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Lemme des cinq et naturalité de la suite exacte longue en (co)homologie

On a vu qu’une suite exacte courte de complexes de (co)chaînes se traduisait par une suite exacte longue au niveau des groupes de (co)homologie [1]. On s’intéresse maintenant à la naturalité de cette suite et à son invariance généralisant ce qui se passe pour les groupes.

Lorsque $A \hookrightarrow B\to C\cong A/B$ est une suite exacte courte de groupes abéliens, le quotient $A/B$ est invariant (à isomorphisme près) si on change $A$ ou $B$ par des isomorphismes et est de plus naturelle : si on a $f:A\to A'$, alors $f$ induit une application $A/B \to A'/f(B)$. Pour des complexes de chaînes, il est légitime d’espérer les mêmes propriétés en remplaçant isomorphisme par quasi-isomorphisme. C’est le sens de la proposition suivante.

Proposition (Naturalité de la suite longue en homologie associée à une suite courte de complexes)

Soit

$$\xymatrix{ C \ar@{^{(}->}[r] \ar[d]^{\alpha} & C' \ar@{->>}[r] \ar[d]^{\beta} & C'' \ar[d]^{\gamma} \\ D \ar@{^{(}->}[r] & D' \ar@{->>}[r] & D''}$$

un diagramme commutatif de complexes de chaînes dont les lignes sont des suites exactes (courtes). Alors on a :
1. Le diagramme de suites exactes longues induit en homologie

$$\xymatrix{ \dots \ar[r]& H_n(C) \ar[r] \ar[d]^{\alpha} & H_n(C') \ar[r] \ar[d]^{\beta} & H_n(C'') \ar[d]^{\gamma} \ar[r]^{\delta} & H_{n-1}(C) \ar[d]^{\alpha} \ar[r] & \dots\\ \dots \ar[r]& H_n(D) \ar[r] & H_n(D') \ar[r] & H_n(D'') \ar[r]^{\delta} & H_{n-1}(D)\ar[r] & \dots}$$

est commutatif.
2. (Propriété "2 sur 3") Si deux des morphismes verticaux $\alpha, \beta, \gamma$ sont des quasi-isomorphismes [2] alors le troisième l’est aussi. Dans ce cas, toutes les flèches verticales dans le diagramme de suites exactes longues sont des isomorphismes.

Démonstration.
La naturalité découle de la construction de l’opérateur $\delta$ dans la proposition définissant la suite exacte longue.
Si maintenant deux des morphismes verticaux $\alpha, \beta, \gamma$ sont des quasi-isomorphismes, alors ils induisent des isomorphismes en homologie et il suffit de montrer que le troisième morphisme vertical induit des isomorphismes en homologie. Autrement dit, on doit montrer que toutes les flèches verticales sont des isomorphismes dans le diagramme induit en homologie. Ceci découle du Lemme des cinq ci-dessous appliqué itérativement en commençant à démontrer le résultat pour $H_0$ (certains modules dans le lemme des 5 pouvant être pris nuls).
C.Q.F.D

Lemme (Lemme des cinq) Considérons le diagramme commutatif suivant de modules, dont les flèches sont des morphismes de modules, et dont les lignes sont exactes :

$$ \xymatrix{ A \ar[r]^{\alpha_1} \ar[d]_{f_1} & B \ar[r]^{\alpha_2} \ar[d]_{f_2} & C \ar[r]^{\alpha_3} \ar[d]_{f_3} & D \ar[r]^{\alpha_4} \ar[d]_{f_4} & E \ar[d]_{f_5}\\ A'\ar[r]^{\beta_ 1}& B' \ar[r]^{\beta_2} & C' \ar[r]^{\beta_3} & D' \ar[r]^{\beta_4} & E' . }$$

Si les première, seconde, quatrième et cinquième flèches verticales sont des isomorphismes, alors la troisième aussi.

Démonstration

On commence par montrer l’injectivité de $f_3$.

Soit $x_3\in C$ ; si $f_3(x_3)=0$ alors $f_4(\alpha_3(x_3))=\beta_3(f_3(x_3))=0$ donc $\alpha_3(x_3)=0$ car $f_4$ est injective. Comme les lignes horizontales sont des suites exactes, il existe $x_2\in M_2$ tel que $x_3=\alpha_2(x_2)$. Soit $y_2=f_2(x_2)$ ; on a $\beta_2(y_2)=f_3(x_3)=0$ donc il existe $y_1\in N_1$ tel que $f_2(x_2)=\beta_1(y_1)$. Mais $f_1$ est surjective, donc il existe $x_1\in M_1$ tel que $y_1=f_1(x_1)$. On a alors $x_3=\alpha_2(x_2-\alpha_1(x_1))$ (car $\alpha_2\circ\alpha_1=0$) mais aussi

$$f_2(x_2-\alpha_1(x_1)) = f_2(x_2)-f_2(\alpha_1(x_1)) =y_2-\beta_1(f_1(x_1))=0$$

. Donc $x_2-\alpha_1(x_1)=0$, car $f_2$ est injective, et $x_3=0$.

