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La sphère s’obtient naturellement en quotientant la boule fermée — un espace topologique contractile — par son bord. L’objet de cet article est de relier l’homologie relative d’une paire d’espaces $(X,A)$ à l’homologie de l’espace quotient $X/A$. L’énoncé obtenu, démontré ici comme conséquence du théorème des petites chaînes, permet en particulier de calculer l’homologie singulière des sphères. On montre que ce calcul a déjà de nombreuses applications.
Dans cet article tous les groupes d’homologie sont des groupes d’homologie singulière.
Le théorème d’écrasement
Le théorème suivant fait le lien entre l’homologie relative et l’homologie « absolue ». Sa démonstration fait l’objet d’un article où elle est déduite du théorème des petites chaînes. L’homologie réduite $\widetilde{H}_\bullet(X)$ est définie là.
Soit $A$ un fermé de $X$, rétracte par déformation d’un voisinage ouvert. On a :
$$H_i (X,A) \cong H_i (X/A , \{ A \}) = \widetilde{H}_i (X/A),$$
où $\{A\}$ est le sous-ensemble de $X/A$ qui est un singleton constitué du point qui correspond au sous-espace $A \subset X$.
Sous ces hypothèses, la suite exacte longue d’homologie devient :
$$ \ldots \to \widetilde{H}_i (A) \to \widetilde{H}_i (X) \to \widetilde{H}_i (X/A) \stackrel{\delta}{\to} \widetilde{H}_{i-1} (A) \to \widetilde{H}_{i-1} (X) \to \ldots \to \widetilde{H}_0 (X/A) \to 0. $$
Le premier isomorphisme dans le théorème est donné (par fonctorialité) par l’application quotient $X\to X/A$.
Applications
Le théorème d’écrasement permet déjà de calculer les groupes d’homologie des sphères.
On a :
$$\widetilde{H}_n (\mathbb{S}^{n}) = \mathbb{Z} \quad \mbox{ et } \quad \widetilde{H}_i (\mathbb{S}^{n}) = 0 \quad \mbox{ pour } i \neq n.$$
Démonstration. Considérons la paire $(X,A) = (\mathbb{D}^n , \mathbb{S}^{n-1} )$ de sorte que $X/A =\mathbb{S}^{n}$. Les termes $\widetilde{H}_i (X) = \widetilde{H}_i (\mathbb{D}^n)$ de la suite exacte longue d’homologie associée à la paire $(X,A)$ sont tous triviaux puisque $\mathbb{D}^n$ est contractile. L’exactitude de la suite implique donc que les morphismes $\widetilde{H}_i (\mathbb{S}^{n}) \stackrel{\delta}{\to} \widetilde{H}_{i-1} (\mathbb{S}^{n-1})$ sont des isomorphismes pour $i>0$ et que $\widetilde{H}_0 (\mathbb{S}^{n})=0$. On conclut par récurrence sur $n$ à partir du cas $n=0$ qui découle de cette proposition.
C.Q.F.D.
$$ $$
Le célèbre théorème du point fixe de Brouwer est une application immédiate de ce calcul.
La sphère $\mathbb{S}^{n-1} = \partial \mathbb{D}^n$ n’est pas un rétracte de $\mathbb{D}^n$. En particulier toute application continue $f: \mathbb{D}^n \to \mathbb{D}^n$ a un point fixe.
Démonstration. Commençons par montrer qu’il n’existe pas de rétraction. Si $r : \mathbb{D}^n \to \mathbb{S}^{n-1}$ est une rétraction alors $r\circ\iota : \mathbb{S}^{n-1}\to\mathbb{S}^{n-1}$ est l’identité (où $\iota : \mathbb{S}^{n-1}\to \mathbb{D}^n $ est l’inclusion canonique). Par conséquent, la composée
$$\widetilde{H}_{n-1} (\mathbb{S}^{n-1}) \to \widetilde{H}_{n-1} (\mathbb{D}^n) \stackrel{r_*}{\to} \widetilde{H}_{n-1} (\mathbb{S}^{n-1})$$
est l’identité sur $\widetilde{H}_{n-1} (\mathbb{S}^{n-1})\cong \mathbb{Z}$. Or $\widetilde{H}_{n-1} (\mathbb{D}^n) = \{ 0 \}$ et on a une contradiction.
