> Commentaires des textes originaux > Commentaires sur l’Analysis Situs > Commentaires sur le §14 de l’Analysis Situs (Conditions de l’homéomorphisme) Nous présentons sur cette page nos commentaires sur une section des Œuvres Originales de Poincaré : le paragraphe que nous commentons est accessible par ici. Commentaires sur le §14 de l’Analysis Situs (Conditions de l’homéomorphisme) |
Poincaré débute ce paragraphe en rappelant l’un de ses anciens résultats --- la proposition ci-dessous --- qui concerne les surfaces et qui vise certainement à motiver les exemples de variétés de dimension 3 qu’il étudie par la suite.
Commençons par remarquer que la théorie des surfaces, bien qu’encore écrite sous une forme peut-être pas très satisfaisante pour un lecteur moderne, était très approfondie en 1895, en grande partie grâce aux travaux de Poincaré. Henri Paul de Saint Gervais a déjà consacré un ouvrage à ce sujet, nous n’y reviendrons pas. Rappelons juste ici l’énoncé du théorème d’uniformisation de Poincaré et Koebe : toute surface de Riemann peut être obtenue comme quotient de la sphère de Riemann $\widehat{\mathbb{C}}$, du plan complexe $\mathbb{C}$ ou du disque $\mathbb{D}$ par un groupe discret de biholomorphismes qui agit proprement et librement. L’ensemble des surfaces de Riemann peut ainsi être partitionné en trois sous-ensembles :
Les surfaces de Riemann elliptiques : ce sont les surfaces de Riemann $X$ isomorphes à la sphère de Riemann $\widehat{\mathbb{C}}$.
Les surfaces de Riemann paraboliques : ce sont les surfaces de Riemann $X$ isomorphes au plan complexe $\mathbb{C}$, ou à $\mathbb{C}^*$ ou à une courbe elliptique [1], autrement dit un tore complexe, $\mathbb{C} / \Lambda$ où $\Lambda$ est un groupe libre abélien engendré par deux translations linéairement indépendantes. Parmi les surfaces paraboliques, $\mathbb{C}$ est la seule qui soit simplement connexe, $\mathbb{C}^*$ la seule qui ne soit pas simplement connexe et non compacte et les courbes elliptiques sont les seules qui soient compactes. Par ailleurs deux courbes elliptiques $\mathbb{C} / \Lambda$ et $\mathbb{C}/ \Lambda '$ sont isomorphes si et seulement s’il existe $k \in \mathbb{C}^*$ tel que $\Lambda ' = k \Lambda$.
Les surfaces de Riemann hyperboliques : ce sont les surfaces de Riemann $X$ isomorphes à un quotient $\mathbb{D} / \Gamma$, où $\Gamma$ est un sous-groupe discret du groupe $\mathrm{Hol} (\mathbb{D})$ des biholomorphismes du disque qui opère librement sur $\mathbb{D}$.
Le groupe $\mathrm{Hol} (\mathbb{D})$ s’identifie au groupe $\mathrm{PU} (1,1)$ des homographies du type
$$z \mapsto \frac{az+b}{\overline{b} z + \overline{a}}, \quad |a|^2-|b|^2 \neq 0.$$
À l’aide de cette formule, il n’est pas difficile de vérifier que toute transformation dans $\mathrm{Hol} (\mathbb{D})$ envoie un arc de cercle perpendiculaire à $\partial \mathbb{D}$ sur un autre arc de cercle du même type (en autorisant les diamètres de $\mathbb{D}$).
La célèbre intuition de Poincaré qui jaillit dans son esprit au moment où il pose son pied sur la marche d’un omnibus [2] est que le groupe $\mathrm{Hol} (\mathbb{D})$ est aussi le groupe des isométries préservant l’orientation du plan hyperbolique, plan non-euclidien dont un modèle est précisément le disque $\mathbb{D}$ dans lequel les droites sont les arcs de cercles perpendiculaires au bord $\partial \mathbb{D}$ et les angles entre deux droites les angles ordinaires. Comme le plan euclidien, le plan hyperbolique est naturellement muni d’une distance. L’importance de cette intuition est de mettre à disposition les outils de la géométrie classique pour étudier l’action de $\mathrm{Hol} (\mathbb{D})$ sur le disque.
