sont des constantes quelconques.


L’intersection de $S$, $\Pi$ et $V$ sera une variété à $p-q-1$ dimensions que j’appellerai $W$ et qui sera simplement connexe. Les intersections de $S$ et $\Pi$ avec les diverses régions qui forment l’aster de $v_q$ formeront par leur ensemble un polyèdre dû à la subdivision de $W$ et qui sera simplement connexe.

Pour ce polyèdre, le nombre $\alpha_h$ sera égal à $\gamma_{h+q+1}$ ; comme il a moins de $p$ dimensions, notre théorème lui sera applicable, de sorte que nous pourrons écrire

$$\tag{A} \gamma_p -\gamma_{p-1} + \ldots \pm \gamma_{q+2} \mp \gamma_{q+1} = 2\text{ ou } 0, $$

suivant que $p-q$ sera pair ou impair.

Définissons maintenant un polyèdre $Q$ qui sera formé par une opération que l’on pourra appeler un quadrillage.

Soit $V$ une variété à $p$ dimensions située dans l’espace à $n$ dimensions. Construisons une infinité de variétés planes définies par les équations

$$\tag{B} x_i = \alpha_{k,i} , $$

$$ (i=1,\ 2,\ \ldots, \ n\ ; \ k= -\infty, \ldots,\ -1,\ 0, \ +1,\ +2,\ \ldots,\ +\infty\ ).$$

Ces variétés planes décomposeront l’espace en une infinité de domaines $D_n$ assimilables à des parallélépipèdes rectangles. Les frontières des $D_n$ seront formées par un certain nombre de domaines $D_{n-1}$ à $n-1$ dimensions faisant partie des diverses variétés planes $x_i=a_{k.i}$ et également assimilables à des parallélépipèdes rectangles. Les frontières des $D_{n-1}$ seront formées par un certain nombre de domaines $D_{n-2}$ assimilables à des parallélépipèdes rectangles dans l’espace à $n-2$ dimensions, et ainsi de suite.

Alors le polyèdre $Q$ sera défini de la façon suivante : les régions $v_p$ seront formées par les intersections de $V$ avec les domaines $D_n$, les régions $v_{p-1}$ par les intersections de $V$ avec les domaines $D_{n-1}$, et ainsi de suite ; enfin, les régions $v_0$ par les intersections de $V$ avec les domaines $D_{n-p}$.

Il résulte de cette définition que le polyèdre $Q$ n’admet pas de région singulière.

Je considérerai, en outre, un polyèdre $P$ quelconque congruent à $Q$, et un polyèdre $P^{\prime}$ dérivé à la fois de $P$ et de $Q$.

Je vais remonter, d’une part, de $P^{\prime}$ à $P$ et, d’autre part, de $P^{\prime}$ à $Q$, et j’établirai que, dans ces deux opérations, le nombre $N$ n’a pas changé.

Remontons d’abord de $P^{\prime}$ à $P$.

Soit $x_i=a$ une des variétés planes définies par l’équation (B). Classons les régions $v_q^{\prime}$ d’un nombre quelconque de dimensions qui composent le polyèdre $P^{\prime}$ en quatre sortes.

Celles de la première sorte sont celles qui font partie de la variété

$$ x_i=a.$$

Celles de la deuxième sorte sont celles qui admettent des points tels que

$$ x_i=a+ \epsilon,$$

$\epsilon$ étant positif et très petit.

Celles de la troisième sorte sont celles qui admettent des points tels que

$$ x_i=a- \epsilon.$$

Toutes les autres sont de la quatrième sorte.

Soient $\delta_q$, $\delta_q^{\prime}$, $\delta_q^{\prime \prime}$ le nombre des variétés à $q$ dimensions qui sont respectivement de la première, de la deuxième, et de la troisième sorte.

