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Cône d’un morphisme de complexe de (co)chaînes

On va définir ici une bonne notion de « quotient » (et « noyau ») d’un morphisme $f: C\to D$ de complexes de (co)chaînes. Au vu du cas des groupes abéliens, la principale propriété que l’on demande à une bonne notion de quotient est de donner lieu à une suite exacte longue entre les groupes de cohomologie de $C$, $D$ et du « quotient ». Au niveau des complexes, cette suite va provenir d’une suite exacte courte de complexes de chaînes.

Soit donc $f: (C, d_C) \to (D, d_D)$ un morphisme de complexe de chaînes. Notons $\mathrm{cone}(f)$ le module gradué $(\mathrm{cone}(f))_n:= C_{n-1} \oplus D_{n}$. L’application linéaire $d_f: (\mathrm{cone}(f))_n \to (\mathrm{cone}(f))_{n-1}$ définie, pour $x\in C_{n-1}$ et $y\in D_n$, par $d_f((x,y))= (-d_C(x), d_D(y)-f(x))$ est une différentielle, c’est à dire $d_f\circ d_f=0$ (car $f\circ d_C= d_D\circ f$).

Définition (Cône d’un morphisme de complexes) On note $\mathrm{cone}(f)$ le complexe de chaînes $(C_{*-1} \oplus D_{*}, d_f)$ ainsi obtenu. On a des morphismes de complexes

$$ i: D\hookrightarrow \mathrm{cone}(f), \qquad j: \mathrm{cone}(f) \rightarrow C[1] $$

donnés par
$i(y) = (0,y)$ et $j((x,y))= -x$.

On rappelle que $C[1]$ est la suspension de $C$.

Une propriété importante du cône est son invariance par homotopie.
Soit $g: D\to E$ un morphisme de complexes de chaînes et $K: C\to E[1]$ une homotopie entre $g\circ f$ et $0$. C’est à dire $g\circ f = d\circ K +K \circ d$.

Lemme (Relèvement au cône) On a alors un morphisme de complexes canonique $ \phi_{g, K}: \mathrm{cone}(f) \to E$ et une factorisation

$$\xymatrix{ D \ar[rrd]^{g} \ar[d]_{i}&& \\ \mathrm{cone}(f)\ar[rr]_{\phi_{g, K}} && E.} $$

donnée par

$$\phi_{g, K}((x,y))= g(y)-K(x). $$

Démonstration
Que $\phi_{g, K}$ soit un morphisme de complexes découle de $-d\circ K(x) = -K(-d(x)) -g\circ f(x)$. La factorisation est immédiate par définition de $i$.
C.Q.F.D

En particulier, lorsque $g\circ f=0$, on obtient une application canonique

$$\phi:= \phi_{f,O}:\mathrm{cone}(f) \to E.$$

On a donc en particulier un morphisme induit

$$q:\mathrm{cone}(f) \longrightarrow D/ f(C).$$

Proposition (Suite exacte longue associée au cône) Soit $f: C\to D$ un morphisme de complexes de chaînes.

1. La suite courte de complexes $D \xrightarrow{i} \mathrm{cone}(f) \xrightarrow{j} C[1]$ est exacte. De plus l’homomorphisme de bord dans la longue suite exacte induite en homologie est donné par $f$ :

$$\xymatrix{ \dots \ar[r]& H_n(D) \ar[r]^{i} & H_n(\mathrm{cone}(f)) \ar[r]^{j} & H_{n-1}(C) \ar[r]^{f} & H_{n-1}(D) \ar[r] & \dots}.$$

2. Si $f: C\to D$ est injective, l’application canonique $\mathrm{cone}(f) \to D/f(C)$ est un quasi-isomorphisme.

En passant à l’homologie on obtient alors un diagramme commutatif de longues suites exactes :

$$\xymatrix{ \dots \ar[r]& H_n(D) \ar[r]^{i} \ar[d]^{\mathrm{id}} & H_n(\mathrm{cone}(f)) \ar[r]^{j} \ar[d]_{q_*} & H_{n-1}(C) \ar[d]^{\mathrm{id}} \ar[r]^{f} & H_{n-1}(D) \ar[d]^{\mathrm{id}} \ar[r] & \dots\\ \dots \ar[r]& H_n(D) \ar[r] & H_{n}(D/f(C)) \ar[r]^{-\delta} & H_{n-1}(C) \ar[r]^{f} & H_{n-1}(D)\ar[r] & \dots}.$$

