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Complexes de (co)chaînes et (co)homologie

Dans cet article, on travaille à coefficients dans un anneau commutatif unitaire quelconque $k$. Le lecteur pourra sans peine considérer uniquement, suivant Poincaré, le cas de $k=\mathbb{Z}$.

Définition (Complexes de (co)chaînes)
  • Un complexe de chaînes $(C_*,\partial)$ est une suite groupes abéliens $(C_i)_{i\geq 0}$ munie d’applications linéaires (dîtes de bord [1]) $\partial_i: C_i\to C_{i-1}$ (par convention $\partial_0 =0$) telle que, pour tout $i\geq 1$, on a $\partial_{i} \circ \partial_{i+1}=0$. Lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté, on omet souvent l’indice $i$ dans $\partial_i$. On note souvent un complexe de chaînes sous la forme

    $$\dots \stackrel{\partial}\to C_n \stackrel{\partial}\to C_{n-1}\dots \stackrel{\partial}\to C_2 \stackrel{\partial}\to C_1 \stackrel{\partial}\to C_0. $$

  • Un complexe de cochaînes $(C^*,b)$ est une suite groupes abéliens $(C^i)_{i\geq 0}$ munie d’applications linéaires (dîtes de cobord) $b_i: C^i\to C^{i+1}$ (par convention $\partial_{-1} =0$) telle que, pour tout $i\geq 0$, on a $b_{i+1} \circ b_{i}=0$. Lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté, on omet souvent l’indice $i$ dans $b_i$. On note souvent un complexe de cochaînes sous la forme

    $$C^0 \stackrel{b}\to C^1 \stackrel{b}\to C^2 \stackrel{b}\to \dots \stackrel{b}\to C^n\stackrel{b}\to C^{n+1}\dots . $$

Un élément de $C_n$ (resp. $C^n$) sera appelé une chaîne (resp. cochaîne) de degré $n$.

Un morphisme $f: (C_*,\partial) \to (D_*,d)$ entre complexe de chaînes est une suite [2] d’applications linéaires $f_i: C_i \to D_i$ qui commutent avec les opérateurs de bord ; c’est à dire (en omettant les indices $i$) : $f\circ \partial = d\circ f$.
On définit de manière analogue les morphismes de complexes de cochaînes.

Remarque : On peut étendre les définitions précédentes de (co)chaînes au cas $\mathbb{Z}$-gradués. Ainsi un complexe de chaînes $\mathbb{Z}$-gradué est une suite

$$ \dots \stackrel{\partial}\to C_n \stackrel{\partial}\to C_{n-1}\dots \stackrel{\partial}\to C_2 \stackrel{\partial}\to C_1 \stackrel{\partial}\to C_0 \dots \stackrel{\partial}\to C_{-n} \stackrel{\partial}\to C_{-n-1} \stackrel{\partial}\to \dots $$

telle que $\partial \circ \partial =0$.
On peut alors identifier un complexe de chaînes $C_*$ $\mathbb{N}$-gradué au sens de la définition précédente avec un complexe de cochaînes $C^*$ concentré en degré négatif via la règle $C^i:=C_{-i}$. Le dual d’un complexe de chaînes est un complexe de cochaînes (cf Définition du complexe dual ci-dessous).
Cependant, en topologie algébrique, les complexes de chaînes et cochaines qui interviennent sont en général concentrés en degrés positifs et donc la définition précédente sera suffisante.

Définition (Cycles, bords et groupes de (co)homologie) Soit $(C_*,\partial)$ un complexe de chaîne.
  1. Une $i$-chaîne $c \in C_i$ est un $i$-cycle si son bord est nul, c’est-à-dire si $\partial c = 0$. On note

    $$Z_i (C_*) = \mathrm{ker} (\partial : C_i \to C_{i-1} )$$

le sous-module des $i$-cycles.

  • Une $i$-chaîne $c \in C_i$ est un bord --- on dit aussi que $c$ est homologue à $0$ --- si elle est le bord d’une $(i+1)$-chaîne. On note

    $$B_i (C_*) = \mathrm{im} (\partial : C_{i+1} \to C_{i} )$$

le sous-module des $i$-cycles qui sont homologues à $0$. De $\partial \circ \partial =0$, il découle que $B_i(C_*)\subset Z_i(C_*)$.

