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Dans cet article, on définit des groupes d’homologie pour une catégorie d’objets rigides vivant dans un espace affine et décomposés en cellules linéaires, les complexes. On a expliqué dans l’introduction à cette rubrique que pour réaliser l’objectif de Poincaré il faut élargir la classe des sous-variétés à bord, afin d’autoriser des « sous-variétés » dont le bord comporte des faces, des arêtes, des sommets, etc. et s’autoriser à découper les sous-variétés en morceaux. Dans un complexe les cellules linéaires jouent naturellement le rôle de ces morceaux.
Chaînes cellulaires (affines)
Soit $K$ un complexe (linéaire). On pose :
$$K^{(i)} = \{ \sigma \in K \; \big| \; \sigma \mbox{ est une cellule de dimension } i \}$$
et pour tout $\sigma \in K$ on suppose fixée une orientation [1].
On note $C_i (K)$ le $\mathbb{Z}$-module des $i$-chaînes (à support compact) sur $K$, c’est-à-dire le groupe abélien librement engendré par $K^{(i)}$. Une $i$-chaîne $c \in C_i (K)$ est donc une combinaison linéaire
$$c = \sum_{\sigma \in K^{(i)}} c_{\sigma} \sigma$$
où $c_{\sigma} \in \mathbb{Z}$ est non-nul seulement pour un ensemble fini de $\sigma$.
On dispose sur $C_i (K)$ d’une application bord naturelle
$$\partial : C_i (K) \to C_{i-1} (K)$$
linéaire. Par linéarité, il suffit de donner son expression sur chaque cellule $\sigma \in K^{(i)}$. Elle est donnée par la formule
$$\partial \sigma = \sum_{\tau \ \mathrm{hyperface} \ \mathrm{de} \ \sigma} \pm \tau,$$
où le signe $\pm$ est $+$ si l’orientation de $\tau$ est induite par celle de $\sigma$ [2] et est $-$ sinon. Le lemme élémentaire suivant est fondamental.
On a $\partial \circ \partial = 0$.
Démonstration. Il suffit de vérifier la formule sur une cellule $\sigma \in K^{(r)}$. On a
$$\partial \sigma = \sum_{\tau \ \mathrm{hyperface} \ \mathrm{de} \ \sigma} \pm \tau$$
et
$$\partial (\partial \sigma) = \sum_{\tau \ \mathrm{hyperface} \ \mathrm{de} \ \sigma} \pm \partial \tau.$$
Chaque face de codimension 2 de $\sigma$ est l’intersection d’exactement deux hyperfaces $\tau$ et $\tau'$ de $\sigma$ et les orientations induites se compensent. On en déduit que $\partial (\partial \sigma) = 0$.
Si $K$ est supposé simplicial (ce que l’on peut toujours supposé après subdivision) la démonstration est un calcul élémentaire : on peut supposer que le simplexe $\sigma \in K^{(r)}$ a pour sommets $s_0 , \ldots , s_r$ (indexés de manière cohérente avec l’orientation). On note $\sigma_i$, resp. $\sigma_{ij}$, le simplexe orienté de dimension $r-1$, resp. $r-2$, obtenu en omettant le sommet $s_i$, resp. les sommets $s_i$ et $s_j$ avec $i < j$. On a alors :
$$\partial \sigma = \sum_{i=0}^r (-1)^i \sigma_i ,$$
$$\partial \sigma_i = \sum_{j=0}^{i-1} (-1)^j \sigma_{ji} + \sum_{j=i+1}^r (-1)^{j-1} \sigma_{ij}$$
et donc
$$\partial (\partial \sigma) = \sum_{j < i} (-1)^{i+j} \sigma_{ji} + \sum_{i < j} (-1)^{j+i-1} \sigma_{ij} = 0 .$$
C.Q.F.D.
On dit alors que
$$\ldots \to C_i (K) \stackrel{\partial}{\to} C_{i-1} (K) \stackrel{\partial}{\to} \ldots \stackrel{\partial}{\to} C_0$$
est un complexe de chaînes. [3] L’application bord est parfois aussi appelée la différentielle du complexe de chaines.