Toute variété de la deuxième sorte sera contiguë à une variété de la troisième sorte et leur frontière commune sera une variété de la première sorte qui aura une dimension de moins. Les variétés des trois premières sortes se correspondent donc chacune à chacune et l’on a

$$ \delta_q^{\prime}=\delta_q^{\prime \prime}=\delta_{q-1}.$$

Il est clair, d’ailleurs, que

$$ \delta_0^{\prime}=\delta_0^{\prime \prime}=\delta_p=0.$$

Si dans l’ensemble des variétés planes (B) qui constituent le quadrillage et qui ont donné naissance aux polyèdres Q et $P^{\prime}$, on avait supprimé la variété $x_i=a$, on aurait obtenu deux polyèdres Q$_1$ et $P_1^{\prime}$, plus simples que les premiers. Comparons $P_1^{\prime}$ à $P^{\prime}.$

Quand on supprime la variété plane $x_i=a$, on supprime les variétés de la première sorte et l’on annexe chaque variété de la troisième sorte à la variété correspondante de la deuxième sorte. Donc en passant de $P^{\prime}$ à $P_1^{\prime}$, le nombre $\alpha_q$ diminue de

$$ \delta_q^{\prime \prime}+\delta_q=\delta_q + \delta_{q-1}.$$

En particulier, les nombres $\alpha_p$ et $\alpha_0$ diminuent de $\delta_{p-1}$ et $\delta_0$. Il résulte de là que le nombre $N$ diminue de

$$ \delta_{p-1}-(\delta_{p-1}+\delta_{p-2})+(\delta_{p-2}+\delta_{p-3})- \ldots \pm (\delta_1 + \delta_0) \mp \delta_0=0.$$

Donc $N$ ne change pas. Ainsi, en supprimant la variété $x_i=a$, on ne change pas $N$, mais, en supprimant de la sorte toutes les variétés planes définies par (B), on remontera au polyèdre $P$. Le nombre $N$ est donc le même pour $P^{\prime}$ et pour $P$.

Remontons maintenant de $P^{\prime}$ à $Q$.

Soient $w_p, \ w_{p-1}, \ \ldots, \ w_1, \ w_0$ les variétés dont l’ensemble constitue le polyèdre $Q$ ; soient, de même, $v_p^{\prime}, \ v_{p-1}^{\prime}, \ \ldots, \ v_1^{\prime},\ v_0^{\prime}$ les variétés dont l’ensemble constitue le polyèdre $P^{\prime}$.

Nous répartirons les variétés $v_q^{\prime}$ en $p+1$ classes.

Celles de la première classe seront celles qui feront partie d’une des régions $w_p$ sans faire partie d’une des régions $w_{p-1}$. Le polyèdre $P^{\prime}$ étant dérivé de $Q$, nous rangerons dans cette première classe toutes les variétés $v_p^{\prime}$ (qui sont toutes des subdivisions des $w_p$) ; celles des variétés $v_{p-1}^{\prime}$, qui séparent l’une de l’autre deux variétés $v_p^{\prime}$ faisant partie d’une même région $w_p$ ; et leurs intersections.

Celles de la deuxième classe seront celles qui feront partie d’une des régions $w_{p-1}$ sans faire partie d’une des régions $w_{p-2}$.

Celles de la troisième classe seront celles qui feront partie d’une des régions $w_{p-2}$ sans faire partie d’une des régions $w_{p-3}$, etc.

Celles de la $p^{\text{ième}}$ classe seront celles qui feront partie d’une des régions $w_1$, sans être un des points $w_0$.

Enfin, la $(p+1)^{\text{ième}}$ classe comprendra les points $w_0$.

Pour remonter de $P^{\prime}$ à $Q$, voici ce que je vais faire : je commencerai par supprimer toutes les variétés de la première classe qui ont moins de $p$ dimensions, ce qui a pour effet de réunir en une seule, par annexion, toutes les régions $v_p^{\prime}$, qui sont les subdivisions d’une même région $w_p$.

Je dis que cette opération n’altère pas le nombre $N$.