  • Le groupe quotient $H_i (C_*) = Z_i (C_*) / B_i (C_*)$ est appelé $i$-ème groupe d’homologie du complexe de chaînes $(C_*,d)$.

Étant donné un complexe de cochaînes $(C^*,b)$, on définit de manière analogue les i-cocycles $Z^i(C^*):= \mathrm{ker} (\partial : C_i \to C_{i+1} )$, $i$-cobords $B_i (C^*) = \mathrm{im} (\partial : C_{i-1} \to C_{i} )$ et $i$-ème groupe de cohomologie $H^i (C^*) = Z^i (C^*) / B^i (C^*)$ du complexe de cochaînes $(C^*,b)$.

La remarque précédente illustre le fait qu’une cochaîne de degré $i$ doit être pensée comme étant en « degré homologique $-i$ ».

Un morphisme de complexes $f: C\to D$ de (co)chaînes induit une application linéaires entre (co)cycles, (co)bords et donc aussi une application $f: H_*(C)\to H_*(D)$ entre groupes de (co)homologie par passage au quotient.

Définition (Quasi-isomorphisme) Un morphisme de complexes de (co)chaînes $f: C\to D$ est appelé quasi-isomorphisme si les applications induites $f: H_i(C)\to H_i(D)$ en (co)homologie sont des isomorphismes pour tout entier $i$.
Exemple Un isomorphisme de complexes est, bien entendu, un quasi-isomorphisme. La réciproque est évidemment fausse. Par exemple, si $X$ est un espace topologique contractile, le complexe $C_*^{Sing}(X)$ des chaînes singulières de $X$ est quasi-isomorphe à $\mathbb{Z}$ vu comme complexe concentré en degré $0$ (bien que le premier soit de type infini dans chaque degré si, par exemple, $X=\mathbb{R}^n$). Le quasi-isomorphisme est précisément donné par l’application qui est nulle en degré $i>0$ et, en degré $0$, envoie linéairement tout point de $x$ sur $1\in \mathbb{Z}$.

Plus généralement, si $f: X\to Y$ est une équivalence d’homotopie entre espaces topologiques, alors $C_*^{Sing}(X) \to C_*^{Sing}(Y)$ est un quasi-isomorphisme, cf le lemme d’invariance homotopique.

L’exemple précédent illustre que la notion de quasi-isomorphisme est une « bonne notion d’équivalence » entre complexes de (co)chaînes. C’est celle qui identifie des objets à déformation près (par exemple homotopie pour les espaces topologiques, mais ce phénomène apparait aussi en géométrie algébrique...).

Les notions usuelles d’algèbre linéaire s’étendent aux complexes. Par exemple une suite courte $ C\to C'\to C''$ de complexes de (co)chaînes est exacte si les suites courtes induites $C_i \to C'_i \to C_i''$ sont exactes pour tout $i$.

Le théorème suivant est fondamental en algèbre homologique.

Théorème (Suite longue en homologie associée à une suite courte de complexes) Si $C \to C' \to C''$ est une suite exacte courte de complexes, il existe une suite exacte longue

$$ \ldots \to H_i (C) \to H_i (C') \to H_i (C'') \to H_{i-1} (C) \to \ldots$$

$$ \ldots \to H_0 (C) \to H_0 (C' ) \to 0. $$

des groupes d’homologie de ces complexes. On a aussi un résultat similaire en cohomologie.

Démonstration Il s’agit d’une application du Lemme du serpent qu’on trouvera dans tout livre consacré à l’algèbre homologique.
Énoncé du Lemme du serpent

