> Textes originaux > Premier complément à l’Analysis Situs > §VII. Polyèdre réciproque Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Vous pouvez retrouver nos commentaires par ici. §VII. Polyèdre réciproque |
Soit $P$ un polyèdre dans l’espace à quatre dimensions ; ce polyèdre sera subdivisé en un certain nombre de variétés $v_3$, que j’appellerai ses cases, et que je désignerai par $a_i^3$. Ces cases seront séparées les unes des autres par des variétés $v_2$ ou $a_i^2$, que j’appellerai les faces ; ces faces auront pour frontières des variétés $v_1$ ou $a_i^1$, que j’appellerai les arêtes, et les extrémités des arêtes seront des points de $v_0$ ou $a_i^0$, que j’appellerai les sommets.
Je supposerai, bien entendu, que les cases et les faces sont simplement connexes.
Marquons, à l’intérieur de chaque case $a_i^3$, un point $P(a_i^3)$ ; à l’intérieur de chaque face $a_i^2$, un point $P(a_i^3)$ ; sur chaque arête $a_i^1$, un point $P(a_i^3)$ ; chaque arête se trouvera ainsi partagée en deux parties par le point $P(a_i^1)$.
Joignons par des lignes le point $P(a_i^2)$ à chacun des sommets de la face $a_i^2$ et à chacun des points $P(a_j^1)$, correspondant aux diverses arêtes $a_j^1$ de la face $a_i^2$. Toutes ces lignes devront être tracées sur la face $a_i^2$. Cette face sera ainsi partagée en triangles, et le nombre de ces triangles sera double du nombre des arêtes de $a_i^2$. Nous ferons de même pour toutes les autres faces.
Considérons maintenant une case $a_i^3$ ; décomposons en triangles $T$ toutes les faces $a_j^2$ de cette case, ainsi que nous venons de le dire. Construisons des triangles curvilignes, ayant pour sommet commun le point $P(a_i^3)$ et pour bases les différents côtés des différents triangles $T$. La case $a_i^2$ sera ainsi décomposée en tétraèdres, ayant $P(a_i^3)$ pour sommet commun et pour bases les différents triangles $T$.
Nous distinguerons six sortes de lignes (qui seront les arêtes de nos tétraèdres) :
Celles de la première sorte joindront un sommet $a_i^0$ à un point $P(a_j^1)$ ; chaque arête sera formée de deux lignes de la première sorte ;
Celles de la seconde sorte joindront un point $P(a_i^3)$ à un point $P(a_j^2)$ ;
Celles de la troisième sorte joindront un point $P(a_i^2)$ à un sommet $a_j^0$ ;
Celles de la quatrième sorte joindront un point $P(a_i^1)$ à un point $P(a_j^2)$ ;
Celles de la cinquième sorte joindront un point $P(a_i^3)$ à un point $P(a_j^1)$ ;
Celles de la sixième sorte joindront un point $P(a_i^3)$ à un sommet $a_j^0$.
Les lignes de la seconde sorte peuvent s’accoupler deux à deux de deux manières :
- Ce que j’appellerai la ligne $b_i^1$ sera formée de deux lignes de la seconde sorte, joignant un même point $P(a_i^2)$ à deux points $P(a_j^3)$ et $P(a_k^3)$, correspondant aux deux cases $a_j^3$ et $a_k^3$ séparées par la face $a_i^2$. Il y aura donc autant de lignes $b_i^1$ que de faces $a_i^2$.
- Ce que j’appellerai une ligne $c$ sera formée de deux lignes de la seconde sorte, joignant un même point $P(a_i^3)$ à deux points $P(a_i^2)$ et $P(a_k^2)$, correspondant à deux faces $a_i^2$ et $a_k^2$ de la case $a_i^3$. [1]
Il nous faut définir des surfaces que j’appellerai les surfaces $b_i^2$.
Soit une arête quelconque $a_i^1$ et le point $P(a_i^1)$. Supposons que les faces qui passent par $a_i^1$, soient successivement
$$a_1^2,~a_2^2,~\dots,~a_q^2,$$
et que les cases, auxquelles appartient $a_i^1$, soient successivement
$$a_1^3,~a_2^3,~\dots,~a_q^3,$$
de telle façon que $a_1^2$ sépare $a_1^3$ de $a_2^3$, $a_2^2$ sépare $a_2^3$ de $a_3^3$, $\dots$, et, qu’enfin, $a_q^2$ sépare $a_q^3$ de $a_1^3$. Convenons, pour plus de symétrie, de désigner indifféremment la case $a_1^3$ par $a_1^3$ ou $a_{q+1}^3$.