Démonstration : les formules explicites de $i$ et $j$ dans la définition du cône donnent immédiatement l’exactitude de la suite. La suite exacte longue en homologie est alors donnée par le théorème des suites exactes de complexes. Le calcul de l’opérateur de bord dans la suite exacte longue s’obtient en prenant, pour tout cycle $x\in (C[1])_n = C_{n-1}$, comme antécédent par $j$, l’élément $(-x,0)\in cone(f)$. Sa différentielle est alors donnée par $(0,f(x))$ ce qui donne l’identité voulue sur les groupes d’homologie. Le point 2. se déduit du précédent. En effet, si $f: C\to D$ est injective, alors la suite exacte courte de complexes $ C\to D \to D/f(C)$ produit également une suite exacte longue en homologie qui donne une diagramme commutatif

$$\xymatrix{ \dots \ar[r] & H_i(C)\ar[r]^{f_*} \ar[d]_{id} & H_i(D) \ar[r]^{i_*} \ar[d]_{id} & H_i(cone(f)) \ar[r]^{j_*} \ar[d]_{q_*}& H_{i-1}(C) \ar[r]^{f_*} \ar[d]_{id} &\dots \\ \dots \ar[r] & H_i(C)\ar[r]^{f_*} & H_i(D) \ar[r] & H_i(D/f(C)) \ar[r]^{\delta_*} & H_{i-1}(C) \ar[r]^{f_*} &\dots } . $$

On déduit alors du lemme des cinq que $q_*$ est un isomorphisme.
C.Q.F.D.

Soit $f: A\to B$ un morphisme de groupes abéliens (ou plus généralement de $k$-modules). On identifie $A$ et $B$ à des complexes triviaux concentrés en degré $0$.

Exercice Montrer que les groupes d’homologie $H_n(\mathrm{cone}(f))$ du cône sont nuls si $n>1$, et s’identifient respectivement à $\mathrm{Ker}(f)$ si $n=1$ et $B/f(A) \cong \mathrm{coKer}(f)$ si $n=0$. (On pourra même montrer que $\mathrm{cone}(f)$ est quasi-isomorphe au complexe $\dots 0 \to \mathrm{Ker}(f) \stackrel{0}\to B/f(A)$.)

En particulier la suite exacte longue d’un cône en homologie s’identifie dans ce cas à la suite exacte (presque-)courte

$$ 0\to \mathrm{Ker}(f) \to A\stackrel{f}\to B \to B/f(A)\to 0.$$

On voit ainsi que la construction du cône contient simultanément les données du noyau et de l’image de $f$.

La construction du cône dépend fonctoriellement de l’application $f$. Précisément, étant donné un diagramme commutatif

$$\xymatrix{C\ar[r]^{f} \ar[d]_{\alpha} & D \ar[d]^{\beta} \\ C' \ar[r]^{f'} & D' } $$

le lemme de relèvement donne un morphisme canonique $\mathrm{cone}(f) \xrightarrow{\phi_{i'\circ \beta,0}} \mathrm{cone}(f')$ (puisque $i'\circ \beta \circ f=i'\circ f'\circ \alpha=0$). On vérifie que $\phi_{i'\circ \beta,0}(x,y))=(\alpha(x), \beta(y))$.

Corollaire Invariance et naturalité du cône

1. On a un diagramme commutatif de suites exactes courtes de complexes

$$ \xymatrix{ D \ar[r]^{i} \ar[d]_{\beta} & \mathrm{cone}(f) \ar[r]^{j} \ar[d]_{\phi_{i'\circ \beta,0}} & C[-1] \ar[d]^{\alpha[-1]} \\ D' \ar[r]^{i'} & \mathrm{cone}(f') \ar[r]^{j'} & C'[-1] . } $$

2. Si $\alpha$, $\beta$ sont des quasi-isomorphismes, alors $\mathrm{cone}(f) \xrightarrow{\phi_{i'\circ \beta,0}} \mathrm{cone}(f')$ est un quasi-isomorphisme.

Démonstration.
Le diagramme se déduit du lemme de relèvement et de la suite exacte courte associée au cône.

Si $\alpha$, $\beta$ sont des quasi-isomorphismes, alors la Propriété 2 sur 3 donne le résultat.
C.Q.F.D.

On peut consulter un exemple instructif pour voir la différence entre le cône d’un morphisme et le quotient naïf

Exemple On peut voir que la construction du cône est bien une généralisation algébrique de la notion de cône d’un espace. En effet si $X$ est un complexe simplicial (ou cellulaire), son cône a une structure cellulaire obtenue en rajoutant un nouveau sommet $*$ et en rajoutant un nouveau $n+1$-simplexe pour chaque $n$-simplexe de $C$ (obtenu en rajoutant $*$ aux sommets du $n$-simplexe). On vérifie immédiatement (on le laisse en exercice) que ce complexe cellulaire n’est rien d’autre que le cône $cone( C_*(X)\stackrel{id}\longrightarrow C_*(X))$ de l’application identité de son complexe simplicial (ou cellulaire). Plus généralement si $f: C\to D$ est une application simpliciale (ou cellulaire), alors on voit que $cone(C_*(C)\stackrel{f_*}\longrightarrow C_*(D)$ n’est rien d’autre que le complexe cellulaire obtenu en prenant le complexe sous-jacent du complexe simplicial (ou cellulaire) obtenu en recollant le Cone de $C$ et $L$ en identifiant $C\subset Cone(C)$ et son image dans $D$. On laisse au lecteur motivé le soin de prouver un analogue de ce résultat dans le cadre de l’homologie singulière pour un espace topologique.

On retiendra que, si on applique la construction du cône aux complexes de chaines naturels calculant l’homologie des espaces, on obtient un complexe naturellement (quasi-)isomorphe à celui calculant l’homologie du cône de l’application entre ces espaces.