Cette interprétation géométrique de $\mathrm{Hol} (\mathbb{D})$ permet en particulier à Poincaré d’étudier les groupes fuchsiens, c’est-à-dire les sous-groupes discrets de $\mathrm{Hol} (\mathbb{D})$, de la manière suivante.
Comme dans le cas euclidien, on peut associer à un groupe fuchsien $\Gamma$ un domaine fondamental $P$ : on commence par fixer un point $p_0 \in \mathbb{D}$ qui ne soit fixé par aucun élément non trivial de $\Gamma$, puis on prend pour $P$ l’adhérence de l’ensemble des points de $\mathbb{D}$ qui sont plus proche de $p_0$ que de tous ses autres translatés par $\Gamma$.
Un sous-groupe discret $\Gamma \subset \mathrm{Hol} (\mathbb{D})$ opère avec quotient compact sur $\mathbb{D}$ si et seulement si le domaine fondamental $P$ construit ci-dessus est compact dans $\mathbb{D}$.
Dans ce cas :
— $P$ est un polygone (hyperbolique) convexe ;
— la somme des angles de tous ses sommets $\Gamma$-équivalents à un même sommet $v$ (c’est-à-dire situés dans son orbite sous l’action de $\Gamma$) est égale à $2\pi / n_v$, où $n_v$ est un entier $\geq 1$ ;
— l’application de passage au quotient $\mathbb{D} \to \mathbb{D} / \Gamma \cong P / \iota$ est un revêtement ramifié ;
— son lieu de ramification est l’ensemble des $\Gamma$-translatés des sommets $v$ de $P$ et d’ordre de ramification $n(g(v)) = n_v$, pour tout $g \in \Gamma$.
En particulier, $\Gamma$ opère librement [3] si et seulement si la somme des angles de tous les sommets de $P$ qui sont $\Gamma$-équivalents à un même sommet est égal à $2\pi$.
Deux surfaces $\mathbb{D} / \Gamma$ et $\mathbb{D} / \Gamma'$ sont isomorphes si et seulement s’il existe un élément $g \in \mathrm{Hol} (\mathbb{D} )$ tel que $\Gamma' = g \Gamma g^{-1}$. Elles sont difféomorphes si et seulement si $\Gamma$ et $\Gamma'$ sont seulement conjugués dans le groupe des difféomorphismes de $\mathbb{D}$ ; ce qui arrive précisément quand elles ont le même genre.
On peut ajouter que Poincaré avait aussi démontré l’énoncé réciproque, selon lequel si $P$ est un polygone hyperbolique avec un nombre pair de côtés deux à deux identifiés par des éléments $g_i \in \mathrm{Hol} (\mathbb{D})$, de sorte que la somme des angles de tous les sommets de $P$ d’une même classe d’identifications soit égale à $2\pi$, alors le groupe $\Gamma$ engendré par les transformations $g_i$ est un groupe fuchsien qui opère librement sur $\mathbb{D}$. On démontre ici ce résultat et sa généralisation aux trois géométries euclidienne, sphérique et hyperbolique de dimension quelconque.
Après ces rappels, Poincaré énonce le théorème de classification annoncé dans sa Note de 1892 :
Pour chaque $T \in \mathrm{SL} (2 , \mathbb{Z})$, soit $G_T$ le groupe des transformations affines de $\mathbb{R}^3$ engendré par $(x,y,z) \to (x+1, y, z)$, $(x,y,z) \to (x, y+1, z)$ et $(x,y,z) \to (T(x,y), z)$. Alors les variétés quotient $\mathbb{R}^3 /G_T$ et $\mathbb{R}^3 /G_{T'}$ sont difféomorphes si et seulement si $T$ est conjuguée dans $\mathrm{GL} (2 , \mathbb{Z})$ à $T'$ ou à son inverse.
$$ $$
Le résultat énoncé ci-dessus est en fait une version corrigée de celui énoncé par Poincaré dans sa note de 1892. En effet, dans celle-ci Poincaré semble considérer que la conjugaison est dans $\mathrm{SL} (2 , \mathbb{Z})$ et il ne mentionne pas l’inverse.
