> Textes originaux > Analysis Situs > § 7. Emploi des intégrales Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Vous pouvez retrouver nos commentaires par ici. § 7. Emploi des intégrales |
Considérons une variété $V$ que l’on puisse représenter par les inégalités et égalités (8), (9) et (10) de façon à satisfaire à toutes les conditions énoncées plus haut.
On sait alors ce que l’on doit entendre par l’intégrale multiple d’ordre $m$
$$\int F d y_1,d y_2,\dots,d y_m$$
étendue à la variété $V$ ; je désigne, bien entendu, par $F$ une fonction donnée des $y$. Il faut effectuer l’intégration successivement par rapport aux $m$ variables $y$, et les limites d’intégration sont définies par les inégalités (9) et (10).
Cela posé, je vais définir l’intégrale suivante
$$ \tag{11} \int \sum X_{\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m} d x_{\alpha_1} d x_{\alpha_2} \dots d x_{\alpha_m}. $$
Les différentielles $d x_{\alpha_1},d x_{\alpha_2},\dots, d x_{\alpha_m}$ sont $m$ quelconques des $n$ différentielles $d x_1, d x_2, \dots, d x_n$. Les fonctions $X_{\alpha_1\alpha_2\dots\alpha_m}$ sont des fonctions données des $x_1,\ x_2, \dots, x_n$ et il y en a autant qu’il y a de combinaisons possibles des indices
$$\alpha_1, \alpha_2,\dots, \alpha_m,$$
c’est-à-dire qu’il y a de combinaisons de $n$ lettres $m$ à $m$. Il faut convenir que la fonction $X$ est nulle si deux de ses indices sont égaux et qu’elle change de signe quand on permute deux de ses indices.
Cela posé, l’intégrale (11) sera, par définition, égale à l’intégrale d’ordre $m$
$$\int \sum X_{\alpha_1\alpha_2\dots\alpha_m} \frac{\partial (x_{\alpha_1}, x_{\alpha_2},\dots, x_{\alpha_m})}{\partial (y_1, y_2,\dots, y_m)}d y_1,d y_2,\dots, d y_m.$$
Si maintenant la variété $V$ n’était pas susceptible d’être représentée par des relations de la forme (8), (9) et (10) satisfaisant à toutes les conditions énoncées, on décomposerait la variété $V$ en variétés partielles assez petites pour être susceptibles de ce mode de représentation et l’intégrale (11), étendue à la variété totale $V$, serait par définition la somme des intégrales (11) étendues aux diverses variétés partielles.
Cette définition laisse toutefois subsister encore une ambiguïté.
En effet, si l’on permute deux lettres $y_1$ et $y_2$, l’intégrale change de signe ; il importe donc de se donner l’ordre de ces lettres et la permutation de deux de ces lettres équivaudrait à un changement du sens de l’intégration dans l’étude des intégrales simples. Je dirai donc le sens de l’intégration pour parler de l’ordre dans lequel on convient de ranger les lettres $y_1, y_2,\dots, y_m$.
J’ai eu l’occasion de m’occuper d’une question analogue dans un Mémoire sur les résidus des intégrales doubles, inséré au tome IX des Acta mathematica et, en particulier, dans le paragraphe 3 de ce Mémoire intitulé : Conditions d’intégrabilité.
J’ai recherché dans quels cas ces conditions d’intégrabilité sont remplies, c’est-à-dire dans quels cas l’intégrale (11) est nulle toutes les fois qu’elle s’applique à une variété fermée.
Voici ce que j’ai trouvé ; écrivons pour abréger l’écriture
$$(\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m)$$
au lieu de $X_{\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m}$ et $[\alpha_p]$ au lieu de $x_{\alpha_p}$.
Nos conditions d’intégrabilité s’écriront
$$ \tag{12} \left\{\begin{split} &\frac{d (\alpha_1,\alpha_2,\dots\alpha_m)}{d[\alpha_{m+1}]}\pm \frac{d (\alpha_2,\alpha_3,\dots\alpha_{m-1})}{d[\alpha_{1}]}\\ &\quad\pm\frac{d (\alpha_3,\alpha_4,\dots\alpha_{m},\alpha_{m+1},\alpha_{1})}{d[\alpha_{2}]}\pm\dots\pm\frac{d (\alpha_{m+1},\alpha_1,\alpha_2,\dots\alpha_{m-1},)}{d[\alpha_{m}]}=0, \end{split} \right. $$
Voici la loi suivant laquelle doivent être choisis les signes $\pm$. On prendra toujours le signe $+$ si $m$ est pair, et alternativement le signe $+$ et le signe $-$ si $m$ est impair.
