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Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Vous pouvez retrouver nos commentaires par ici.

§ 3. Deuxième définition des variétés

On peut définir les variétés d’une manière entièrement différente. Considérons $n$ équations

$$ \tag{8} \left\{ \begin{array}{c} x_1 = \theta_1(y_1,y_2,\ldots,y_m),\\ x_2 = \theta_2(y_1,y_2,\ldots,y_m),\\ \dots \\ x_n = \theta_n(y_1,y_2,\ldots,y_m).\\ \end{array} \right. $$

Il est clair que ces équations (si les $y$ sont regardées comme des variables indépendantes) représentent une variété à $m$ dimensions.

On aura encore une variété à $m$ dimensions, si l’on adjoint aux équations (8) un certain nombre d’inégalités de la forme

$$\psi(y_1,y_2,\ldots,y_m)>0,$$

qui limitent le champ des variations des variables $y$.

Je supposerai que les fonctions $\theta$ sont finies et continues ; mais je puis faire une hypothèse de plus sans restreindre la généralité d’une façon essentielle (c’est d’ailleurs ce que je pouvais également faire tout aussi bien avec ma première définition des variétés).

Je puis supposer, dis-je, que les fonctions $\theta$ sont analytiques. Si, en effet, ces fonctions $\theta$ sont finies et continues, on pourra trouver des fonctions $\theta'$, qui seront analytiques et qui différeront des $\theta$ aussi peu que nous voudrons.

Je supposerai, en outre, que les déterminants fonctionnels de $m$ des fonctions $\theta$ par rapport aux $y$ ne s’annulent jamais tous à la fois.

On obtiendra une variété qui ne différera pas de la première en remplaçant les $y$ dans les équations (8) par $m$ fonctions analytiques quelconques de $m$ variables $z_1,z_2,\ldots,z_m$.

La portée de cette nouvelle définition serait assez restreinte, si l’on ne pouvait l’augmenter par le procédé de la continuation analytique.

Considérons deux variétés $V$ et $V'$ définies par les équations analogues à (8).

Soient, par exemple, les équations

$$ \tag{8} x_1 = \theta_i(y_1,y_2,\ldots,y_m) $$

pour $V$, et les équations

$$ \tag{8 bis} x_1 = \theta_i'(y_1',y_2',\ldots,y_m') $$

pour $V'$.

Il peut arriver que ces deux variétés aient une partie commune $V''$ ayant également $m$ dimensions, c’est-à-dire que tous les points de $V''$ appartiendront à la fois à $V$ et à $V'$.

Dans ce cas, à l’intérieur de $V''$, les $y$ seront des fonctions analytiques des $y'$ et inversement.

On dira alors que les deux variétés $V$ et $V'$ sont la continuation analytique l’une de l’autre.

On peut former ainsi une chaîne de variétés

$$V_1,\ V_2,\ \ldots,\ V_n,$$

de telle façon que chacune d’elles soit la continuation analytique de la précédente et qu’entre deux variétés consécutives de la chaîne il y ait une partie commune. C’est ce que j’appellerai une chaîne continue.

Il peut arriver aussi que la chaîne soit fermée, c’est-à-dire que $V_n$ ne diffère pas de $V_1$.

On peut avoir aussi un réseau de variétés, c’est-à-dire un ensemble de variétés telles que chacune d’elles soit la continuation de plusieurs autres et que l’on puisse passer d’une quelconque d’entre elles à une autre quelconque d’entre elles par continuation analytique ; c’est ce que j’appellerai un réseau continu.

On pourra alors considérer l’ensemble de toutes les variétés d’une même chaîne ou d’un même réseau comme formant une variété unique.

C’est là une définition plus étendue encore que la première.

Il y a, en effet, des variétés (et nous en verrons plus loin des exemples) qui peuvent être décomposées en un certain nombre de variétés partielles, formant une chaîne ou un réseau continus et telles que chacune d’elles puisse être définie par des équations de la forme (8) (des variétés qui, par conséquent, rentrent dans notre seconde définition) et qui cependant ne peuvent pas être définies par des relations de la forme (1) et ne rentrent pas dans notre première définition.

Au contraire, toute variété qui satisfait à la première définition satisfait aussi à la seconde.

Nous pouvons, en effet, d’après un théorème bien connu, si $y_1,y_2,\ldots,y_n$ sont définis par $n$ relations de la forme

$$ \tag{α} \left\{ \begin{array}{c} y_1 = F_1(x_1,x_2,\ldots,x_n),\\ y_2 = F_2(x_1,x_2,\ldots,x_n),\\ \dots \\ y_n = F_n(x_1,x_2,\ldots,x_n),\\ \end{array} \right. $$

si, dans un certain domaine, les $F$ sont des fonctions holomorphes des $x$, dont le déterminant fonctionnel ne s’annule pas ; nous pouvons, dis-je, résoudre ces équations et en tirer

$$ \tag{β} x_i = \theta_i(y_1,y_2,\ldots,y_n), $$

les $\theta_i$ étant des fonctions des $y$ holomorphes dans un certain domaine.

Soit maintenant une variété $V$ satisfaisant à notre première définition, c’est-à-dire définie par les relations

$$ \tag{1} \begin{array}{cc} F_\alpha = 0, & \phi_\beta >0.\\ \end{array} $$

Reprenons alors les équations ($\alpha$) ; prenons-y, pour $F_1,F_2,\ldots,F_p$, les premiers membres des $p$ égalités (1). Quant aux autres fonctions

$$F_{p+1},\ F_{p+2},\ \ldots,\ F_n,$$

ce seront $n-p$ fonctions holomorphes quelconques des $x$. Je les assujettirai seulement à une condition.