On donne ici une démonstration « moderne » de cette proposition. Dans la suite on suit l’approche de Poincaré de 1895.
$$ $$
Démonstration. Commençons par remarquer que si $\tau : M \to M$ est un difféomorphisme quelconque, alors la variété obtenue par suspension de $\tau$ :
$$M \times [0,1] / (x ,0) \sim (\tau (x) , 1)$$
est difféomorphe à n’importe quelle variété obtenue par suspension d’un conjugué $\tau ' = v \circ \tau \circ v^{-1} : M \to M$ de $\tau$. En effet, le difféomorphisme $(x,t) \mapsto (v(x) , t)$ de $M \times [0,1]$ envoie le couple de points $((x,0) , (\tau (x) , 1))$ de $M \times [0,1]$ sur le couple $((v(x) , 0), (\tau '(v(x)) , 1))$, et les deux suspensions sont obtenues en identifiant ces couples de points respectifs.
Par ailleurs, l’involution $(x,t) \mapsto (x, 1-t)$ de $M \times [0,1]$ envoie le couple de points $((x,0) , (\tau (x) , 1))$ sur $((\tau (x),0) , (x , 1))$, et l’identification de ces derniers donne la suspension de $\tau^{-1}$.
Il reste à montrer que la condition de la proposition est bien nécessaire. Supposons donc que les variétés $\mathbb{R}^3 /G_T$ et $\mathbb{R}^3 /G_{T'}$ sont difféomorphes. Leurs groupes fondamentaux $G_T$ et $G_{T'}$ sont alors isomorphes en tant que groupes abstraits, et la classification des suspensions de tores découlera de la proposition suivante.
C.Q.F.D.
$$ $$
Les groupes $G=G_T$ et $G'=G_{T'}$ sont isomorphes si et seulement si $T$ est conjuguée à $T'$ ou à son inverse dans $\mathrm{GL} (2 , \mathbb{Z})$.
Démonstration. Le fait que la condition soit suffisante découle de la condition suffisante (déjà démontrée) dans la proposition précédente.
Concentrons-nous à présent sur la nécessité de cette condition. La démonstration de Poincaré n’est pas facile à suivre, on conseille au lecteur de commencer par lire la démonstration moderne proposée ici.
Par la définition du groupe $G= G_T$, on peut trouver trois générateurs $C_1$, $C_2$ et $C_3$ de $G$ tels que $C_1$ et $C_2$ engendrent un sous-groupe distingué $G_{12}$ qui est un groupe abélien libre de rang 2, et
$$\tag{1} C+C_3 \equiv C_3 + T(C) \quad \forall C \in G_{12},$$
où $T : G_{12} \to G_{12}$ désigne l’isomorphisme
$$C_1 \mapsto a C_1 + c C_2, \quad C_2 \mapsto b C_1 + d C_2$$
induit par la matrice $T = \left( \begin{smallmatrix} a & b \\ c & d \end{smallmatrix} \right) \in \mathrm{SL}(2 , \mathbb{Z} )$.
Considérons aussi des générateurs $C_1', C_2', C_3'$ de $G'$ qui vérifient des conditions analogues relativement à $G'= G_{T'}$.
Nous avons supposé que $G$ et $G'$ sont isomorphes. Identifions-les grâce à un isomorphisme quelconque. Nous parlerons donc désormais d’un seul groupe $G$ et nous verrons $C_1, C_2, C_3, C_1', C_2', C_3'$ comme des éléments de ce groupe.