Lemme du serpent Étant donné un diagramme commutatif de $k$-modules

$$ \xymatrix{ 0 \ar[r] & M' \ar[r]^u \ar[d]_{d'} & M \ar[r]^p \ar[d]_{d} & M'' \ar[r] \ar[d]_{d''} & 0 \\ 0 \ar[r] & N' \ar[r]^v & N \ar[r]^q & N'' \ar[r] & 0 } $$

dont les lignes sont des suites exactes, on peut compléter de façon naturelle ce diagramme pour obtenir le suivant, appelé diagramme du serpent :

$$ \xymatrix@=8pt{ && 0 \ar[dd] && 0 \ar[dd] && 0 \ar[dd] && & \\ && && && && & \\ 0 \ar[rr] && \mathrm{ker} d' \ar[rr]^{\tilde u} \ar[dd]_{i'} && \mathrm{ker} d \ar[rr]^{\tilde p} \ar[dd]_{i} && \mathrm{ker} d'' \ar `r/8pt[d] `[d] `[ddl] |(.45)\hole |(.65){i''} |(.85)\hole `[dddll] |(.15)\hole |(.24)p |\hole `[ddddlll] |\hole |(.7)d |(.85)\hole `[dddddllll] |(.18)\hole |(.28)v |\hole `[ddddddlllll] |\hole |(.7){\pi'} |(.85)\hole `[ddddddllll]_\delta [ddddddllll] \ar[dd] && \\ && && && && & \\ 0 \ar[rr] && M' \ar[rr]^u \ar[dd]_{d'} && M \ar[rr] \ar[dd] && M'' \ar[rr] \ar[dd]_{d''} && 0 & \\ && && && && & \\ 0 \ar[rr] && N' \ar[rr] \ar[dd] && N \ar[rr]^q \ar[dd]_{\pi} && N'' \ar[rr] \ar[dd]_{\pi''} && 0 & \\ && && && && & \\ && \mathrm{coker} d' \ar[rr]^{\bar v} \ar[dd] && \mathrm{coker} d \ar[rr]^{\bar q} \ar[dd] && \mathrm{coker} d'' \ar[rr] \ar[dd] && 0 & \\ && && && && & \\ && 0 && 0 && 0 && & \\ } $$

et dans lequel :

$$ \xymatrix{ 0 \ar[r] & \mathrm{ker} d' \ar[r]^{\tilde u} & \mathrm{ker} d \ar[r]^{\tilde p} & \mathrm{ker} d'' \ar[r]^\delta & \mathrm{coker} d' \ar[r]^{\bar v} & \mathrm{coker} d \ar[r]^{\bar q} & \mathrm{coker} d'' \ar[r] & 0 \\ } $$

est une suite exacte.

Démonstration du lemme
On commence par construire l’application $\delta$. Soit $x''\in \mathrm{ker} d''$. Il nous faut définir $\delta(x'')$. Pour cela on va parcourir le diagramme du serpent en suivant la fléhe $\delta$. L’élément $x''$ s’envoie par $i''$ sur l’élément $i''(x'')\in M''$. Comme $p$ est surjective, il existe $m\in M$ tel que $p(m)=i''(x'')$. On choisit un tel $m$ (qui n’a aucune raison d’être unique). Cela nous fournit $d(m)\in N$. On souhaite remonter cet élément $d(m)$ dans $N'$. La commutativité du diagramme nous assure que $q\circ d(m)=d''\circ p(m) = d''\circ i'' (x'')=0$ (car $d''\circ i''=0$).
D’où $d(m)\in \mathrm{ker} q=\mathrm{im} v$ ; donc il existe bien $n'\in N'$ tel que $d(m)=v(n')$. Notons que de plus ce $n'$ est unique par injectivité de $v$. On obtient maintenant un élément $\pi'(n')\in \mathrm{coker} d'$. On souhaite poser $\delta(x'')=\pi'(n')$. Mais l’élément $n'$ obtenu dépend du choix du $m\in M$ tel que $p(m)=i''(x'')$ (et uniquement de ce choix). Il nous faut donc vérifier que $\pi'(n')$ ne dépend pas de ce choix pour définir l’application $x''\mapsto \delta(x'')=\pi'(n')$ ; puis montrer que cette application est bien linéaire. Soient $m_1,m_2\in M$ deux choix tels que $d(m_1)=i''(x'')=d(m_2)$. On note $n_1',n_2'$ les éléments obtenus par la construction précédente (c’est à dire $v(n'_1)=d(m_1)$, $v(n'_2)=d(m_2)$). On doit montrer que $\pi'(n_1')=\pi'(n_2')$ ce qui est équivalent à $\pi'(n_1'-n_2')=0$ c’est à dire $n_1'-n_2'\in \mathrm{ker} \pi'=\mathrm{im} d'$. Or, par construction $d(m_1-m_2)=d(m_1)-d(m_2)=0$. Donc $m_1-m_2\in \mathrm{ker} p=\mathrm{im} u$ et on en déduit un élément $m'\in M'$ tel que $u(m')=m_1-m_2$. Mais alors $v\circ d'(m')=d\circ u(m')=d(m_1-m_2)=v(n_1'-n_2')$. Par injectivité de $v$, on en déduit que $n_1'-n_2'=d'(m')\in \mathrm{im} d'$. Conclusion : on peut donc bien définir $\delta(x'')=\pi'(n')$. Il reste à prouver la linéarité. C’est une conséquence immédiate de la linéarité de toutes les applications du diagramme et de l’indépendance de $\delta(x'')$ du choix du $m$ (en effet, si $m_1,m_2$ vérifient $p(m_1)=i''(x_1''), p(m_2)=i''(x_2'')$, on peut prendre $m_1+m_2$ comme antécédent de $i''(x_1''+x_2'')$ et on vérifie facilement qu’on obtient ainsi $\delta(x_1''+x_2'')=\delta(x''_1)+\delta(x_2''$ avec ce choix). Résumons la construction de $\delta$ : à partir de $x''$, on se donne un $m\in M$ satisfaisant