Décomposons chaque case en tétraèdres et envisageons, en particulier, les tétraèdres qui admettent pour sommet le point $P(a_i^1)$. Considérons les $2q$ triangles curvilignes [2]
$$P(a_i^1)P(a_k^3)P(a_k^2), \quad P(a_i^1)P(a_{k+1}^3)P(a_k^2) \quad\quad (k=1,2,~\dots,q).$$
L’ensemble de ces $2q$ triangles formera un certain polygone que j’appellerai $b_i^2$, et qui aura pour frontière l’ensemble des lignes
$$b_1^1,~b_2^1,~\dots,~b_q^1.$$
Définissons maintenant les volumes $b_i^3$ ; le volume $b_i^3$ sera l’ensemble des tétraèdres qui admettent pour sommet le point $a_i^0$ ; ce volume sera un polyèdre à trois dimensions, simplement connexe, qui aura pour frontière l’ensemble des surfaces $b_k^2$, correspondant aux arêtes $a_k^1$, qui aboutissent au point $a_i^0$.
La juxtaposition des volumes $b_i^3$ constituera un nouveau poyèdre $P'$, que j’appellerai le polyèdre réciproque de $P$, et qui aura pour cases les $b_i^3$, pour faces les $b_i^2$, pour arêtes les $b$, pour sommets les points $b_i^0=P(a_i^0)$.
A chaque case $b_i^3$ de $P'$ correspondra un sommet $a_i^0$ de $P$ ;
A chaque face $b_i^2$ de $P'$ correspondra une arête $a_i^1$ de $P$ ;
A chaque arête $b_i^1$ de $P'$ correspondra une face $a_i^2$ de $P$ ;
A chaque sommet $b_i^0$ de $P'$ correspondra une case $a_i^3$ de $P$.
De plus, au sens du paragraphe II, il y aura la même relation, par exemple, entre l’arête $b_i^1$ et la face $b_j^2$, qu’entre la face $a_i^2$ et l’arête $a_j^1$.
Si donc les congruences caractéristiques du polyèdre $P$ s’écrivent [3]
$$a_i^3\equiv \sum_j \epsilon_{i,j}^3 a_i^2,\quad\quad a_i^2\equiv \sum_j \epsilon_{i,j}^2 a_i^1,\quad\quad a_i^1\equiv \sum_j \epsilon_{i,j}^1 a_j^0,$$
celles du polyèdre $P'$ s’écriront
$$b_i^3\equiv \sum_j \epsilon_{i,j}^3 b_j^2,\quad\quad b_i^2\equiv \sum_j \epsilon_{i,j}^2 b_j^1,\quad\quad b_i^1\equiv \sum_j \epsilon_{i,j}^1 b_j^0.$$
Considérons maintenant une ligne $c$, formée de deux lignes de la seconde sorte, joignant un même point $P(a_i^3)$ à deux points $P(a_j^2)$ et $P(a_k^2)$.
Soient $a_m^0$ et $a_p^0$ deux sommets, appartenant respectivement tous deux à la case $a_i^3$. Soient $d$ et $d$’ les deux lignes de la troisième sorte qui joignent respectivement $P(a_j^2)$ à $a_m^0$ et $P(a_k^2)$ à $a_p^0$.
Comme $a_m^0$ et $a_p^0$ appartiennent à une même case $a_i^3$, on pourra aller de l’un de ces sommets à l’autre, en suivant une ligne brisée formée d’arêtes $a_q^1$ appartenant à $a_i^3$.