En effet, je puis supposer que les mailles du quadrillage qui a donné naissance à $Q$ sont assez serrées, pour qu’à l’intérieur d’une de ces mailles $D_p$, c’est-à-dire à l’intérieur d’une des régions $w_p$, on ne puisse trouver des points appartenant à deux variétés différentes $v_{p-1}$, sauf dans le cas où l’on y trouve des points appartenant à l’intersection de ces deux variétés. (Je désigne toujours par $v_q$ les variétés dont l’ensemble forme $P$.) Plus généralement, je puis supposer qu’on ne peut pas trouver dans une région $w_p$ des points appartenant à plusieurs variétés $v_q \; (q < p)$, à moins qu’on n’y puisse trouver des points appartenant à l’intersection de ces diverses variétés.

Dans une région $w_p$, nous pourrons donc avoir des points d’une région $v_q$ et de toutes les régions $v_h \; (h > q)$, qui font partie de son aster.

Mais nous ne pouvons avoir des points de deux régions $v_q$, ou des points de $v_q$ et d’une région $v_h \; (h > q)$, ne faisant partie de l’aster de $v_q$, sans avoir, en outre, des points d’une région $v_{q-1}$.

Si alors je suppose que $q$ est la plus petite valeur que l’on puisse donner au nombre de dimensions d’une région $v_q$, pour que cette région ait des points à l’intérieur de $w_p$, si je suppose cela, dis-je, nous n’aurons dans $w_p$ que des points d’une seule région $v_q$ et de son aster.

Considérons alors une région $w_p$, contenant des points de $v_q$ et des régions de l’aster de $v_q$. Soient

$$ \gamma_{q+1}, \ \gamma_{q+2}, \ \ldots, \ \gamma_p,$$

les nombres que nous avons définis plus haut en définissant l’aster.

Il en résulte qu’à l’intérieur de $w_p$, nous aurons

$$\begin{array}{cccc} 1 & \text{région} & v_q^{\prime} & \text{de la première classe,}\\ \gamma_{q+1} & " & v_{q+1}^{\prime} & " \\ \gamma_{q+2} & " & v_{q+2}^{\prime} & " \\ \ldots & \ldots \ldots & \ldots & \ldots \ldots \ldots \ldots \ldots \ldots \ldots, \\ \gamma_{p} & " & v_{p}^{\prime} & " \\ \end{array}$$

En supprimant les régions de la première classe de moins de $p$ dimensions et en annexant les unes aux autres les $\gamma_p$ régions $v_p^{\prime}$, dont l’ensemble constitue $w_p$, nous diminuons $\alpha_p$ de $\gamma_{p}-1$, $\alpha_{p-1}$ de $\gamma_{p-1}, \ \ldots, $ $\alpha_{q+1},$ de $\gamma_{q+1},$ $\alpha_q$ de $1$. Donc, en vertu de l’équation (A), le nombre $N$ ne change pas.

Cela fait, nous supprimerons toutes les variétés de la deuxième classe de moins de $p-1$ dimensions, en annexant les unes aux autres toutes les variétés $v_{p-1}^{\prime}$ de la deuxième classe, qui font partie d’une même région $w_{p-1}$. Ensuite, nous supprimerons toutes les variétés de la troisième classe de moins de $p-2$ dimensions, en annexant les unes aux autres toutes les variétés $v_{p-2}^{\prime}$ qui font partie d’une même région $w_{p-2}$ ; et ainsi de suite.

Nous arriverons enfin au polyèdre $Q$.

On montrerait de la même manière que plus haut qu’aucune de ces opérations n’altère le nombre $F$. [4]

Le nombre $N$ est donc le même pour $P^{\prime}$ et $Q$ ; il est donc aussi le même pour $P$ et $Q$ et, par conséquent, pour deux polyèdres congruents quelconques. C. Q. F. D.


[1On pourra voir à ce sujet les deux notes suivantes de l’amiral : Note sur un point fondamental de la théorie des polyèdres, Comptes Rendus Acad. Sciences 110 (1890), 110-115 et Note sur le théorème d’Euler dans la théorie des polyèdres, Comptes Rendus Acad. Sciences 110 (1890), 169-173.

[2Poincaré écrit ici $v_1$ au lieu de $v_2$.

[3Il faut lire $v_{q+1}$, $v_{q+2}$, $\ldots$

[4Plutôt le nombre N.