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Commentaires sur le §II du premier complément

Schéma d’un polyèdre

Poincaré commence par reprendre sa définition de « polyèdre » introduite au §16 de l’Analysis Situs. Cette définition intuitive reste assez vague chez Poincaré elle est à mi-chemin entre les concepts modernes de polyèdre et de CW-complexe ou complexe cellulaire. La seconde est bien plus flexible et correspond certainement à ce que Poincaré a en tête [1] lorsqu’il considère les différents exemples de recollements du cube. Toutefois définir l’application bord en homologie pour un complexe cellulaire est assez délicat (elle requiert une notion de degré et donc un embryon d’homologie) alors que dans le monde plus rigide des polyèdres l’application bord est naturelle. Il n’est pas difficile de se convaincre qu’un quotient de polyèdre est encore un polyèdre au sens moderne où nous le définissons ici. Les exemples de Poincaré rentrent donc tous dans le cadre rigide des polyèdres tels que définis ici.

Une cellulation au sens de Poincaré est alors ce que nous appelons cellulation lisse d’une variété dont on note $m$ la dimension. À une telle cellulation est associée une donnée combinatoire que Poincaré appelle schéma du polyèdre. C’est la collection des matrices $\epsilon^q= (\epsilon_{ij}^q)$, où $q \in \{ 0 , \ldots , m\}$ et $\epsilon_{ij}^q = 1$ si la $(q-1)$-face $i$ est incluse dans le bord de la $q$-face $j$ avec l’orientation induite par l’orientation de $j$, $\epsilon_{ij}^q = -1$ si l’orientation est inversée, et $\epsilon_{ij}^q = 0$ sinon. [2]

Le résultat principal de ce paragraphe est alors la proposition suivante.

Proposition

Si l’on fixe deux indices $i$ et $k$ alors les produits $\epsilon_{ij}^q \epsilon_{jk}^{q-1}$ sont soit tous nuls soit exactement deux d’entre eux sont non nuls, l’un étant égal à $+1$ et l’autre égal à $-1$. Dans tous les cas on a donc

$$\epsilon^q \epsilon^{q-1} =0.$$

 [3]

Démonstration.

Pour $q=m+1$ la proposition résulte du fait qu’il y a exactement deux cellules de dimension $m$ adjacentes à une cellule de dimension $m-1$ donnée. Et pour $q=1$ elle résulte du fait que chaque arête a exactement deux sommets.

Pour traiter les autres valeurs de $q$, on commence par remarquer que le produit $\epsilon_{ij}^q \epsilon_{jk}^{q-1}$ est nul à moins que la $q$-cellule d’indice $i$ contienne la $(q-2)$-cellule d’indice $k$ dans son bord. Mais dans ce cas la $(q-2)$-cellule d’indice $k$ est adjacente à exactement deux $(q-1)$-cellules contenues dans le bord de la $q$-cellule d’indice $i$ et la première partie de la proposition est démontrée.

Finalement, pour tous $i$ et $k$ on a $\sum_j \epsilon_{ij}^q \epsilon{jk}^{q-1} = 0$, autrement dit le produit matriciel $\epsilon^q \epsilon^{q-1}$ est nul.

C.Q.F.D.

$$ $$

En guise d’exemple, Poincaré finit ce paragraphe en explicitant le schéma du tétraèdre --- ou $(n-1)$-simplexe standard. Les faces de ce tétraèdre sont définis par l’ensemble des équations

$$x_1 = 0 , \ldots , x_n = 0 \quad \mbox{et} \quad x_1 + \ldots + x_n = 1$$

dans l’espace $\mathbb{R}^n$. Une $q$-cellule est obtenue en supprimant $q+1$ de ces équations. Supposons que la $(q+1)$-cellule d’indice $j$ est obtenue en supprimant la $\alpha_1$-ième équation, la $\alpha_2$-ième équation, $\ldots$, et la $\alpha_{q+1}$-ième équation. On munit la cellule de l’orientation induite par l’ordre des équations restantes. Alors

$$\epsilon_{ij}^{q+1} = \pm (\beta -\alpha_1) \cdots (\beta - \alpha_{q+1}),$$

si la $q$-cellule d’indice $j$ s’obtient en omettant en plus la $\beta$-ième équation. À l’aide de cette remarque Poincaré vérifie la proposition dans ce cas particulier.

Un commentaire sur l’application bord chez Poincaré.

L’application bord $\partial : C_q \to C_{q-1}$ est explicité dans l’article de Poincaré. Toutefois il utilise la notation $c \equiv f$, avec $c \in C_q$ et $f \in C_{q-1}$, c’est-à-dire une congruence impliquant $q$-cellules et $(q-1)$-cellules, à la place de la notation moderne $\partial (c)=f$. Ainsi la notation $c \equiv 0$, avec $c \in C_q$, une congruence n’impliquant que des $q$-cellules, signifie que $c$ est un cycle, c’est-à-dire que $\partial (c)=0$. Et plus généralement $c\equiv f$, avec $c \in C_q$ et $f\in C_q$, signifie que $c-f\equiv 0$, c’est-à-dire que $c-f$ est un cycle.

$$ $$

Les conditions de la proposition ne caractérisent pas les matrices d’incidence que l’on peut obtenir à partir d’une cellulation lisse d’une variété compacte.

Il faut en effet que l’étoile, ou aster dans la terminologie de Poincaré et souvent dénommé dans la terminologie moderne link, de tout sommet soit une cellule. Poincaré pose donc la question de caractériser combinatoirement l’ensemble de toutes les matrices d’incidence qui correspondent à une variété $V$ donnée. Un théorème de Newman [4] donne une description de cet ensemble à condition de connaître une cellulation de $V$.

Finalement, Poincaré demande si deux variétés munies de cellulations lisses de mêmes matrices d’incidence sont difféomorphes. La réponse semble assez clairement positive puisque le difféomorphisme peut être défini en suivant la manière dont les cellules sont recollées entre elles.


[1Poincaré se contente de seulement demander que les cellules soient simplement connexes. Mais comme nous l’avons déjà fait remarquer cela signifie souvent cellule au sens moderne. D’un autre côté Poincaré suppose que l’adhérence de chaque $k$-face forme une boule fermée, mais en pratique il veut parfois pouvoir considérer des décompositions plus générales où une cellule peut se recoller avec elle-même sur son bord comme dans les exemples du §10 ou encore dans le quatrième complément.

[2Autrement dit, c’est la matrice de l’application bord $\partial$ dans le complexe des chaînes polyédrales associé à la cellulation.

[3Autrement dit, on a $\partial \circ \partial =0$. La formule la plus important du XXième siècle ?

[4M.H.A. Newman, On the foundations of combinatory Analysis Situs, Proc. Acad.. Wetensch. Amsterdam, 29 (1926), 611-641 and 30 (1927), 670-673.