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§IX. Remarques diverses

Le théorème fondamental est ainsi établi par une démonstration, qui diffère essentiellement de celle de la page 226 de l’Analysis Situs

Mais cela ne saurait pas nous suffire. Il nous faut nous efforcer de retrouver les propositions intermédiaires et, en particulier, celle-ci :

La condition nécessaire et suffisante pour que l’on puisse trouver une variété $V$ telle que $\sum N(V,V_i)\neq 0$, c’est que l’on n’ait pas l’homologie $\sum V_i \sim 0$.

Considérons deux variétés, la première $V_1$, à une dimension, composée d’arêtes de $P'$, la seconde $V_2$, à deux dimensions, composée de faces de $P$, de telle sorte qu’on aura

$$V_1=\sum \alpha_i b_i^1,\quad\quad V_2=\sum \alpha_i' a_i^2,$$

l’arête $b_i^1$ étant celle qui correspond à la face $a_i^2$, d’après les conventions du paragraphe VII.

L’arête $b_i^1$ coupe la face $a_i^2$, et n’en coupe aucune autre, de telle sorte que si nous reprenons la notation de l’Analysis Situs, page 222, nous aurons

$$N(V_1,V_2)=\sum\alpha_i\alpha_i'.$$

Nous supposerons dans ce qui va suivre, que les variétés $V_1$ et $V_2$ sont fermées, ce qui s’exprime par les congruences

$$ \tag{1} \sum \alpha_i b_i^1 \equiv 0, \quad\quad \sum \alpha_i' a_i^2 \equiv 0. $$

Vérifions d’abord que l’on aura

$$\sum \alpha_i' a_i^2 \equiv 0,$$

pourvu que l’on ait l’une des deux homologies [1].

$$ \tag{2} \sum \alpha_i b_i^1 \sim 0, \quad\quad \sum \alpha_i' a_i^2 \sim 0. $$

Si, en effet, nous avons, par exemple, la seconde homologie (2), c’est qu’on aura

$$\alpha_i'=\sum_{j=1}^{j=N_3} \zeta_j \epsilon_{i,j}^3,$$

$\zeta_j$ étant un coefficient ne dépendant que de $j$.

D’un autre côté , la première des congruences (1) peut se déduire de l’une des suivantes :

$$\tag{3} b_i^1\equiv\sum b_j^0 \epsilon_{j,i}^3, $$

d’où

$$\sum \alpha_i b_i^1 \equiv \sum\sum \alpha_i b_j^0 \epsilon_{j,i}^3.$$

En égalant à zéro le coefficient de $b_j^0$, il vient successivement

$$\sum\alpha_i \epsilon_{j,i}^3=0,\quad\quad \sum\sum\alpha_i\zeta_j\epsilon_{j,i}^3=0,\quad\quad \sum\alpha_i\alpha_i'=0.$$

C.Q.F.D.

On raisonnerait de même si l’on avait la première homologie (2).

Je dis maintenant que si la seconde homologie (2) n’a pas lieu, on peut choisir les $\alpha_i$ de telle façon que $V_1$ reste fermée et cependant que $\sum \alpha_i \alpha_i'$ ne soit pas nul.

En effet, dire que la seconde homologie (2) n’a pas lieu, c’est dire qu’on ne peut pas trouver des nombres $\zeta_j$ tels que l’on ait

$$\tag{4} \alpha_i'=\sum \zeta_j \epsilon_{j,i}^3. $$

Dire que $V_1$ reste fermée, c’est dire que si les $\alpha_i$ sont assujettis à des conditons

$$\tag{5} \sum \alpha_i \epsilon_{j,i}^3=0. $$

Or il est clair que si les $\alpha_i'$ ne satisfont pas à des égalités de la forme (4), l’équation linéaire $\sum\alpha_i\alpha_i'=0$ sera distincte des équations (5) ; on pourra donc toujours trouver des nombres $\alpha_i$, qui satisfassent aux équations (5) sans satisfaire à $\sum\alpha_i\alpha_i'=0$.

Remarquons d’ailleurs que nous n’avons pas restreint la généralité en supposant que nos variétés $V_1$ et $V_2$ étaient des combinaisons des $b_i^1$ et des $a_i^2$, quelle que soit la variété $V$, dont la subdivision forme les polyèdres $P$ et $P'$. Quelles que soient les variétés $V_1$ et $V_2$, nous pouvons toujours subdiviser $V$, de manière à former deux polyèdres réciproques $P$ et $P'$ tels que $V_1$ soit une combinaison des arêtes du second, et $V_2$ une combinaison des faces du premier.

Il faudrait voir comment le tableau (1) du paragraphe VII et les tableaux analogues, peuvent nous permettre de déterminer les nombres de Betti, tels que Betti les définit lui-même, et non plus les nombres de Betti définis de la seconde manière, c’est-à-dire ceux que nous avons considérés jusqu’à présent.

