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§III. Nombres de Betti réduits

Je m’en vais chercher maintenant les nombres de Betti, relatifs à un polyèdre, mais afin d’éviter l’équivoque, dont j’ai signalé plus haut la possibilité, je conviendrai de définir ces nombres de la seconde manière, c’est-à-dire que $P_q-1$ sera le nombre de variétés fermées à $q$ dimensions, que l’on peut tracer sur notre polyèdre $V$ et qui sont linéairement indépendantes , je veux dire, qui ne sont liées par aucune homologie à coefficient entier, au sens de Analysis situs, page 207.

Mais je me proposerai d’abord de déterminer le nombre $P'_q-1$ des variétés à $q$ dimensions, fermées et linéairement indépendantes, que l’on peut tracer sur notre polyèdre $V$, mais en nous bornant à celles qui sont des combinaisons des variété [1] $v_q$.

Le nombre $P'_q$ sera alors ce que j’appellerai le le nombre de Betti réduit.

Les variétés à $q$ dimensions, qui sont des combinaisons des $v_q$, pourront évidemment être représentées par $\sum_i \lambda_i a_i^q$, les $\lambda_i$ étant des coefficients entiers et les lettres $a_i^q$ continuant à désigner les différentes variétés $v_q$.

Quelle est d’abord la condition pour que la variété $\sum_i \lambda_i a_i^q$ soit fermée ?

Pour cela cherchons quelles sont les variétés $v_{q-1}$ qui forment les frontières de cette variété. Pour les trouver il suffit évidemment de remplacer $a_i^q$ par sa valeur donnée par la congruence (3).

Cet ensemble de variétés frontières sera donc donné par la formule

$$ \sum_i \sum_j \lambda_i \epsilon_{i,j}^q a_i^{q-1}. $$

Pour que la variété $\sum_i \lambda_i a_i^q$ soit fermée, il suffit donc que l’on ait identiquement

$$ \sum_i \sum_j \lambda_i \epsilon_{i,j}^q a_i^{q-1}=0 $$

c’est-à-dire que, quel que soit $j$, on ait

$$ \sum_i \epsilon_{i,j}^q=0. $$

En d’autres termes, la variété $\sum_i \lambda_i a_i^q$, si l’on a

$$ \tag{7, q} \sum_i \lambda_i a_i^q \equiv 0 $$

en vertu des congruences (3,q) ; j’appelle ainsi celles des congruences (3), qui lient les $a_i^q$ aux $a_j^{q-1}$.

Cherchons maintenant les homologies qui peuvent exister entre les variélés $a_i^q$. On obtiendra toutes ces homologies, en combinant celles que l’on peut obtenir de la façon suivante.

Considérons la congruence

$$ \tag{8} a_k^{q+1} \equiv \sum \epsilon_{k,i}^{q+1} a_i^q $$

qui, d’après la convention que nous venons de faire, est une congruence (3, q+1) ; remplaçons le signe $\equiv$ par $\sim$, et le premier membre par zéro ; il viendra

$$ \tag{9, q} \sum_i \epsilon_{k,i}^{q-1} a_i^q \sim 0. $$

Cette homologie aura évidemment lieu, puisque, par définition, elle exprime, comme la congruence (8), que les $a_i^q$ forment la frontière complète de $a_k^{q+1}$.

Nous démontrerons plus loin (§ VI), qu’il n’y en a pas d’autres.

Je désigne cette homologie par (9, q) pour marquer qu’elle a lieu entre les $a_i^q$.

Je dis que si l’homologie (9, q) a lieu, la congruence

$$ \tag{10, q} \sum_i \epsilon_{k,i}^{q+1} a_i^q \equiv 0 $$

sera une conséquence des congruences (3, q).

Remplaçons, en effet, les $a_i^q$ par leurs valeurs, données par ces congruences (3, q) ; il viendra

$$ \sum_i \epsilon_{k,i}^{q+1} a_i^q \equiv \sum_i \sum_j \epsilon_{k,l}^{q+1} \epsilon_{i,j}^{q-1}. $$

Le second membre est identiquement nul en vertu des relations (5).

Cela posé, soit $\alpha_q$, le nombre des variétés $a_i^q$ ; soit $\alpha'_q$ le nombre de ces variétés qui restent distinctes, si l’on ne regarde pas comme distinctes des variétés liées par une homologie de la forme (9, q) ; soit $\alpha''_q$ le nombre de ces variétés qui restent distinctes, si l’on ne regarde pas comme distinctes des variétés liés par une congruence de la forme (7, q).

Il résulte de ces définitions :

  1. qu’il y a $\alpha_q-\alpha'_q$ homologies distinctes de la forme (9,q) ;
  2. qu’il y a $\alpha_q-\alpha''_q$ congruences distinctes de la forme (7,q) ;
  3. que $\alpha'_q \geq \alpha_q$, car si plusieurs $a_i^q$ sont liés par une homologie de la forme (9,q), elles seront liées également par la congruence (10,q) correspondante.