Soit $\sum a_q^1$ cette ligne brisée, dont les extrémités sont $a_m^0$ et $a_p^0$ ; l’ensemble des lignes $c-d-\sum a_q^1+d'$ sera une ligne fermée, ce que j’exprimerai par la congruence
$$c \equiv d+\sum a_q^1-d'.$$
Comme $a_i^3$ est simplement connexe, cette ligne fermée sera la frontière d’une variété à deux dimensions, intérieure à $a_i^3$, ce que j’exprimerai par l’homologie
$$c \sim d+\sum a_q^1-d'.$$
Réciproquement, soit $\sum a_q^1$ une ligne brisée, formée d’arêtes appartenant toutes à $a_i^3$, et dont les extrémités sont les sommets $a_m^0$ et $a_p^0$ ; ces deux sommets appartiendront respectivement à deux faces $a_j^2$ et $a_k^2$, faisant toutes deux partie de $a_i^3$. Soient les trois lignes
$$c=P(a_j^2)P(a_i^3)+P(a_i^3)P(a_k^2), \quad\quad d=P(a_j^2)a_m^0, \quad\quad d'=P(a_k^2)a_p^0.$$
On aura encore
$$c \sim d+\sum a_q^1 - d'.$$
Soit maintenant $a_i^0$ un sommet appartenant à deux faces $a_j^2$ et $a_k^2$. Soient les deux lignes de la troisième sorte
$$d_j=P(a_j^2)a_i^0, \quad\quad d_k=P(a_k^2) a_i^0.$$
Nous pouvons tracer une ligne $L$, s’écartant infiniment peu du sommet $a_i^0$, et allant d’un point $a_j^2$ à un point $a_k^2$.
Supposons, pour fixer les idées, que cette ligne traverse trois cases et qu’elle rencontre successivement la face $a_j^2$, la case $a_j^3$, la face $a_m^2$, la case $a_m^3$, la face $a_p^2$, la case $a_p^3$, et enfin la face $a_k^2$.
Construisons les trois lignes $c$
$$\begin{array}{rcl} c_j & = & P(a_j^2)P(a_j^3)+P(a_j^3)P(a_m^2),\\ c_m & = & P(a_m^2)P(a_m^3)+P(a_m^3)P(a_p^2),\\ c_p & = & P(a_p^2)P(a_p^3)+P(a_p^3)P(a_k^2), \end{array}$$
et les deux lignes de la troisième sorte
$$d_m=P(a_m^2)a_i^0,\quad\quad d_p=P(a_p^2)a_i^0.$$
On aura
$$c_j \equiv d_j-d_m, \quad\quad c_m \equiv d_m-d_p, \quad\quad c_p\equiv d_p-d_k;$$
et comme les trois cases $a_j^3$, $a^3_m$, $a_p^3$ sont simplement connexes
$$c_j \sim d_j-d_m, \quad\quad c_m \sim d_m-d_p, \quad\quad c_p\sim d_p-d_k,$$
et enfin
$$c_j+c_m+c_p\sim d_j-d_k.$$
On peut donc toujours trouver une ligne brisée, formée de lignes $c$ et homologues à $d_j-d_k$, $d_j$ et $d_k$ étant des lignes de la troisième sorte, aboutissant à un même sommet.
$$\tag{1} \sum b_i^1\equiv 0 $$
une congruence entre les arêtes du polyèdre $P'$.
La ligne brisée $\sum b_i^1$ est évidemment formée d’un nombre pair de lignes de la deuxième sorte, et en parcourant cette ligne brisée, on rencontrera successivement $q$ faces
$$a_1^2,~a_2^2,~\dots,~a_q^2,$$
pour revenir à la face $a_i^2$, que je désignerai également par $a_{q+1}^2$ ; et l’on rencontrera $q$ cases [4]
$$a_1^3,~a_2^3,~\dots,~a_p^3,$$
pour revenir à la case $a_1^3$, que je désignerai également par $a_{q+1}^3$, de sorte que la face $a_k^2$ séparera la case $a_k^3$ de la case $a_{k+1}^3$.
Notre congruence s’écrit alors
$$\sum\left [ P(a_k^3)P(a_k^2)+P(a_k^2)P(a_{k+1}^3)\right ] \equiv 0,$$
ou, ce qui revient au même,
$$\sum\left [ P(a_{k-1}^2)P(a_k^3)+P(a_k^3)P(a_k^2)\right ] \equiv 0.$$
Soit alors $a_k^0$ un sommet de la face $a_k^2$ appartenant, par conséquent, à la fois aux cases $a_k^3$ et $a_{k+1}^3$.