Considérons, par exemple, un tableau analogue au tableau (1), mais relatif aux arêtes du polyèdre $P$ et à leurs relations avec les faces et les sommets. Considérons, en particulier, les colonnes de la seconde sorte et les lignes de la première sorte, où figurent les nombres $\epsilon_{i,j}^2$. Soit $T$ le tableau partiel ainsi obtenu. A l’aide de ce tableau, on pourra former les congruences

$$a_i^2 \equiv \sum \epsilon_{i,j}^2 a_j^1,$$

d’où l’on déduit les homologies

$$\tag{6} \sum \epsilon_{i,j}^2 a_j^1 \sim 0. $$

Alors pour reconnaître si plusieurs lignes fermées, formées de combinaisons des arêtes $a_j^1$ sont distinctes au sens de la première définition, c’est-à-dire au sens de Betti, il faut savoir si elles sont liées par une homologie obtenue en combinant les homologies (6) par addition, soustraction ou multiplication, mais sans division.

Supposons qu’on ait appliqué à notre tableau une série de ces transformations, que j’ai appelées arithmétiques au paragraphe VIII.

Soit $\zeta_{i,j}^2$ le nombre qui, dans le tableau transformé, figure dans la $j^{\rm ième}$ ligne de la première sorte et la $i^{\rm ième}$ colonne de la seconde sorte. Soit $c_j$ la variété qui correspond à la $j^{\rm ième}$ ligne de la première sorte de notre tableau transformé en vertu des conventions du paragraphe VII. D’après ce que nous avons vu dans ce paragraphe VIII, cette variété n’est qu’une combinaison des arêtes $a_j^1$.

Nous aurons alors les homologies

$$ \tag{6 bis} \sum \zeta_{i,j}^2 c_j \sim 0. $$

Ces homologies ne sont que des combinaisons des homologies (6), que l’on peut obtenir sans division, et réciproquement on peut tirer des homologies (6) des homologies (6 bis) sans division, c’est là une conséquence du caractère arithmétique des transformations.

On peut donc, quand on veut s’assurer si deux lignes fermées sont distinctes au sens de Betti, se servir des homologies (6 bis) au lieu des homologies (6).

Nous pouvons supposer qu’on s’est servi des transformations arithmétiques pour réduire le tableau, comme je l’ai expliqué au paragraphe VIII et, par conséquent, que $\zeta_{i,j}^2$ est nul : 1${}^{o}$ si $i>j$ ; 2${}^{o}$ si $j>N_2$.

Le tableau réduit aux colonnes de la seconde sorte et aux lignes de la première sorte prendra, par exemple, la forme suivante :

$$\begin{array}{ccccc} a & 0 & 0 & 0 & 0 \\ e & b & 0 & 0 & 0 \\ f & g & c & 0 & 0 \\ h & k & l & d & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 0 \\ \end{array}$$

J’ai supposé six lignes et cinq colonnes ; j’ai supposé que l’un des nombres $\zeta_{j,i}^2$ est égal à zéro, de façon qu’une des colonnes du tableau transformé soit entièrement composée de zéros. J’ajoute que si $d$ était égal à $1$, les nombres $h$, $k$, $l$ qui figurent à la même ligne, seraient nuls.

Cela posé, si $d$ n’est pas égal à $1$ ; les deux définitions des nombres de Betti ne coïncident pas, parce que l’on a l’homologie $dc_4 \sim 0$, d’où l’on ne pourrai déduire l’homologie $c_4\sim 0$ que par division. Si $d=1$, on a $h=k=l=0$, et si $c$ n’est pas égal à $1$, on aura l’homologie $cc_3\sim0$, et les deux définitions ne concorderont pas ; et ainsi de suite.

En résumé, pour que les deux définitions concordent, il faut et il suffit que le produit $abcd$ soit égal à $1$.

Pour interpréter ce résultat, revenons au tableau non transformé. Les produit $abcd$ sera le plus grand commun diviseur de tous les déterminants obtenus en supprimant $N_2-N_3$ lignes dans le tableau $T$, pourvu que ces déterminants ne soient pas tous nuls (auquel cas il n’y aurait pas dans le tableau transformé de colonne exclusivement composée de zéros). Si les déterminants sont tous nuls, on en formera d’autres en supprimant dans le tableau $T$ une colonne et $N_2-N_3+1$ lignes ; le produit $abcd$ sera le plus grand commun diviseur de tous ces déterminants, s’ils ne sont pas tous nuls ; et ainsi de suite.

Nous arrivons ainsi à la règle suivante :

Soit $\Delta_p$ le plus grand commun diviseur des déterminants obtenus en partant du tableau $T$ et y supprimant $p$ lignes et $N_2-N_3+p$ colonnes. La condition nécessaire et suffisante pour que les deux définitions des nombres de Betti coïncident, c’est que le premier des $\Delta_p$ qui ne s’annule pas, soit égal à $1$ (le plus grand commun diviseur de plusieurs nombres égaux à zéro étant zéro par définition).

Supposons que la variété $V_1= \sum x_i b_i^1$, considérée au début de ce paragraphe, ne peut pas être frontière d’une variété à deux dimensions, mais satisfait à l’homologie $V_1\sim 0$. En d’autres termes, l’homologie $V_1\sim 0$ peut se déduire des homologies (6) par division, mais non pas sans division. Dans ce cas, on aura néanmoins

$$ N(V_1, V_2)= \sum \alpha_{i} \alpha_{i}'=0.$$


[1Cf. Analysis Situs, p. 225 et 226.