$$ p(m)=i''(x'') $$

et ensuite un élément $n'\in N'$ tel que

$$ v(n')=d(m). $$

On a alors $\delta(x'')=\pi'(n')$.

Il faut maintenant montrer l’exactitude de la suite. Le point essentiel dans les applications est de montrer que $ \mathrm{ker} \delta=\mathrm{im} \tilde p$ et $\mathrm{ker} \bar v=\mathrm{im} \delta$ ; et c’est le seul que nous démontrons (de manière détaillée). Montrons déjà $\mathrm{im} \tilde p \subset \mathrm{ker} \delta$ et $\mathrm{im} \delta \subset \mathrm{ker} \bar v$ (c’est à dire $\delta \circ \tilde p=0= \bar v\circ \delta$).
Calculons $\delta(\tilde p(x))$ ; on reprend la construction de $\delta$ : on peut prendre $m=i(x)$ dans la construction car on a bien $p\big((x)\big)=i''\big(\tilde p(x)\big)$. Mais alors $d(m)=d\circ i(x)=0$ (car $d\circ i =0$). Il suit que $i(n')=0$ donc $n'=0$ par injectivité et finalement $\delta(\tilde p (x))=\pi'(n')=\pi'(0)=0$.

D’autre part, toujours à l’aide de la construction de $\delta$, on a quel que soit $x''\in \mathrm{ker} d''$, $\bar v \circ \delta(x'')= \bar v \circ \pi'(n')=\pi \circ v(n')=\pi\circ d(m)=0$ (car $\pi \circ d=0$). Conclusion : $\mathrm{im} \delta \subset \mathrm{ker} \bar v$.

Montrons enfin les inclusions inverses.
Soit $x''\in \mathrm{ker} \delta$. On va "remonter’’ le diagramme pour trouver un antécédent de $x''$ par $\tilde p$. D’après la construction de $\delta$, cela signifie que $\pi'(n')=0$ où $n'$ satisfait la relation $v(n')=d(m)$. Comme $\mathrm{ker} \pi'=\mathrm{im} d'$, il existe $m'\in M'$
tel que $n'=d'(m')$ et alors $d\circ u(m')=v\circ d'(m')=v(n')=d(m)$. D’où $m-u(m')\in \mathrm{ker} d =\mathrm{im} i$ ; donc il existe $x\in \mathrm{ker} d$ tel que $m-u(m')=i(x)$. On veut montrer que $\tilde p (x)=x''$. Par injectivité de $i''$, il suffit de montrer que $i''(\tilde p (x) -x'')=0$. Or $i''\circ \tilde p(x) = p\circ i(x)=p(m-u(m'))=p(m)$ (car $p\circ u=0$). Comme $p(m)=i''(x'')$, on a bien $i''(\tilde p(x)-x'')$. Conclusion : $\mathrm{ker} \delta \subset\mathrm{im} \tilde p$ ce qui
termine la démonstration de l’égalité $\mathrm{ker} \delta = \mathrm{im} \tilde p$.