Faisons deux remarques :
- Remplacer $C_3$ par son inverse conduit à remplacer $T$ (dans les relations ci-dessus) par son inverse : en effet en appliquant la relation (1) à $T^{-1} (-C)$ on obtient [4]
$$-T^{-1} (C) + C_3 \equiv C_3 - C \Leftrightarrow C-C_3 \equiv -C_3 + T^{-1} (C).$$
- Remplacer $C_1$ et $C_2$ par $U(C_1)$ et $U(C_2)$, où $U \in \mathrm{GL}(2 , \mathbb{Z} )$, conduit à remplacer $T$ par $UTU^{-1}$ : en effet l’isomorphisme de $G_{12}$ défini par
$$U(C_1 ) \mapsto UTU^{-1} (U(C_1)) \mbox{ et } U(C_2 ) \mapsto UTU^{-1} (U(C_2))$$
coïncide avec $T$. [5]
Supposons dans un premier temps que $\mathrm{trace} \ T' \neq \pm 2$.
Puisque $C_1'$, $C_2'$ et $C_3'$ sont des générateurs de $G$, on peut les écrire de manière unique comme
$$\begin{array}{ccc} C_1' & \equiv & a_3 C_3 + a_1 C_1 + a_2 C_2 , \\ C_2' & \equiv & b_3 C_3 + b_1 C_1 + b_2 C_2 , \\ C_3' & \equiv & c_3 C_3 + c_1 C_1 + c_2 C_2 , \end{array}$$
où le déterminant de la matrice des coefficients est nécessairement égal à $\pm 1$.
1. On peut supposer $b_3=0$.
Si $b_3$ est non nul, on peut trouver une matrice $U= \left( \begin{smallmatrix} p & r \\ q & s \end{smallmatrix} \right) \in \mathrm{SL} (2 , \mathbb{Z})$ telle que $pa_3 + q b_3 = 0$. [6] Quitte à remplacer $C_1$ et $C_2$ par $U(C_1)$ et $U(C_2)$, on peut donc supposer $b_3=0$.
$$ $$
2. Puisque $\mathrm{trace} \ T \neq \pm 2$, $b_3 =0 \Rightarrow a_3 = 0$. De sorte que $c_3 = \pm 1$ et $\left| \begin{smallmatrix} a_1 & a_2 \\ b_1 & b_2 \end{smallmatrix} \right| = \pm 1$.
Sinon $b_3=0$ et $a_3 \neq 0$ et les seules combinaisons linéaires entières de $C_1 '$ et $C_2 '$ qui sont aussi des combinaisons entières de $C_1 $ et $C_2$ sont les multiples de $C_2 '$, autrement dit le sous-groupe abélien libre $G_{12} \cap G_{12}'$ est de rang 1 engendré par $C_2 '$. Donc $-C_3 +C_2 '+C_3 \in G_{12} \cap G_{12}'$ [7] est un multiple de $C_2 '$.
Considérons alors une base $(\xi , \eta)$ du complexifié $G_{12} \otimes \mathbb{C}$ du $\mathbb{Z}$-libre $G_{12}$ qui diagonalise $T$ :
$$T (\xi ) = s \xi, \quad T (\eta ) = s^{-1} \eta.$$
Et décomposons $C_2'$ selon cette base :
$$C_2 ' = \mu \xi + \rho \eta.$$
On a :
$$-C_3 +C_2 '+C_3 \equiv T (C_2 ' ) = s\mu \xi + s^{-1} \rho \eta$$
qui n’est un multiple de $C_2 '$ que si $s=s^{-1}$. Ce qui est impossible puisque l’on a supposé $\mathrm{trace} \ T \neq \pm 2$.
$$ $$
3. Si $c_3=-1$ on remplace $C_3 '$ par $-C_3 '$. On peut donc dorénavant supposer :
$$a_3=b_3=0, \ c_3 = 1 \mbox{ et } \left| \begin{smallmatrix} a_1 & a_2 \\ b_1 & b_2 \end{smallmatrix} \right| = \pm 1.$$
Si la matrice $U^{-1} = \left( \begin{smallmatrix} a_1 & a_2 \\ b_1 & b_2 \end{smallmatrix} \right)$ est différente de l’identité, on peut remplacer $C_1 '$ et $C_2 '$ par $U(C_1 ')$ et $U(C_2 ')$. On peut donc supposer :
$$C_1' = C_1 , \ C_2 ' = C_2 \mbox{ et } C_3 ' = C_3 + c_1 C_1 + c_2 C_2.$$
Dans ce cas les règles de commutations de $C_1$, $C_2$ et $C_3$ montrent que
$$C_1 '+C_3 ' = C_3 ' + a C_1 ' + c C_2 ' \mbox{ et } C_2 ' +C_3' = C_3' + b C_1 ' + d C_2 '$$
alors que l’on sait par ailleurs que
$$C_1 ' + C_3 ' = C_3 ' + a ' C_1 ' + c ' C_2 ' \mbox{ et } C_2+C_3 = C_3 + b 'C_1 + d' C_2.$$
On conclut que $T=T'$.
