> Textes originaux > Analysis Situs > § 12. Groupe fondamental Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Vous pouvez retrouver nos commentaires par ici. § 12. Groupe fondamental |
Nous sommes ainsi conduit à la notion de groupe fondamental d’une variété.
Soient
$$F_1,\, F_2,\, \ldots,\, F_\lambda,$$
$\lambda$ fonctions des coordonnées $x_1$, $x_2$, $\ldots$, $x_n$ d’un point $M$ d’une variété $V$ définie par les relations
$$\begin{matrix} f_\alpha=0, & \phi_\beta>0.\end{matrix}$$
Je ne suppose pas que les fonctions $F$ soient uniformes. Lorsque le point $M$, partant de sa position initiale $M_0$, reviendra à cette position, après avoir parcouru un chemin quelconque, il pourra se faire que les fonctions $F$ ne reviennent pas à leurs valeurs primitives.
Mais pour mieux fixer les idées et bien que cela n’ait rien d’essentiel, supposons que les fonctions $F$ soient définies de la manière suivante. Elle devront satisfaire à des équations différentielles de la forme
$$\tag{1} dF_i=X_{i,1}dx_1+X_{i,2}dx_2+\ldots+X_{i,n}dx_n, $$
où les coefficients $X_{i,k}$ seront des fonctions données des $x_k$ et des $F_i$. Ces fonctions devront être uniformes, finies et continues, ainsi que leurs dérivées pour toutes les valeurs des $F$ ainsi que pour tous les points de $V$ et même pour tous les points suffisamment voisins de $V$.
Je suppose également que, pour tous les points suffisamment voisins de $V$, les équations (1) satisfassent aux conditions d’intégrabilité, qui peuvent s’écrire
$$\frac{dX_{i,k}}{dx_q}+ \frac{dX_{i,k}}{dF_1}X_{1,q}+ \frac{dX_{i,k}}{dF_2}X_{2,q}+\ldots+ \frac{dX_{i,k}}{dF_\lambda}X_{\lambda,q}$$
$$\hspace{2cm}=\frac{dX_{i,q}}{dx_k}+ \frac{dX_{i,q}}{dF_1}X_{1,k}+ \frac{dX_{i,q}}{dF_2}X_{2,k}+\ldots+ \frac{dX_{i,q}}{dF_\lambda}X_{\lambda,k}.$$
Si alors le point $M$ décrit sur la variété $V$ un contour infiniment petit, les fonctions $F$ reviendront à leurs valeurs primitives. Il en sera encore de même, si le point $M$ décrit sur la variété $V$ un lacet, c’est-à-dire s’il va d’abord de $M_0$ en $M_1$ par un chemin quelconque $M_0BM_1$, s’il décrit ensuite un contour infiniment petit et si, enfin, il revient de $M_1$ à $M_0$ par le même chemin $M_1BM_0$.
Mais il pourra n’en plus être de même s’il décrit un contour fermé fini.
Supposons, par exemple, que nous soyons dans l’espace ordinaire et que notre variété $V$ soit un tore. On pourra évidemment imaginer que les fonctions $F$ reviennent à leurs valeurs primitives, quand le point $M$ décrira un lacet sur ce tore, mais qu’il n’en soit plus de même si le point $M$ décrit une circonférence méridienne ou un parallèle.
Les valeurs finales des fonctions $F$, quand le mobile $M$, partant d’un point initial $M_0$, y reviendra après avoir décrit un contour fermé ; ces valeurs finales, dis-je, dépendront naturellement des valeurs initiales.
Soient donc $F^0_\alpha$ et $F^1_\alpha$ les valeurs initiale et finale de $F_\alpha$. Les $F^1_\alpha$ seront des fonctions des $F^0_\alpha$ ou, en d’autres termes, les fonctions $F$ subiront, quand le point $M$ décrira le contour fermé considéré, une certaine substitution, qui changera les $F^0_\alpha$ en $F^1_\alpha$.
L’ensemble de toutes les substitutions que les fonctions $F$ subiront ainsi, quand le point $M$ décrira tous les contours fermés que l’on peut trouver sur la variété $V$ en partant du point initial $M_0$, formera évidemment un groupe que j’appelle $g$.
Maintenant considérons un contour fermé $M_0BM_0$ tracé sur $V$ et partant du point initial $M_0$. Si ce contour fermé se réduit à un lacet, je conviendrai d’écrire
$$M_0BM_0\equiv 0.$$
Si maintenant $M_0AM_1$, $M_0BM_1$, $M_0CM_1$ sont trois chemins différents tracés sur $V$ et allant de $M_0$ à $M_1$, je conviendrai d’écrire
$$M_0AM_1CM_0\equiv M_0AM_1BM_0+M_0BM_1CM_0.$$
Il importe de remarquer que $M_0AM_1CM_0$ n’est pas la même chose que $M_0CM_1AM_0$, ni $M_0AM_1BM_0+M_0BM_1CM_0$ la même chose que
$$M_0BM_1CM_0+M_0AM_1BM_0;$$
on ne peut pas intervertir l’ordre des termes d’une somme.
Il résulte de cette convention que l’on aura
$$M_0BM_0\equiv 0,$$
si le contour fermé $M_0BM_0$ constitue la frontière complète d’une variété à deux dimensions faisant partie de $V$ ; et, en effet, ce contour fermé pourra alors être décomposé en un nombre très grand de lacets [1].
Nous sommes ainsi conduit [2] à envisager des relations de la forme
$$kC_1+k_2C_2\equiv k_3C_3+k_4C_4,$$
où les $k$ sont des entiers et les $C$ des contours fermés tracés sur $V$ et partant de $M_0$. Ces relations, que j’appellerai des équivalences, ressemblent aux homologies que j’ai étudié plus haut. Elles en diffèrent :
- Parce que, dans les homologies, les contours peuvent partir d’un point initial quelconque ;
- Parce que, dans les homologies, on a le droit d’intervertir l’ordre des termes d’une somme.
$$ $$
On pourra ajouter deux équivalences l’une à l’autre, mais à la condition de ne pas intervertir l’ordre des termes, si donc on a
$$ \begin{array}{ccc} A\equiv B & \mbox{ et } & C\equiv D, \end{array} $$
on pourra en conclure
$$A+C \equiv B+D,$$
mais non
$$C+A \equiv B+D.$$
Ajoutons que de
$$2A \equiv 0,$$
on n’a pas le droit de conclure
$$A \equiv 0.$$
Cela posé, il est clair que l’on peut imaginer un groupe $G$ satisfaisant aux conditions suivantes :
- A chaque contour fermé $M_0BM_0$ correspondra une substitution $S$ du groupe ;
- La condition nécessaire et suffisante pour que $S$ se réduise à la substitution identique, c’est que
$$M_0BM_0 \equiv 0~;$$
- Si $S$ et $S'$ correspondent aux contours de $C$ et $C'$ et si
$$C'' \equiv C+C',$$
la substitution correspondant à $C''$ sera $SS'$.
Le groupe $G$ s’appellera le groupe fondamental de la variété $V$.
Comparons-le au groupe $g$ des substitutions subies par les fonctions $F$.
Le groupe $g$ sera isomorphe à $G$.
L’isomorphisme pourra être holoédrique.
Il pourra être mériédrique si un contour fermé $M_0BM_0$ non décomposable en lacets ramène les fonctions $F$ à leurs valeurs primitives.
[1] Dans les oeuvres figure la note suivante : « Cet alinéa est manifestement faux ; H. Poincaré le rectifie ultérieurement dans le Cinquième Complément »
[2] Sic. Syllepse.