Soit $y\in \mathrm{ker} \bar v $ ; on cherche $x''\in \mathrm{ker} d''$ tel que $\delta(x'')=y$. Par surjectivité de $\pi'$, il existe $n'_0\in N'$ tel que $y=\pi'(n_0')$ et on a $\pi \circ v (n'_0)=\bar v \circ \pi'(n'_0)=\bar v (y)=0$ donc $v (n'_0)\in \mathrm{ker} \pi=\mathrm{im} d$. Il existe alors $m_0\in M$ tel que $v(n'_0)=d(m_0)$ ; la commutativité du diagramme donne $d''\circ p(m_0)=q \circ d(m_0)=q\circ v (n'_0)=0$ (car $q\circ v=0$). En particulier $p(m_0) \in \mathrm{ker} d''=\mathrm{im} i''$ ; donc il existe $x''\in \mathrm{ker} d''$ tel que $p(m_0)=i''(x'')$. Il nous suffit de prouver $\delta(x'')=y$ pour conclure. Ceci est immédiat en choisissant $m=m_0$ et $n'=n'_0 $ dans la construction du début. En conclusion : $\mathrm{ker} \bar v \subset \mathrm{im} \delta$.
Ceci montre l’égalité $\mathrm{ker} \bar v = \mathrm{im} \delta$.
Fin de la démonstration du Lemme

On applique le lemme du serpent, pour tout $i$, au diagramme

$$ \xymatrix{ 0 \ar[r] & C_i \ar[r] \ar[d]_{d} & C_i' \ar[r] \ar[d]_{d'} & C''_i \ar[r] \ar[d]_{d''} & 0 \\ 0 \ar[r] & C_{i-1} \ar[r] & C_{i-1}' \ar[r] & C''_{i-1} \ar[r] & 0 } $$

qui donne donc un morphisme des $i$-cycles de $C"$ dans les classes d’homologie de $C$. L’exactitude et la naturalité découle immédiatement de celle du lemme du serpent.

C.Q.F.D.

Exemple Il découle en particulier de la proposition qu’en général, si $C\hookrightarrow D$ est un sous-complexe de chaînes de $D$, ses groupes d’homologie $H_i(C)$ ne sont pas des sous-groupes de $H_i(D)$. Par exemple, si $D$ est le complexe simplicial du $n$-simplexe, son homologie en degré $>0$ est nulle. Prenons $C$ le complexe simplicial de son bord $\partial D$ qui est une triangulation de la sphère de dimension $n-1$. Ainsi si $n\geq 2$, on obtient que $k=H_{n-1}(C)$ qui n’est pas un sous-groupe de $H_{n-1}(D)=0$.

Soit $(C, d)$, $(C',d')$ deux complexes de chaînes. Leur produit tensoriel est naturellement un complexe de chaînes. Plus précisément on pose, pour tout $n\geq 0$,

$$ (C\otimes C')_n:= \bigoplus_{p+q=n} C_p\otimes C_q. $$

On définit l’application linéaire $d\otimes 1 +1\otimes d': (C\otimes C')_n\to (C\otimes C')_{n-1}$ qui envoie un tenseur $c\otimes c'$ (avec $c\in C_p$ et $c'\in C'_q$) sur $d(c)\otimes c' + (-1)^{p} c\otimes d'(c')$.

Lemme (Produit tensoriel de complexes) On a $(d\otimes 1 +1\otimes d')^{2}=0$. En particulier $(C\otimes C', d\otimes 1 +1\otimes d')$ est un complexe de chaînes appelé le produit tensoriel de $(C,d)$ et $(C',d')$.

La même construction donne bien entendu un produit tensoriel pour les complexes de cochaînes.
Démonstration.
Il suffit de le vérifier sur un tenseur de chaînes homogènes. C’est alors une conséquence (et l’intérêt) du signe $(-1)^p$ dans la formule de l’opérateur de bord.
C.Q.F.D.