En échangeant les rôles de $T$ et $T'$ on conclurait de même dans le cas où $\mathrm{trace} \ T \neq \pm 2$. Il reste donc à traiter le cas où
$$\mathrm{trace} \ T = \pm \mathrm{trace} \ T' = \pm 2.$$
Commençons par rappeler qu’un matrice $\left( \begin{smallmatrix} a & b \\ c & d \end{smallmatrix} \right) \in \mathrm{SL} (2 , \mathbb{Z})$ de trace $\pm 2$ est conjuguée dans $ \mathrm{SL} (2 , \mathbb{Z})$ à un matrice de la forme
$$\left( \begin{smallmatrix} 1 & h \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right) \mbox{ ou } \left( \begin{smallmatrix} -1 & h \\ 0 & -1 \end{smallmatrix} \right).$$
En effet, si $c \neq 0$, une matrice $U= \left( \begin{smallmatrix} p & r \\ q & s \end{smallmatrix} \right) \in \mathrm{SL} (2 , \mathbb{Z})$ avec $2cp-(a-d)q=0$ est telle que le coefficient en bas à gauche de la matrice
$$\left( \begin{smallmatrix} s & -r \\ -q & p \end{smallmatrix} \right) \left( \begin{smallmatrix} a & b \\ c & d \end{smallmatrix} \right) \left( \begin{smallmatrix} p & r \\ q & s \end{smallmatrix} \right), $$
c’est-à-dire
$$-q(ap+bq) + p (cp+dq) = cp^2+(d-a)pq-bq^2 = c \left( p- \frac{a-d}{2c} q \right)^2,$$
est égal à zéro.
$$ $$
Maintenant si $\mathrm{trace} \ T = 2$, alors ou bien $T= I$ et le groupe $G_T$ est abélien, ou bien il existe (au signe près) un unique element central primitif. [8] Et si $\mathrm{trace} \ T = -2$, alors ou bien $T= -I$ et tout élément de $G_T$ commute au double de tout autre élément, ou bien il existe (au signe près) un unique élément primitif qui commute au double de tout autre élément.
Le groupe $G$ est en effet engendré par les trois éléments $C_1$, $C_2$ et $C_3$ qui vérifient :
$$C_1+C_2 \equiv C_2+C_1, \ C_1+C_3\equiv C_3 \pm C_1 \mbox{ et } C_2 + C_3 \equiv C_3 + h C_1 \pm C_2.$$
Si $h\neq 0$, l’élément primitif (au signe près) $\pm C_1$ est celui recherché.