Le théorème de point fixe est un corollaire classique de ce lemme de non rétraction. En effet, une éventuelle application $f:\mathbb{D}^n\to\mathbb{D}^n$ continue sans point fixe permettrait de définir une rétraction $r : \mathbb{D}^n \to \mathbb{S}^{n-1}$ qui envoie chaque point $x\to D^n$ sur l’unique point d’intersection de la demi-droite $[x,f(x))$ avec $\mathbb{S}^{n-1}$.
C.Q.F.D.
$$ $$
Rappelons maintenant que le cône d’un espace topologique $A$ est défini par
$$CA = (A \times [0,1]) / (A \times \{0\} ).$$
La suspension de $A$ est l’espace quotient
$$\Sigma A = (A\times [0,1]) / (A \times \{0\} )/ (A \times \{1 \}) = CA / A,$$
où $A$ est naturellement contenu dans $CA$ via l’application induite par $x \mapsto (x,1)$.
La vidéo suivante décrit la suspension du tore.
Le théorème d’écrasement permet plus généralement de calculer la suspension d’un espace $A$ en fonction de l’homologie de $A$.
On a :
$$\widetilde{H}_i (\Sigma A) = \widetilde{H}_{i-1} (A) $$
pour tout $i>0$.
Démonstration. Considérons la suite exacte longue associée à la paire $(CA , A)$ :
$$\ldots \to \widetilde{H}_i (CA) \to \widetilde{H}_i (CA /A) \to \widetilde{H}_{i-1} (A) \to \widetilde{H}_{i-1} (CA) \to \ldots$$
Pour tout $i$ on a $\widetilde{H}_i (CA) = 0$ puisque $CA$ est contractile. On en déduit que $\widetilde{H}_i (CA /A) \cong \widetilde{H}_{i-1} (A)$ pour tout $i>0$.
C.Q.F.D.
$$ $$
Soient $(X_{\alpha} , x_{\alpha})_{\alpha \in I}$ un ensemble d’espaces topologiques pointés tels que chaque point $x_{\alpha}$ soit rétracte par déformation (forte) d’un ouvert. Rappelons que le bouquet des espaces $X_\alpha$ est l’espace quotient
$$\bigvee_{\alpha \in I} (X_{\alpha} , x_{\alpha} ) = \left( \bigcup_{\alpha \in I} X_\alpha \right) / \{x_\alpha ,\, \alpha \in I\}.$$
Pour tout $i \in \mathbb{N}$, on a $\widetilde{H}_i (\bigvee_{\alpha} X_{\alpha}) = \bigoplus_{\alpha} \widetilde{H}_i (X_{\alpha})$.
Démonstration. Posons $X= \bigsqcup_{\alpha \in I} X_{\alpha}$ et $A= \{x_\alpha ,\, \alpha \in I \}$. D’un côté, on a
$$H_i (X,A) = \bigoplus_{\alpha} H_i (X_{\alpha} , \{x_{\alpha} \} ) = \bigoplus_{\alpha} \widetilde{H}_i (X_{\alpha}).$$
D’un autre côté la paire $(X,A)$ vérifie les hypothèses du théorème d’écrasement et on a
$$H_i (X,A) = H_i (X/A , \{ A \}) = \widetilde{H}_i (X/A) = \widetilde{H}_i (\bigvee_{\alpha} X_{\alpha}).$$
C.Q.F.D.
$$ $$
Remarquons finalement que --- comme les groupes d’homologie singulière absolus --- les groupes d’homologie singulière relatifs sont des invariant d’homotopie. C’est-à-dire que si deux paires $(X,A)$ et $(X',A')$ sont homotopiquement équivalentes alors, non seulement on a :
$$H_{\bullet} (X) \cong H_{\bullet} (X') \quad \mbox{ et } \quad H_{\bullet} (A) \cong H_{\bullet} (A')$$
(d’après la proposition démontrée ici), mais on a aussi :
$$H_{\bullet} (X,A) \cong H_{\bullet} (X' , A').$$
La démonstration s’obtient en utilisant les suites exactes longues et le lemme des cinq. Elle est laissée en exercice.
$$ $$
Pour démontrer le théorème d’écrasement on remplace la paire $(X,A)$ par une paire $(X\cup CA, CA)$ où $CA$ est le cône de $A$ et on applique le théorème des petites chaînes pour calculer l’homologie de cette dernière paire.