Cycles, bords et homologies
Dans ce contexte la généralisation naturelle d’une sous-variété fermée est une combinaison de « morceaux », de cellules linéaires donc, dont le bord est nul. Cela motive les définitions suivantes qui reprennent, dans le contexte des complexes linéaires, les définitions originales de Poincaré.
Une $i$-chaîne $c \in C_i (K)$ est un $i$-cycle si son bord est nul, c’est-à-dire si $\partial c = 0$. On note
$$Z_i (K) = \mathrm{ker} (\partial : C_i (K) \to C_{i-1} (K))$$
le sous-module des $i$-cycles.
Une $i$-chaîne $c \in C_i (K)$ est un bord --- on dit aussi que $c$ est homologue à $0$ --- si elle est le bord d’une $(i+1)$-chaîne. On note
$$B_i (K) = \mathrm{im} (\partial : C_{i+1} (K) \to C_{i} (K))$$
le sous-module des $i$-cycles qui sont homologues à $0$.
Il découle du lemme que $B_i (K)$ est un sous-module de $Z_i (K)$.
$$H_i (K) = Z_i (K) / B_i (K)$$
est appelé $i$-ème groupe d’homologie du complexe $K$. Supposons $K$ fini. Alors chaque $H_i (K)$ est un groupe abélien de type fini avec une partie libre et une partie de torsion.
Soit $K$ un complexe dont les groupes d’homologie $H_i(K)$ sont de type fini pour tout $i$. On appelle $i$-ème nombre de Betti de $K$ le rang de la partie libre de $H_i (K)$ ; on le note $b_i (K)$.
On appelle $i$-ème groupe de torsion de $K$ le sous-groupe de torsion de $H_i (K)$ ; on le note $\mathrm{Tors}_i (K)$.
1. Le segment $I=[0,1]$ peut être vu comme un complexe simplicial avec un simplexe $a$ de dimension 1 et deux simplexes $\alpha$ et $\beta$ de dimension 0. On a alors $C_1 = \mathbb{Z}$ (avec $a$ comme générateur), $C_0 = \mathbb{Z}^2$ (avec $\alpha$ et $\beta$ comme générateurs) et $\partial (a) = \beta -\alpha$, de sorte que $H_1 =0$ et $H_0 = \mathbb{Z}$.
2. Un simplexe de dimension $k$ est un complexe simplicial. On a $\mathrm{rang} C_i = \left(\begin{smallmatrix} k+1 \\ i+1 \end{smallmatrix}\right)$ et la suite
$$0 \to C_k \to C_{k-1} \to \ldots \to C_0$$
est exacte. Les groupes d’homologie $H_i$, $i>0$, sont donc tous triviaux. Enfin on a $H_0 = \mathbb{Z}$.
3. Le bord d’un $(k+1)$-simplexe est un complexe simplicial. Le polyèdre associé est homéomorphe à la sphère de dimension $k$. Tous les groupes d’homologies de ce complexe simplicial sont triviaux sauf $H_k$ et $H_0$ qui sont isomorphes à $\mathbb{Z}$.
- Soit $K$ un complexe de dimension [4] $m$. Alors $H_{i\geq m+1}(K)=0$
- Soit $(K_{i})_{i\in I}$ une famille de complexes disjoints dans $\mathbb{R}^n$. Alors, $H_*(\coprod K_i) =\bigoplus_{i\in I} H_*(K_i)$.
Démonstration. Dans les deux cas, le résultat est déjà vrai au niveau des complexes de chaînes : d’une part $C_{*>m}(K)=0$ par définition et d’autre part $C_*(K\coprod K')= C_*(K)\oplus C_*(K')$ car l’opérateur de bord envoie une face dans une combinaison linéaire de sous-faces. C’est encore vrai pour un produit infini.
C.Q.F.D.
Pour tout complexe $K$, le groupe $H_0 (K)$ est un groupe abélien libre de rang égal au nombre de composantes connexes du polyèdre $|K|$.