Mais puisque les groupes $G$ et $G'$ sont isomorphes, ces éléments doivent se correspondre. En particulier :
$$\mathrm{trace} \ T = 2 \Leftrightarrow \mathrm{trace} \ T' = 2 \mbox{ avec } T=I \Leftrightarrow T'=I$$
et
$$\mathrm{trace} \ T = -2 \Leftrightarrow \mathrm{trace} \ T' = - 2 \mbox{ avec } T=-I \Leftrightarrow T'=-I.$$
De plus si $T=\left( \begin{smallmatrix} 1 & h \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right)$ et $T'=\left( \begin{smallmatrix} 1 & h' \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right)$ avec $h$ et $h'$ non nuls, on peut choisir dans $G' \cong G$ trois générateurs $C_1 '$, $C_2 '$ et $C_3 '$ obéissant aux relations :
$$C_1 '+C_2' \equiv C_2 '+C_1' , \ C_1'+C_3' \equiv C_3 ' \pm C_1 ' \mbox{ et } C_2 ' + C_3 ' \equiv C_3 ' + h C_1 ' \pm C_2 ' .$$
Mais l’unicité de l’élément primitif distingué implique que $C_1' \equiv \pm C_1 $ et quitte à remplacer $C_1 '$ et $C_2'$ par $-C_1'$ et $-C_2'$ on peut même supposer que $C_1 ' \equiv C_1 $. On en déduit que
$$\begin{array}{ccc} C_1' & \equiv & C_1 , \\ C_2' & \equiv & b_1 C_1 + b_2 C_2 + b_3 C_3 , \\ C_3' & \equiv & c_1 C_1 + c_2 C_2 + c_3 C_3 , \end{array}$$
où $b_2c_3-c_2b_3 = \pm 1$. Les règles de commutation de $C_1$, $C_2 $ et $C_3 $ impliquent alors que $C_2 ' + C_3 ' \equiv C_3 ' \pm h C_1' + C_2'$ alors que l’on sait par ailleurs que $C_2' + C_3' \equiv C_3 ' +h' C_1' + C_2'$. On conclut donc que $h'=\pm h$.
Quand $T=\left( \begin{smallmatrix} -1 & h \\ 0 & -1 \end{smallmatrix} \right)$ et $T'=\left( \begin{smallmatrix} -1 & h' \\ 0 & -1 \end{smallmatrix} \right)$ avec $h$ et $h'$ non nuls, un argument similaire montre également que $h'=\pm h$.
Finalement, la matrice $\left( \begin{smallmatrix} 1 & -h \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right)$, resp. $\left( \begin{smallmatrix} -1 & -h \\ 0 & -1 \end{smallmatrix} \right)$, est l’inverse de la matrice $\left( \begin{smallmatrix} 1 & h \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right)$, resp. $\left( \begin{smallmatrix} -1 & h \\ 0 & -1 \end{smallmatrix} \right)$, et la proposition est démontrée. [9]
C.Q.F.D.
$$ $$
En termes modernes, la proposition ci-dessus classifie, à isomorphisme près, toutes les extensions de $\mathbb{Z}^2$ par $\mathbb{Z}$.
Classifier les extensions aux isomorphismes qui préservent le groupe $\mathbb{Z}^2$ près est bien plus simple. La classification se généralise alors aux extensions de n’importe quel groupe $H$ par $\mathbb{Z}$.
La proposition se généralise aux extensions de $\mathbb{Z}^n$ par $\mathbb{Z}$. Il correspond à cette classification algébrique un énoncé topologique --- classification des suspensions de $n$-tores --- qui généralise la proposition ci-dessus.
$$ $$
Puisque la trace d’une matrice $T \in \mathrm{SL} (2, \mathbb{Z})$ est égale à la trace de son inverse $T^{-1}$ ou de n’importe lequel de ses conjugués $UTU^{-1}$, et que cette trace peut prendre une infinité de valeurs distinctes lorsque $T$ varie, la proposition ci-dessus donne une infinité de variétés de dimension 3 compactes qui sont difféomorphes si et seulement leurs groupes fondamentaux sont isomorphes.
Contrairement à ce qu’il avait énoncé un peu rapidement dans sa Note de 1892, Poincaré n’est pas en mesure de montrer que deux variétés orientables de dimension 3 dont les groupes fondamentaux sont isomorphes sont difféomorphes. Ceci est d’ailleurs faux. [10] [11] Concernant cette question et la question de décider quand un groupe de type fini est le groupe fondamental d’une variété compacte orientable de dimension 3, il se contente ici de dire --- de manière prophétique --- que :
Ces questions exigeraient de difficiles études et de longs développements.