Soit $x_1^0,$ $\ x_2^0,\ \ldots,\ x_n^0$ un point quelconque $M_0$ de la variété $V$. Je m’arrangerai de telle façon que le déterminant fonctionnel des $n$ fonctions $F$ ne s’annule pas pour

$$x_i = x_i^0.$$

Cela est évidemment possible, puisque j’ai supposé que les déterminants fonctionnels des $p$ fonctions

$$F_1,\ F_2,\ \ldots,\ F_p,$$

par rapport à $p$ quelconques des variables $x$, ne s’annulent jamais tous à la fois.

Je puis supposer encore que $F_{p+1},\ F_{p+2},\ \ldots,\ F_n$ s’annulent au point $M_0$, c’est-à-dire pour

$$x_i = x_i^0.$$

Alors, d’après le théorème cité plus haut, on peut résoudre les équations ($\alpha$) et l’on trouve que les $x_i$ s’expriment en séries ordonnées, suivant les puissances de

$$y_1,\ y_2,\ \ldots,\ y_n$$

et convergentes pourvu que ces quantités satisfassent à certaines inégalités.

Soient donc

$$ \tag{β} x_i = \theta_i $$

ces équations et

$$\lambda_k(y_1,y_2,\ldots,y_n)>0$$

les conditions auxquelles les $y$ doivent satisfaire pour que les séries soient convergentes.

Faisons maintenant

$$y_1=y_2=\cdots=y_p =0;$$

les $p$ premières équations ($\alpha$) ne différeront plus des $p$ équations (1) ; et les fonctions $\theta_i$, ne dépendant plus [que] de $n-p=m$ variables, seront de la forme (8).

Alors l’ensemble des relations

$$ \begin{array}{ccc} x_i=\theta_i, & \phi_\beta >0, & \lambda_k>0\\ \end{array} $$

représentera une variété $v$, qui sera définie à la seconde manière et qui, ne différant pas de

$$ \begin{array}{ccc} F_\alpha =0, & \phi_\beta >0, & \lambda_k>0,\\ \end{array} $$

fera partie de $V$.

Le point $M_0$, qui est un point quelconque de $V$, fait partie de $v$. On peut donc construire, autour d’un point quelconque de $V$, une variété analogue à $v$.

Le cas le plus simple est celui où les conditions de convergence $\lambda_k >0$ sont une conséquence des inégalités $\phi_\beta >0$.

Alors $v$ ne diffère pas de $V$ et l’on peut se contenter, pour définir $v$, des égalités (8) et des inégalités

$$ \tag{9} \psi_\beta>0 $$

que l’on obtient en substituant les $\theta$ à la place des $x$ dans les inégalités

$$\phi_\beta >0.$$

Remarquons en passant que tous les déterminants fonctionnels de $m$ des fonctions $\theta$ par rapport aux $y$ ne s’annuleront jamais à la fois.

Si les conditions $\lambda_\beta >0$ n’étaient pas une conséquence des inégalités $\phi_\beta >0$, on partagerait la variété $V$ en variétés partielles ; c’est ainsi, par exemple, que la variété $V$ peut évidemment être décomposée en deux variétés partielles

$$ \begin{array}{ccc} F_\alpha =0, & \phi_\beta >0, & \psi >0\\ \end{array} $$

et

$$ \begin{array}{ccc} F_\alpha =0, & \phi_\beta >0, & \psi <0,\\ \end{array} $$

$\psi$ étant une fonction quelconque de $x_1,x_2,\ldots,x_n$.

Cela posé, nous pourrons toujours partager $V$ en variétés partielles, ou mieux construire sur $V$ un certain nombre de variétés partielles, empiétant les unes sur les autres et assez petites pour que l’on puisse, pour chacune d’elles, trouver un système de variables auxiliaires, qui permette de représenter cette variété partielle par des égalités et des inégalités de la forme (8) et (9), satisfaisant à toutes les conditions que je viens d’énoncer. Tout point $M_0 $ de $V$ appartiendra à l’une de ces variétés partielles et l’ensemble de ces variétés formera un réseau continu. La première définition est ainsi ramenée à la seconde.

Pourtant, il reste une remarque à faire ; il peut arriver qu’à deux systèmes différents de valeurs de $y_1,y_2,\ldots,y_m$ corresponde un même système de valeurs des fonctions $\theta_1,\theta_2,\ldots,\theta_n$ et, par conséquent, un même point de la variété $V$.

Dans ce cas, il convient d’adjoindre aux inégalités (9) d’autres inégalités

$$ \tag{10} \psi_\gamma>0 $$

en les choisissant de telle sorte que des divers systèmes de valeurs des variables $y$, qui correspondent à un même point de $V$, il y en ait toujours un et un seul qui satisfasse aux inégalités (9) et (10).

Soit par exemple, un tore, dont l’équation sera

$$(x_1^2 + x_2^2 +x_3^2 + R^2 - r^2)^2 - 4R^2(x_1^2 + x_2^2) = 0.$$

Posons

$$x_1 = (R + r\cos y_1)\cos y_2, $$

$$x_2 = (R + r\cos y_1)\sin y_2, $$

$$x_3= \sin y_1. $$

Nous voyons qu’à un même point du tore correspondront une infinité de systèmes de valeurs des $y$, compris dans la formule

$$ \begin{array}{cc} y_1+2K_1\pi, & y_2+2K_2\pi,\\ \end{array} $$

où les $K$ sont des entiers.

Mais si nous assujettissons les $y$ aux conditions

$$ \begin{array}{cc} 0 < y_1 <2 \pi , & 0 < y_2 < 2 \pi , \\ \end{array} $$

nous n’aurons plus qu’un système de valeurs des $y$ qui correspondront à un point du tore.