Soit $d_k$ la ligne de la troisième sorte $P(a_k^2)a_k^0$ ; nous venons de voir qu’il existe une ligne brisée $A_k$, formée d’arêtes appartenant à la case $a_k^3$, et telle que l’on ait l’homologie
$$P(a_{k-1}^2)P(a_k^3)+P(a_k^3)P(a_k^2) \sim d_{k-1}+A_k-d_k.$$
En additionnant toutes ces homologies, le premier membre se réduit à
$$\sum\left [ P(a_{k-1}^2)P(a_k^3)+P(a_k^3)P(a_{k}^2)\right ] =\sum b_i^1,$$
les lignes de la troisième sorte $d_k$ disparaissent, et il reste
$$\sum b_i^1 \sim \sum A_k,$$
et, par conséquent,
$$\sum b_i^1 \equiv \sum A_k \equiv 0.$$
Donc, à toute congruence $\sum b_i^1\equiv 0$ entre les arêtes de $P'$, correspond une congruence $\sum A_k\equiv 0$ entre les arêtes de $P$, et telle que l’on ait
$$\sum b_i^1 \sim \sum A_k.$$
Si donc on a $\sum b_i^1\sim 0$, on aura $\sum A_k \sim 0$, et réciproquement.
$$\tag{2} \sum A_k\equiv 0 $$
une congruence entre les arêtes de $P$ ; supposons que $a_k$ soit une ligne brisée formée d’arêtes appartenant à la case $a_k^3$.
Le premier membre de la congruence (2) se composera de $q$ semblables lignes brisées
$$A_1,~A_2,~\dots,~A_q,$$
et je désignerai indifféremment $A_1$ par $A_1$ ou $A_{q+1}$, et $A_q$ par $A_0$ ou $A_q$.
Soient $a_{k-1}^0$ et $a_k^0$ les deux extrémités de la ligne $A_k$ ; le sommet $a_k^0$ appartiendra à la fois aux cases $a_k^3$ et $a_{k+1}^3$ ; soit ${a'}_k^{2}$ la face de $a_k^3$, et $a_{k+1}^2$ la face de $a_{k+1}^3$ auxquelles appartient $a_k^0$.
Soient les lignes de la troisième sorte
$$d_k'=P(a_k^2)a_k^0,\quad\quad d_{k+1}=P(a_{k+1}^2)a_k^0,$$
et, d’autre part, [5]
$$c_k=P(a_k^2)P(a_k^3)+P(a_k^3)P(a_k^2).$$
Nous avons vu que
$$A_k\sim -d_k+c_k+d_k'.$$
D’autre part, les lignes $d_{k+1}$ et d$_k'$ aboutissent à un même sommet $a_k^0$ ; nous avons vu également que l’on peut trouver une combinaison $C_k$ de lignes $c$ telles que l’on ait
$$C_k \sim d_k'-d_{k-1}.$$
En additionnant toutes ces homologies, je trouve
$$\sum A_k \sim \sum c_k + \sum C_k,$$
et, par conséquent,
$$\sum c_k+\sum C_k \equiv 0.$$
Le premier membre de cette dernière congruence est une combinaison de lignes $c$, ou, ce qui revient au même, une combinaison d’arêtes $b_i^1$ du polyèdre $P'$, de sorte que je puis poser
$$\sum c_k+\sum C_k = \sum b_i^1,$$
d’où
$$\sum A_k \sim \sum b_i^1.$$
En résumé : à toute congruence entre les arêtes de $P$, correspond une congruence entre celles de $P'$, et réciproquement, et la condition nécessaire et suffisante pour que le premier membre de l’une des conditions soit homologue à zéro, c’est que l’autre le soit.
En d’autres termes, le nombre des congruences distinctes entre les arêtes est le même pour $P$ et $P'$, en ne considérant pas des congruences comme distinctes, quand une combinaison linéaire des premiers membres de ces congruences est homologue à zéro.
En d’autres termes encore, le nombre de Betti réduit, relatif aux arêtes de $P$, est égal au nombre de Betti réduit, relatif aux arêtes de $P'$.
On pourrait arriver au même résultat, en remarquant que l’on peut construire un polyèdre qui serait, à la fois, dérivé du polyèdre $P$ et dérivé du polyèdre réciproque $P'$, et en appliquant le théorème du paragraphe V.
Nous verrons plus loin, au paragraphe X, que cette proposition peut être présentée sous une autre forme.
D’autre part, cela peut permettre, plus simplement qu’au paragraphe V, de démontrer que les nombres de Betti réduits sont égaux aux nombres de Betti proprement dits.
En effet, la définition du polyèdre $P'$ comporte un certain arbitraire : ses sommets $b_i^0$ ne sont assujettis qu’à être intérieurs aux cases $a_i^3$ de $P$. Dans ces conditions, on peut évidemment choisir toujours le polyèdre $P'$ de façon qu’une ligne fermée quelconque soit une combinaison des $b_i^1$.