Définition (Dual d’un complexe de chaînes) Soit $(C_\bullet, \partial)$ un complexe de chaînes. On note $C^i:= Hom_{k}(C_i, k)$ les modules duaux. La suite

$$ \ldots \leftarrow C^{i+1} \stackrel{\delta^{i+1}}{\leftarrow} C^i \stackrel{\delta^{i}}{\leftarrow} C^{i-1} \stackrel{\delta^{i-1}}{\leftarrow} \ldots, $$

où $\delta_i$ est définie par $\delta_i (f):= (-1)^{i+1} f\circ \partial_i$, est un complexe de cochaînes (i.e. $\delta \circ \delta =0$), appelé le dual de $(C_\bullet, \partial)$.

On a des accouplement de dualité $C^i \otimes C_i \to k$ donné par $f\otimes c\mapsto f(c)$. Comme, par convention, le degré cohomologique est l’inverse du degré homologique, cet accouplement définit [3] une application linéaire $\langle \, , \, \rangle$ (de degré $0$) du produit tensoriel de complexes $C^\bullet \otimes C_\bullet$ vers $k$ vu comme le complexe trivial concentré en degré $0$ :

$$ \dots 0\to 0 \to k .$$

Le signe choisi dans la définition de $C^\bullet$ est choisi de telle sorte que ce dernier soit bien le dual de $C_\bullet$ au sens des complexes de (co)chaînes :

Proposition (Accouplement de dualité) L’accouplement de dualité $\langle \, , \, \rangle $ est un morphisme de complexes de chaînes. Autrement dit,

$$\langle\delta (f), x\rangle + \langle f, \partial (x)\rangle =0.$$

En particulier, cet accouplement passe au quotient en (co)homologie :

$$\langle\,,\,\rangle: H^i(C^\bullet) \otimes H_i(C_\bullet) \to k.$$

Nous verrons dans Coefficient universels que l’accouplement induit au niveau des groupes de (co)homologie n’est en général pas parfait.
Démonstration.
On constate que le signe choisi dans la définition du complexe dual est précisément celui qu’il faut pour que $\langle\delta (f), x\rangle + \langle f, \partial (x)\rangle =0$. On en déduit immédiatement que, si $f$ est un cocycle, alors pour tout bord $\partial (c)$, $\langle f, \partial (c)\rangle =0$. De même, si $f$ est un cobord, $\langle f, x\rangle=0$ pour tout cycle $x$.

Ainsi, si $\alpha=[f]$ est une classe de cohomologie dans $H^i(C^\bullet)$ représentée par un cocycle $f$, et $\beta=[x]\in H_i(C_\bullet)$ est une classe représentée par un cycle $x$, l’accouplement

$$\langle \alpha, \beta\rangle = \langle f, x\rangle$$

est bien défini et indépendant des choix des représentants $f$ et $x$.
C.Q.F.D.

Remarque (Sur les signes en algèbre homologique) Comme on l’a vu, le signe $(-1)^{i+1}$ dans la définition du bord dual est le bon pour définir l’accouplement de dualité. Plus généralement, il suit les conventions de signe de Koszul-Quillen dans les espaces gradués. Il n’est pas très important et on peut s’en affranchir dans les parties sans changer grand chose (en particulier pas les groupes de cohomologie), si ce n’est éventuellement un ou deux signes dans toute la suite. On prendra garde que les deux conventions de signe cohabitent dans la littérature classique. Les conventions de signe que nous suivons ici sont plus proches de celles données par les conditions géométriques et donnent la « bonne » notion d’algèbre commutative au sens gradué, qui sont le type d’algèbres données par la cohomologie (et dans toutes les notions de cohomologie usuelle).

Cette convention de signe est que à chaque fois qu’on permute deux éléments homogènes $x,y$ dans une formule, on doit rajouter le signe $(-1)^{|x|\cdot |y|}$ où $|x|$, $|y|$ désigne le degré de $x$, $y$. En terme plus pompeux, dans le langage des catégories, la donnée de $V\otimes W$ et d’un isomorphisme naturel $V\otimes W \cong W\otimes V$ s’appelle une structure monoïdale symétrique], dans la catégorie des espaces vectoriels gradués, il y a plusieurs façons de construire des isomorphismes naturels $V^\bullet \otimes W^\bullet \cong W^\bullet \otimes V^\bullet$. On peut bien entendu prendre l’isomorphisme $v\otimes w\mapsto w\otimes v$ (qui revient à appliquer l’isomorphisme obtenu en oubliant que les espaces vectoriels étaient gradués) mais on peut aussi considérer l’isomorphisme, défini pour tout $x\in V^i$, $y\in W^j$ par

$$x\otimes y\mapsto (-1)^{ij} y\otimes x.$$

C’est ce dernier isomorphisme structurel qui est en général considéré en algèbre homologique et c’est cette convention que nous suivons.