Il y a aura autant d’équations (12) [1] qu’il y a de systèmes possibles d’indices
$$\alpha_1,\alpha_2,\dots\alpha_m,\alpha_{m+1},$$
c’est-à-dire, puisque ces indices doivent être choisis parmi les lettres,
$$1,2,\dots,n,$$
autant qu’il y a de combinaisons de $n$ lettres $m+1$ à $m+1$.
Supposons maintenant que les conditions (12), au lieu d’être satisfaites pour toutes les valeurs possibles de $n$ variables
$$x_1,x_2,\dots, x_n,$$
le soient seulement pour certaines valeurs de ces variables. Par exemple considérons une variété $V$ définie par les conditions
$$F_\alpha=0, \qquad \varphi_\beta>0.$$
Soit ensuite un domaine $D$ comprenant tous les points voisins de ceux de $V$ et défini, par exemple, par les conditions
$$-\epsilon < F_\alpha < \epsilon, \qquad \varphi_\beta > -\epsilon,$$
$\epsilon$ étant un très petit nombre positif.
Supposons que les conditions (12) soient satisfaites pour tous les points du domaine $D$.
En répétant le raisonnement du Mémoire cité et en le modifiant convenablement, on démontrera ce qui suit : Soit une variété $V'$ à $m+1$ dimensions faisant partie de $V$ (le nombre $m+1$ doit donc être inférieur ou au plus égal au nombre de dimensions de $V$).
Supposons que la frontière complète de $V'$ se compose des $k$ variétés à $m$ dimensions
$$W_1,W_2,\dots, W_k,$$
de sorte que $W_1+W_2+\dots+ W_k\sim 0 $.
Alors si l’intégrale (11) satisfait aux conditions (12) dans le domaine $D$, la somme algébrique des intégrales (11) étendue aux variétés $W_1,W_2,\dots, W_k$ est nulle. Il faut bien entendu, pour chacune d’elles, faire attention au sens de l’intégration.
Les conditions (12) sont suffisantes pour qu’il en soit ainsi, mais elles ne sont pas nécessaire ; ces conditions, nous l’avons vu, sont en nombre égal à celui des combinaisons de $n$ lettres $m+1$ à $m+1$ ; il suffirait, pour que le résultat que je viens d’énoncer fût encore exact, que l’intégrale (11) satisfît pour tous les points de $V$ à certaines conditions en nombre égal à celui des combinaisons de $n-p$ lettres $m+1$ à $m+1$, $n-p$ étant le nombre de dimensions de $V$.
Ces conditions seraient aisées à former, mais cela m’entraînerait trop loin de mon sujet.
Si alors une intégrale (11) satisfait aux conditions (12) dans le domaine $D$, les diverses valeurs que cette intégrale pourra prendre quand on l’étendra à diverses variétés fermées à $m$ dimensions faisant partie de $V$ seront des combinaisons linéaires à coefficients entiers d’un certain nombre d’entre elles que l’on pourra appeler les périodes de l’intégrale (11) .
Le nombre maximum des périodes est égal à $P_m-1$ ; car, si l’on considère $P_m$ variétés fermées quelconques à $m$ dimensions, il y aura toujours une variété à $m+1$ dimensions qui admettra comme frontière complète ces $P_m$ variétés ou quelques-unes d’entre elles. Il y a aura donc toujours entre les $P_m$ intégrales correspondantes une relation linéaire à coefficients entiers. On pourrait d’ailleurs faire voir qu’il existe toujours des intégrales de la forme (11) pour lesquelles le nombre maximum des périodes est atteint. Cette manière de faire comprendre la définition des nombres de Betti a été employée par Betti lui-même pour le premier et le dernier de ces nombres, c’est à dire pour $P_1$ et $P_{m-1}$ ; mais nous venons de voir qu’il est aisé de faire de même pour les autres nombres de Betti.
[1] le numéro n’apparaît pas dans l’équation