Montrons maintenant la surjectivité.

Soit $y_3\in C'$ ; il existe $x_4\in D$ tel que $f_4(x_4)=\beta_3(x_3)$ par surjectivité de $f_4$. On a $f_5(\alpha_4(x_4))=\beta_4(f_4(x_4))=\beta_4(\beta_3(y_3))=0$ donc $\alpha_4(x_4)=0$ car $f_5$ est injective. Comme les lignes horizontales sont des suites exactes, il existe $x_3\in C$ tel que $\alpha_3(x_3)=x_4$. On a alors : $\beta_3(y_3-f_3(x_3))=0$ donc il existe $y_2\in B'$ tel que $y_3-f_3(x_3)=\beta_2(y_2)$, puis par surjectivité de $f_2$, il existe $x_2\in B$ tel que $f_2(x_2)=y_2$. On a alors $y_3=f_3(x_3+\alpha_2(x_2))$ ce qui donne la surjectivité de la troisième flèche verticale.

C.Q.F.D.

Lorsque $f: C \to D$ est un morphisme de complexe de chaînes non-injectif, pour obtenir la bonne notion de quotient, il faut procéder autrement. Plus précisément, le complexe quotient naïf $D/ f(C)$ n’est pas invariant par quasi-isomorphisme. La définition d’une bonne notion de « quotient » conduit à la définition du cône d’un morphisme de complexe.

Exemple Soit $A$ un $k$-module non trivial. Il est clair que le quotient de $0\to A$ est $A$. Remplaçons maintenant $0$ et $A$ par des complexes quasi-isomorphes de manière à avoir un diagramme commutatif :

$$\xymatrix{ P \ar[r] \ar[d] & Q \ar[d] \\ 0 \ar[r] & A }$$

dont les flèches verticales sont des quasi-isomorphismes. Prenons pour ça

$$P= \dots A\stackrel{0}\longrightarrow A\stackrel{id}\longrightarrow A\stackrel{0}\longrightarrow A\stackrel{id}\longrightarrow A.$$

C’est à dire $P_i =A$ pour tout $i\geq 0$ et les différentielles sont alternativement l’identité et l’application nulle. On a bien que $P \to 0$ est un quasi-isomorphisme (car $P$ est une suite exacte).
Prenons maintenant

$$Q= \dots A\stackrel{id}\longrightarrow A \stackrel{0}\longrightarrow A\stackrel{id}\longrightarrow A\stackrel{0}\longrightarrow A.$$

Ce dernier ressemble beaucoup à $P$ mais les différentielles alternent différemment de sorte que la flèche canonique de $Q\to A$ qui est l’identité en degré $0$ et nulle partout ailleurs est un quasi-isomorphisme (en fait $Q = P[-1] \oplus A$ où $P[1]$ est la suspension de $P$).
On a alors le morphisme de complexes $P\to Q$ donné par

$$ \xymatrix{ \dots \ar[r]^{0} & A \ar[r]^{id} \ar[d]^{id} & A \ar[r]^{0} \ar[d]^{0} & A \ar[r]^{id} \ar[d]^{id} & A \ar[d]^{0}\\ \dots \ar[r]^{id} & A \ar[r]^{0} & A \ar[r]^{id} & A \ar[r]^{0} & A} $$

qui donne un diagramme commutatif comme ci-dessus.

Le complexe quotient $Q/P$ est simplement

$$ \dots A\longrightarrow 0\longrightarrow A\longrightarrow 0\longrightarrow A $$

dont l’homologie est $A$ en tout degré pair et nulle en degré impair ; ce qui est différent de $A$ concentré en degré $0$ et nul en tout degré positif...

On voit donc que le quotient naïf de complexes n’est pas un invariant par quasi-isomorphisme. On va voir en revanche que le cône $cone(Q\to P)$ est lui quasi-isomorphe à $A$ concentré en degré $0$. Cela découle immédiatement de la longue suite exacte associée au cône puisque $H_i(P)=0$ pour tout $i\geq 0$.

Cette notion de bon quotient se retrouve aussi quand on calcule la topologie d’un espace quotient, discuté autour du théorème d’écrasement.


[1et non pas simplement par des suites exactes courtes

[2c’est à dire induisent des isomorphismes en homologie