Enfin le nombre cherché $P'_q-1$ est égal à $\alpha'_q-\alpha''_q$, car les variétés fermées de la forme $\sum_i \lambda_i a_i^q$, réellement distinctes, sont en nombre égal à celui des congruences (7, q), c’est-à-dire au nombre de $\alpha_q-\alpha''_q$.

Le nombre $P'_q-1$ est le nombre de ces variétés qui restent distinctes en ne regardant pas comme distinctes celles qui sont liées par une homologie (9, q). Or le nombre de ces homologies est $\alpha_q-\alpha'_q$ ; nous avons donc

$$ P'_q-1 = (\alpha_q-\alpha''_q)-(\alpha_q-\alpha'_q)=\alpha'_q-\alpha''_q. $$

C.Q.F.D.

Soient $a_1^q, a_2^q, \ldots, a_i^q$ des variétés $v_q$, au nombre de $i$ et

$$ \begin{array}{c} a_1^q \equiv \sum \epsilon_{1,j} a_j^{q-1}, \\ a_2^q \equiv \sum \epsilon_{2,j} a_j^{q-1},\\ \ldots \ldots ,\\ a_i^q \equiv \sum \epsilon_{i,j} a_j^{q-1} \end{array} $$

les congruences (3) correspondantes. Formons les homologies correspondantes

$$ \sum \epsilon_{1,j} a_j^{q-1} \sim 0, \quad \sum \epsilon_{2,j} a_j^{q-1} \sim 0, \quad \ldots, \quad \sum \epsilon_{i,j} a_j^{q-1}\sim 0. $$

La condition nécessaire et suffisante pour que ces homologies soient distinctes, c’est que l’on n’ait entre les $i$ variétés $a_1^q, a_2^q, \ldots, a_i^q$ aucune congruence de la forme

$$ \lambda_1 a_1^q + \lambda_2 a_2^q + \cdots + \lambda_q a_i^q \equiv 0. $$

Le nombre des homologies distinctes est donc égal au nombre des $a_i^q$ distinctes, en tenant compte des congruences (7, q). Donc

$$ \alpha_{q-1}-\alpha'_{q-1}= \alpha''_{q} \quad {\rm ou} \quad \alpha_{q-1}= \alpha'_{q-1}+ \alpha''_{q}. $$

Nous aurons, d’autre part,

$$ \alpha'_0=1. $$

Si, en effet, on peut aller d’un sommet quelconque $a_1^0$ à un autre sommet quelconque, en suivant des arêtes (c’est-à-dire si le polyèdre est d’un seul tenant), on aura l’homologie

$$ a_1^0\sim a_i^0, $$

c’est-à-dire qu’il n’y aura qu’un seul sommet distinct, en tenant compte des homologies. Envisageons maintenant la congruence (3 bis)

$$ P \equiv \sum a_i^p ; $$

l’homologie correspondante s’écrit

$$ \sum a_i^p \sim 0 $$

et il n’y a pas d’autre homologie (9, p). Donc

$$ \alpha_p= \alpha'_p +1. $$

De plus, le polyèdre étant d’un seul tenant, une seule des combinaisons $\sum \lambda_i a_i^p$ pourra être fermée, c’est le polyèdre lui-même dans son entier, représenté par la formule $\sum a_i^p$.

Nous aurons donc une seule congruence de la forme (7, p)

$$ \sum a_i^p \equiv 0. $$

Donc

$$ \alpha_p = \alpha''_p +1, \quad \alpha'_p= \alpha''_p. $$

Nous avons donc la série d’équations

$$ \begin{array}{llcll} \alpha'_0 & = 0, & & & \\ \alpha_0 & = \alpha'_0+\alpha''_1, & \quad & \alpha'_1-\alpha''_1 & = P'_1-1, \\ \alpha_1 & = \alpha'_1+\alpha''_2, & \quad & \alpha'_2-\alpha''_2 & = P'_2-1, \\ \ldots & \ldots & & \ldots & \ldots \\ \alpha_{p-1} & = \alpha'_{p-1}+\alpha''_p, & \quad & \alpha'_{p-1}-\alpha''_{p-1} & = P'_{p-1}-1, \\ \alpha_p & = \alpha'_p+1, & \quad & \alpha'_p-\alpha''_p & = 0, \end{array} $$

d’où l’on tire aisément

$$ \alpha_p-\alpha_{p-1}+ \alpha_{p-2}-\cdots \pm \alpha_1 \mp\alpha_0 = 1- (P'_{p-1}-1) + \cdots \mp (P'_2-1)\pm (P'_1-1) \mp 1, $$

tout à fait analogue à la formule

$$ \alpha_p-\alpha_{p-1}+ \alpha_{p-2}-\cdots \pm \alpha_1 \mp\alpha_0 = 1- (P_{p-1}-1) + \cdots \mp (P_2-1)\pm (P_1-1) \mp 1, $$

que nous avons trouvée dans l’Analysis situs, page 287.


[1Sic.