Démonstration. On peut supposer $|K|$ connexe. Le groupe $Z_0 (K) = C_0(K)$ est engendré par les sommets de $K$. Maintenant, l’image d’une arête $\alpha \beta$ par l’application bord $\partial$ est égale à $\pm (\alpha - \beta)$. Le sous-groupe $B_0 (K) \subset Z_0 (K)$ est donc engendré par les $\alpha - \beta$, où $\alpha \beta$ est une arête. En identifiant $Z_0 (K)$ à $\mathbb{Z}^M$, où $M$ est le nombre de sommets, on obtient que $B_0 (K)$ est contenu dans l’hyperplan $L$ d’équation $x_1 + \ldots + x_M =0$ et l’engendre, puisque $K$ est supposé connexe. On en conclut que $H_0 (K) = \mathbb{Z}^M / L$ est isomorphe à $\mathbb{Z}$.
C.Q.F.D.
Exemples de calculs
Un des avantages de l’homologie polyédrale est que l’on peut vite se lancer dans les calculs sur des exemples. Reste que trianguler une variété nécessite souvent beaucoup de triangles. [5] Dans la « nature » une variété est d’ailleurs plus souvent décrite comme un quotient de polyèdre que directement réalisée comme un polyèdre (affine). On montre ici que c’est égal à condition de remplacer « cellule » par « classe de cellules » dans les définitions ci-dessus.
Ainsi les trois recollements possibles du carré donnent le tore, le plan projectif réel et la bouteille de Klein. La surface fermée orientable de genre $g$ peut quant à elle être obtenue par un recollement du $4g$-gone comme le montrent les deux animations suivantes en genre 2 et 3.
Ces recollements donnent des décompositions polyédrales de ces surfaces. Dans le cours filmé ci-dessous on explique comment calculer simplement les espaces de chaînes, les groupes d’homologie, puis la caractéristique d’Euler-Poincaré associés à ces décompositions.
Les mêmes considérations peuvent être utilisées en dimension $3$, notamment pour étudier les variétés obtenues comme recollements du cube ou la variété dodécaédrique de Poincaré.
Et après ça ?
L’article Invariance par subdivision montre que deux polyèdres PL-homéomorphes ont des groupes d’homologie isomorphes. On montre plus généralement ici que les groupes $H_i (K)$ --- et donc $b_i (K)$ et $\mathrm{Tors}_i (K)$ --- sont en fait des invariants topologiques de la réalisation $|K|$ de $K$. Mais on n’a pas besoin de cela pour aller lire l’article Formule d’Euler-Poincaré qui énonce et démontre une vaste généralisation la célèbre formule d’Euler
$$S-A+F = 2$$
liant les nombres de sommets, d’arêtes et de faces d’un polyèdre de dimension $2$ homéomorphe à la sphère $\mathbb{S}^{2}$.
[1] Si $K$ est un complexe simplicial, en pratique il est souvent commode de choisir un ordre total sur l’ensemble des sommets de $K$, et de munir les simplexes de $K$ de l’orientation induite
[2] Si $K$ est simplicial et que l’orientation de chaque simplexe est induite par un choix d’ordre total sur les sommets de $K$, l’orientation d’une face $\tau$ de $\sigma$ est induite par celle de $\sigma$ si et seulement si $\tau$ est obtenu en omettant un sommet d’indice pair.
[3] Un complexe de chaînes est précisément la donnée d’une suite $(C_i)_{i\in \mathbb{N}}$ de $\mathbb{Z}$-modules munis d’applications « bord » $\partial_i C_i \to C_{i-1}$ telle que $\partial_{i} \circ \partial_{i+1} =0$. On le note souvent $\ldots \to C_i \stackrel{\partial_{i}}{\to} C_{i-1} \stackrel{\partial_{i-1}}{\to} \ldots \stackrel{\partial_1}{\to} C_0$.
[4] La dimension de $K$ est la dimension maximale d’une cellule de $K$.