Poincaré conclut ce paragraphe mentionnant le « paradoxe de Picard » qui correspond au fait qu’une surface algébrique générique dans $\mathbb{CP}^2$ a un premier nombre de Betti trivial. Poincaré qui semble encore penser que la topologie devrait pouvoir être (presque) entièrement comprise à l’aide des 1-cycles ou des hypersurfaces trouve ce résultat paradoxal. Il se/nous rassure en concluant que la source de ce paradoxe est certainement lié au passage à l’abélianisé et semble donc encore espérer que le groupe fondamental pourra permettre de classifier topologiquement les surfaces algébriques (génériques) dans $\mathbb{CP}^2$. Il parlera moins du groupe fondamental dans les compléments à l’Analysis Situs, après avoir montré qu’une surface algébrique générique dans $\mathbb{CP}^2$ est simplement connexe, il se concentrera en effet plutôt sur l’homologie.
[1] La terminologie parabolique/elliptique apparaît ici bien malheureuse, mais il n’y a plus rien à faire !
[2] Poincaré raconte cet épisode à la page 363 de son article L’invention mathématique (L’Enseignement Mathématique 10 (1908), 357-371), disponible ici.
[3] De manière équivalente, $\Gamma$ est le groupe fondamental de $\mathbb{D} / \Gamma$.
[4] Ce qui redémontre que $G_T$ est isomorphe à $G_{T^{-1}}$.
[5] Cela redémontre que $G_T$ est isomorphe à $G_{UTU^{-1}}$.
[6] En effet : on peut commencer par se donner deux entiers $r$ et $s$ tels que $rb_3 + sa_3$ soit égal au p.g.c.d. de $a_3$ et $b_3$. On peut alors trouver deux entiers $p$ et $q$ vérifiant les deux conditions demandées : $pr-qs=1$ et $pa_3 + q b_3 = 0$.
[7] Rappelons que la loi $+$ n’est pas commutative ici, en termes modernes on dirait donc que le conjugué de $C_2$ par (l’inverse de) $C_3'$ est dans $G_{12} \cap G_{12}'$, ce qui est bien évident puisque $G_{12} \cap G_{12}'$ est distingué et contient (et est même engendré par) $C_2 '$.
[8] C’est-à-dire un élément du centre qui ne soit pas un multiple d’un autre élément.
[9] Ces deux couples de matrices sont en fait conjuguées dans $\mathrm{GL}(2, \mathbb{Z})$ :
$$\left( \begin{smallmatrix} -1 & 0 \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right) \left( \begin{smallmatrix} 1 & h \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right) = \left( \begin{smallmatrix} 1 & -h \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right) \left( \begin{smallmatrix} -1 & 0 \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right)$$
et
$$\left( \begin{smallmatrix} -1 & 0 \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right) \left( \begin{smallmatrix} -1 & h \\ 0 & -1 \end{smallmatrix} \right) = \left( \begin{smallmatrix} -1 & -h \\ 0 & -1 \end{smallmatrix} \right) \left( \begin{smallmatrix} -1 & 0 \\ 0 & 1 \end{smallmatrix} \right).$$
Toutefois la matrice $\left( \begin{smallmatrix} 0 & -1 \\ 1 & 0 \end{smallmatrix} \right)$ (de trace différente de $\pm 2$) n’est pas conjuguée à son inverse dans $\mathrm{GL}(2, \mathbb{Z})$. On ne peut donc pas affaiblir l’énoncé de la proposition en général.
[10] Dans sa Note Poincaré s’était même emballé jusqu’à annoncer cela en toute dimension, mais il est difficile de croire qu’il ait pu « louper » le fait que $\mathbb{S}^4$ et $\mathbb{S}^2 \times \mathbb{S}^2$ sont simplement connexes ! Il faut sûrement lire cet énoncé comme concernant les variétés de dimension 3, les seules variétés qu’il considère dans cette Note.
[11] Les seuls contre-exemples (de dimension 3) irréductibles sont les espaces lenticulaires et la preuve est assez subtile puisqu’elle fait appel à la torsion de Reidemeister ou au produit de Bockstein. En dimension quelconque la conjecture de Borel selon laquelle deux variétés compactes asphériques dont les groupes fondamentaux sont isomorphes sont homéomorphes est encore ouverte.