Remarque ((co)chaînes à coefficients dans un groupe abélien)

Tout comme on peut étendre la définition de l’homologie singulière pour qu’elle ait tout groupe abélien $G$ comme coefficient, on peut étendre la définition des (co)chaînes pour qu’elles aient valeur dans n’importe quel $k$-module $M$. Précisément, si $(C_\bullet, \partial)$ est un complexe de chaînes, on définit les $C_\bullet$-chaînes à valeur dans $M$ comme le produit tensoriel

$$C_\bullet \otimes_k M$$

(vu comme un produit tensoriel de complexes où $M$ est concentré en degré $0$). De même, on définit ses $i$-cochaînes à valeur dans $M$ comme

$$ Hom_{k}(C_i, M)$$

muni de la différentielle $\delta (f):= (-1)^{i+1} f\circ \partial_i$.

On vérifie sans peine que les constructions précédentes sont bien définies et on note respectivement

$$H_i(C_\bullet,M):= H_i(C_\bullet \otimes_k M), \quad H^i(C^\bullet, M):= H^i(Hom_{k}(C_\bullet, M)$$

les groupes d’homologie et de cohomologie de $C_\bullet$ à coefficients dans $M$.

Comme dans le cas sans coefficient, la formule

$$f\otimes x \mapsto f(x)$$

définit encore un accouplement de dualité induisant un accouplement

$$H^i(C^\bullet, M) \otimes H_i(C_\bullet, M) \to M $$

en passant à la cohomologie.

Une construction importante pour les complexes de (co)chaînes est celle de sa suspension, encore appelé décalage.

Définition (Suspension) Soit $(C, \partial)$ un complexe de chaînes. Sa suspension $C[1]$ est le complexe de chaînes qui en degré $n$ vaut

$$ (C[1])_n := C_{n-1}$$

muni de la différentielle $-\partial$ [4]. On définit de même, pour tout entier $p\in \mathbb{Z}$, les suspensions $p$-itérées $(C[p], (-1)^p \partial)$ où $(C[p])_n=C_{n-p}$.

On a un isomorphisme naturel $H_i(C[p])\cong H_{i-p}(C)$.

Exemple Si $A$ est un $k$-module, vu comme un complexe concentré en degré $0$, alors $A[1]$ est un complexe de chaîne concentré en degré 1.
Exemple (Lien avec la Suspension topologique) La suspension d’un complexe de chaînes que nous venons de définir est la version algébrique de la suspension d’un espace topologique. Par construction nous avons déjà des isomorphismes canoniques

$$ H_i(A[1]) \; \cong \; H_{i-1}(A)$$

analogues à l’isomorphisme du théorème d’homologie d’une suspension. Cette ressemblance va plus loin au niveau des chaines. Rappelons que la suspension d’un espace topologique pointé $X$ est le quotient $CX/X$ du cône $CX$ de $X$. Si $X$ est un complexe cellulaire, ses chaînes s’identifient avec le complexe de chaînes quotient $C_*(CX)/C_*(X)$.
On peut montrer (ce qu’on laisse en exercice) qu’il y a une équivalence d’homotopie de chaînes entre $A[1]$ et le quotient $Cone(A)/A$ où $Cone(A)$ est le cône du complexe $A$.


[1c’est une terminologie qui provient de la topologie algébrique en raison de son interprétation en terme de prendre le bord d’une sous-variété ou d’un simplexe, cf Homologie à la Poincaré, Homologie singulière. En algèbre homologique, on appelle souvent une telle application linéaire de degré $-1$ et de carré nul, une différentielle

[2autrement dit, c’est une application $f: C_*\to D_*$ de degré $0$ entre espaces gradués qui commute avec les différentielles

[3en l’étendant par $0$ sur $C^i\otimes C_j$ quand $i\neq j$

[4on notera que le signe introduit respecte les conventions de signe de Koszul-Quillen puisque $\partial$ est de degré $-1$.