- Leonhard Euler (1707-1783)
La caractéristique d’Euler-Poincaré est un invariant fondamental en topologie. Il s’agit d’un entier $\chi(X)$ associé à chaque polyèdre fini $X$. Un point important est que cet entier ne dépend que de $X$ en tant qu’ensemble, pas de la manière dont on le décompose en faces, arrêtes, sommets... Mieux, c’est un invariant topologique : il ne dépend de $X$ qu’à homéomorphisme près. Ceci permet de définir la caractéristique d’Euler-Poincaré d’une variété compacte (puisqu’une variété compacte est homéomorphe à un polyèdre fini). Encore mieux, l’entier $\chi(X)$ ne dépend que du type d’homotopie de $X$. Les topologues ont pris l’habitude de penser à $\chi(X)$ comme au « nombre de points de $X$, à homotopie près ».
Les surfaces
Au départ, il y a l’observation suivante, due à Descartes et Euler.
Si on note $S$, $A$ et $F$ les nombres de sommets, d’arrêtes et de faces d’un polyèdre convexe dans $\mathbb{R}^3$, alors la somme $S-A+F$ est toujours égale à $2$.
Dès le début du XIXème siècle, des exemples ont montré que cette affirmation devient fausse pour certains polyèdres non-convexes. On a cependant peu à peu réalisé que la quantité $S-A+F$ ne dépend que de la « forme globale » du polyèdre considéré (c’est-à-dire du polyèdre à homéomorphisme près). Cela a donné conduit à la notion de caractéristique d’Euler d’une surface fermée.
- Un polyèdre homéomorphe au tore, avec 21 sommets, 63 arêtes et 42 faces.
En dimension quelconque
La caractéristique d’Euler-Poincaré est un invariant topologique qui généralise la caractéristique d’Euler en dimension quelconque. C’est un entier $\chi(X)$ qu’on associe à tout polyèdre fini $X$ [1]. En grande dimension, $\chi(X)$ ne donne qu’une information très partielle sur la topologie de $X$. Ce n’en est pas moins un invariant topologique clé. Son principal avantage est qu’il se comporte très simplement vis-à-vis de plusieurs opérations : déformation (équivalence d’homotopie), réunion, produit cartésien. Du coup, la valeur de $\chi(X)$ est souvent très facile à calculer. Pour mettre en avant cet aspect, nous choisissons de donner une définition axiomatique de $\chi(X)$, repoussant à plus tard sa construction explicite [2]. Nous montrons que cette définition axiomatique permet, à elle seule, de calculer la valeur de $\chi(X)$ dans de nombreux cas intéressants.
Il reste alors à démontrer que notre définition axiomatique n’est pas vide ! Autrement dit, il reste à construire un entier $\chi(X)$ qui satisfait aux propriétés annoncée. Il est naturel de s’inspirer de la dimension 2. On a vu que, pour un polyèdre fini de dimension 2 à $S$ sommets, $A$ arrêtes et $F$ faces homéomorphe à une surface fermée de genre $g$, on a
$$S-A+F=2-2g.$$
Dès 1893, Poincaré a publié une courte Note [3], dans laquelle il proposait une généralisation de cette égalité à un polyèdre fini de dimension quelconque : c’est la formule d’Euler-Poincaré.
Guidé par la définition de la caractéristique d’Euler en dimension 2, on associe à tout polyèdre fini $X$ l’entier
$$\chi(X):=\sum_{i=0}^{d} (-1)^i c_i$$
où $c_i$ est le nombre de faces de dimension $i$ d’une cellulation de $X$. La formule d’Euler-Poincaré permet de montrer que ce nombre satisfait effectivement à notre définition axiomatique de la caractéristique d’Euler-Poincaré :
On peut aussi donner une définition explicite de la caractéristique d’Euler-Poincaré qui court-circuite la formule du même nom [4] : on définit $\chi(X)$ comme la somme alternée des nombres de Betti. La preuve que $\chi(X)$ satisfait à notre définition axiomatique de la caractéristique d’Euler-Poincaré est alors une application de la suite exacte de Mayer-Vietoris.
Applications
La caractéristique d’Euler-Poincaré a de nombreuses applications ; citons en quelques-uns.
- Homer Simpson dont les calculs sont guidés par de fortes intuitions topologiques
- Elle permet de montrer que certains champs de vecteurs s’annulent. C’est le théorème de Poincaré-Hopf [5].
- Elle permet aussi de montrer que certaines applications ont des points fixes. C’est la théorie de Lefschetz [6].
- Elle donne l’intégrale de la courbure d’une métrique riemannienne. C’est le théorème de Gauss-Bonnet.
Au-delà de ces applications importantes, la caractéristique d’Euler-Poincaré apparait dans des problèmes topologiques très divers. À l’appui de cette affirmation, nous renvoyons à deux articles de ce site :
- Dans le premier, on montre qu’un espace obtenu par recollement des faces opposées d’un polyèdre de dimension 3 est une variété si et seulement si sa caractéristique d’Euler est nulle.
- Dans le second, on profite de la caractéristique d’Euler pour calculer les nombres de Betti d’une surface complexe.
[1] En particulier, à toute variété fermée, puisque tout variété fermée est homéomorphe à un polyèdre fini.
[2] Pour une fois, notre approche fait fi de l’histoire !
[3] qu’il a développée dans les paragraphes 16 à 18 de l’Analysis Situs
[4] et prend l’histoire à rebrousse-poil...
[5] Encore Poincaré ! L’un des collaborateurs de Henri Paul, Patrick Popescu-Pampu, a écrit une présentation non-technique de la version de Poincaré de ce théorème, concernant les surfaces, sur le site Images des Mathématiques : Cols, nœuds, foyers.
Pour une preuve complète du théorème en dimension quelconque, nous conseillons le livre : V. Guillemin, A. Pollack. Differential Topology. Prentice-Hall, 1974.
[6] Nous renvoyons à nouveau à : V. Guillemin, A. Pollack. Differential Topology. Prentice-Hall, 1974.