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Dans le §10 de l’Analysis Situs, en généralisant une pratique bien acceptée — et largement utilisée par Klein et Poincaré — dans le cas des surfaces, Poincaré propose une méthode générale de construction de variétés comme recollement de polyèdres. Les recollements du cube ou encore la variété dodécaédrique de Poincaré sont des exemples de cette construction. L’objet de cet article est d’introduire la construction générale et de donner un critère bien pratique garantissant que l’espace obtenu est bien une variété.
Espaces polyédriques
Soit $P \subset \mathbb{R}^3$ un polyèdre (plein) de dimension $3$ et soient $F_1,\ldots,F_k$ ses faces. Soit
$$\iota:\{F_1,\dots,F_k\}\rightarrow\{F_1,\ldots,F_k\}$$
une involution sans points fixes telle que, pour tout $i$, les faces $F_i$ et $\iota(F_i)$ ont le même nombre de côtés. Pour tout $i$, soit
$$f_i:F_i\rightarrow \iota(F_i)=F_j$$
un homéomorphisme PL tel que $f_j=f_i^{-1}$.
On appelle recollement la relation d’équivalence sur $P$ engendrée par $x\sim y$ si et seulement s’il existe un entier $i\in\{1,\dots,k\}$ tel que $x$ est sur la face $F_i$, $y$ est sur la face $\iota(F_i)$ et $y=f_i(x)$. On appelle espace d’identification du polyèdre $P$ l’espace topologique $[P]$ obtenu comme quotient de $P$ par le recollement donné.
On appelle espaces polyédriques de tels espaces d’identification. Le cas où $P$ est un cube est plus particulièrement étudié dans un cours filmé [1].
Remarque. On peut considérer des définitions plus larges de recollement. Par exemple, l’involution $\iota$ pourrait n’être définie que sur un sous-ensemble propre des faces de $P$, ou encore, pourrait admettre des points fixes. On peut aussi être plus restrictif en demandant que les $f_i$ renversent l’orientation des faces afin d’avoir une orientation induite sur $[P]$. On remarquera que tout $f_i$ est déterminé par l’image de deux sommets consécutifs de $F_i$.
Un critère pour qu’un espace polyédrique soit une variété
Le lemme suivant est très utile et donne une caractérisation des espaces d’identification de polyèdres qui sont des $3$-variétés topologiques fermées, et donc en particulier des espaces topologiques séparés et localement euclidiens [2]. Il fait l’objet du cours filmé ci-dessous.
Un espace d’identification $[P]$ est une $3$-variété topologique si et seulement si sa caractéristique d’Euler-Poincaré est nulle.
Démonstration. La nécessité de la condition est une conséquence immédiate de la dualité de Poincaré [3].
Réciproquement, on doit montrer que $[P]$ est séparé et localement euclidien. Puisque la projection $P\longrightarrow [P]$ est à fibre finie et $P$ est clairement séparé, $[P]$ est aussi séparé. On observe facilement que les points de $[P]$ qui sont images de points de $P$ se trouvant
- dans l’intérieur de $P$,
- ou dans l’intérieur d’une face,
- ou dans l’intérieur d’un côté
admettent bien un voisinage homéomorphe à une boule de $\mathbb{R}^3$. L’animation suivante extraite de l’article sur la variété hypercubique illustre ce dernier cas.
Les seuls points qui peuvent poser des problèmes sont les images des sommets de $P$. Un voisinage assez petit d’un tel point dans $[P]$ est homéomorphe au cône sur son link et il est homéomorphe à une boule si et seulement si son link est une $2$-sphère et a donc une caractéristique d’Euler égale à $2$. Considérons une triangulation de $P$ et la triangulation induite de $[P]$ ayant
- $v$ sommets,
- $e$ côtés,
- $f$ faces, et
- $t$ tétraèdres.
La caracteristique d’Euler de $[P]$ est donc
$$\chi ([P]) = v-e+f-t.$$
Elle vaut $0$ par hypothèse. On remarque de plus que
$$f=2t$$
puisque chaque tétraèdre a quatre faces et que chaque face est adjacente à deux tétraèdres. Considérons maintenant un sommet $s$ de $[P]$ : la caractéristique d’Euler de son link vaut
$$e_s-f_s+t_s$$
où,
- $e_s$ est le nombre d’arêtes adjacentes au sommet $s$,
- $f_s$ celui des faces, et
- $t_s$ celui des tétraèdres.
Si on somme
$$e_s-f_s+t_s$$
sur tous les sommets $s$ on aura
$$\sum_s e_s=2e,$$
car chaque arête est adjacente à deux sommets,
$$\sum_s f_s=3f,$$
car chaque face est adjacente à trois côtés, et
$$\sum_s t_s=4t,$$
car chaque tétraèdre est adjacent à quatre faces. Il s’ensuit que
$$\sum_s e_s-f_s+t_s=2e-3f+4t$$
$$\tag{1} 0=2(v-e+f-t)+(f-2t)=2v-\sum_s e_s-f_s+t_s.$$
Or, puisque le link est une surface topologique du fait que ses points admettent des voisinages euclidiens, on a
$$\tag{2} e_s-f_s+t_s \le 2$$
pour tout $s$. En tenant compte du fait que le nombre des sommets $s$ est précisément $v$ on en déduit que
$$ e_s-f_s+t_s= 2$$
pour tout sommet $s$, ce qui conclut la démonstration.
On peut remarquer que la nécessité de la condition découle elle aussi des égalités (1) et (2) utilisées pour montrer la suffisance, sans avoir à faire appel à la dualité de Poincaré.
C.Q.F.D.
$$ $$
La démonstration ci-dessus implique plus généralement le résultat suivant.
Soit $K$ un complexe simplicial fini de dimension « pure » $3$ dans lequel toute face appartient à deux tétraèdres. Supposons que le link de chaque sommet est une surface, alors $|K|$ est une $3$-variété si et seulement si sa caractéristique d’Euler vaut $0$.
Une démonstration « live » du lemme
[1] Dans ce cours l’involution $\iota$ est notée $\sigma$.
[2] Poincaré démontre un critère un peu moins maniable au §10 de l’Analysis Situs ; les commentaires sur ce paragraphe présentent également une démonstration du lemme et quelques observations liées.
[3] La dualité de Poincaré n’est pas nécessaire ici comme on le remarque à la fin de la démonstration.