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Étant donné un espace topologique $X$, l’accouplement de Kronecker est une application bilinéaire
$$\langle , \rangle : C^* (X) \otimes C_* (X) \to \mathbb{Z};$$
on y pense comme à l’« intégration » d’une cochaîne le long d’une chaîne. Dans cet article, on étend cet accouplement en une application d’« intégration partielle », le produit cap. Ce dernier nous permet ensuite de revisiter la dualité de Poincaré.
Le produit cap
Considérons l’accouplement bilinéaire
$$\cap : C^i (X) \otimes C_n (X) \to C_{n-i} (X)$$
définit de la manière suivante. Étant donné une cochaîne $\beta \in C^i (X)$ et une chaîne $c \in C_n (X)$ le produit cap $\beta \cap c$ est l’élément de $C_{n-i} (X)$ tel que
$$ \tag{1} \langle \alpha , \beta \cap c \rangle = \langle \alpha \cup \beta , c \rangle $$
pour tout $\alpha \in C^{n-i} (X)$. En d’autres termes, pour tout simplexe singulier $\sigma \in C_n (X)$, on a :
$$\beta \cap \sigma = \langle \beta , \sigma_+ \rangle \sigma_-,$$
où $\sigma_- = \partial_{i+1} \partial_{i+2} \ldots \partial_n \sigma \in C_i (X)$ et $\sigma_+ = \partial_0^i \sigma \in C_{n-i} (X)$.
Il découle de (1) et des propriétés du cup-produit que le produit cap vérifie les propriétés suivantes :
$$ \tag{2} \alpha \cap (\beta \cap c) = (\alpha \cup \beta) \cap c $$
$$ \tag{3} 1 \cap c = c $$
$$\tag{4} \partial (\beta \cap c) = \delta \beta \cap c + (-1)^{\deg \beta}\beta \cap \partial c.$$
Il découle de (4) que le produit cap définit un produit
$$\cap : H^i (X) \otimes H_n (X) \to H_{n-i} (X)$$
encore appelé produit cap.
Les propriétés suivantes se résument de la façon suivante :
Le cap-produit fait de $C_\bullet(X)$ un module à gauche différentiel gradué sur l’algèbre différentielle graduée $(C^\bullet(X), \cup)$.
En homologie, il fait de l’homologie un module gradué sur l’algèbre de cohomologie $(H^{\bullet}(X),\cup)$.
Formulation moderne de la dualité de Poincaré
On peut revisiter la dualité de Poincaré à l’aide du produit cap ; cette fois il n’est plus nécessaire de supposer que la variété est triangulable. [1]
Soit $V$ une variété compacte orientée sans bord de dimension $d$. Notons $[V] \in H_d (V)$ la classe fondamentale de $V$. Alors, l’application $\alpha \mapsto \alpha \cap [V]$ définit un isomorphisme de $H^i (V)$ vers $H_{n-i} (V)$.
Pour les variétés non-orientables le théorème reste vrai si l’on prend les coefficients dans $\mathbb{Z} / 2 \mathbb{Z}$.
On va démontrer le théorème par récurrence via des suites de Mayer-Vietoris ; on commence donc par donner un sens à la dualité de Poincaré lorsque $V$ n’est pas compacte.
Commençons par remarquer que pour toute paire $(X,A)$, on a encore un produit cap
$$C^i (X,A) \otimes C_n (X , A) \to C_{n-i} (X)$$
et aussi
$$ C^i(X) \otimes C_{j}(X,A) \to C_{j-i}(X,A)$$
(car $C^i(X,A)$ est le sous-espace des $i$-cochaînes singulières de $X$ qui s’annulent sur $C_i(A)$). Il suit que l’on obtient un morphisme :
$$H^i (X , A) \otimes H_n (X,A) \to H_{n-i} (X).$$
Maintenant si $V$ est une variété non compacte, on appelle groupes d’homologie de Borel-Moore les groupes
$$\overline{H}_i (V) := H_i (\overline{V} , *),$$
où $\overline{V}$ désigne la compactification d’Alexandroff et $*$ le point à l’infini. [2] C’est une théorie « de type homologique [3] » : si $V=|K|$ elle est associée au complexe de chaîne constitué des combinaisons formelles infinies de simplexes de $K$. On peut encore --- par dualité --- lui associer un complexe de cochaînes. La cohomologie associée $\overline{H}^i$ est aussi appelée cohomologie à support compact.
On note encore $[V]$ la classe fondamentale en homologie de Borel-Moore. Étant donné $\alpha \in \overline{H}^i$, on peut former le produit cap
$$D( \alpha ) = \alpha \cap [V].$$
Si $V$ est une variété orientable sans bord de dimension $d$, l’application $D$ induit un isomorphisme
$$\overline{H}^i (V) \cong H_{d-i} (V).$$
Démonstration. 1. Le théorème est vrai si $V = \mathbb{R}^d$ (il s’agit du calcul, une nouvelle fois, de l’homologie de la paire $(\mathbb{D}^n, \mathbb{S}^{n-1})$, ou plus exactement de la cohomologie relative $\tilde{H}_i(\mathbb{S}^n)$).
2. Supposons que $V = A \cup B$ avec $A$, $B$ et $A\cap B$ ouverts vérifiant le théorème. Alors le théorème est vrai pour $V$.
On le montre en comparant les suites exactes longues de Mayer-Vietoris et en utilisant le lemme des cinq.
3. On conclut par récurrence pour les variétés qui sont l’intérieur d’une variété compacte. Pour des variétés plus générales, on utilise le lemme des petites chaînes pour se ramener au cas (relativement) compact.
C.Q.F.D.
$$ $$
Remarquons pour finir que l’on a aussi
$$\overline{H}_i (V) \cong H^{d-i} (V)$$
et que la dualité de Poincaré pour les variétés à bord se déduit de la dualité de Poincaré-Lefschetz :
$$H_i (V , \partial V) \cong \overline{H}_i (V - \partial V) \cong H^{d-i} (V),$$
$$H_i (V) \cong \overline{H}^{d-i} (V - \partial V) \cong H^{d-i} (V , \partial V).$$
Une application : la dualité d’Alexander
Soit $X \subset \mathbb{S}^n$ un sous-ensemble compact qui est un rétracté par déformation d’un voisinage ouvert. La dualité d’Alexander --- qui généralise le théorème de Jordan --- relie la cohomologie de l’extérieur de $X$ à l’homologie intrinsèque de $X$, ou encore, pour citer Albert Lautman
permet de prévoir à l’avance l’action de $X$ sur $\mathbb{S}^n$ par la connaissance de la structure propre de $X$.
Pour tout $i$ on a :
$$\widetilde{H}^i (\mathbb{S}^n - X ) \cong \widetilde{H}_{n-i-1} (X).$$
Démonstration. L’inclusion de $\mathbb{S}^n - X$ dans $\mathbb{S}^n$ induit un homéomorphisme de $\overline{\mathbb{S}^n - X } / \{*\}$ vers $\mathbb{S}^n / X $, où $\overline{\mathbb{S}^n - X}$ désigne le compactifié d’Alexandroff de $\mathbb{S}^n - X$ et $\{ * \}$ le singleton constitué du point à l’infini. Le théorème d’écrasement appliqué au paires
$$(\mathbb{S}^n , X) \mbox{ et } (\overline{\mathbb{S}^n - X } , \{*\} )$$
implique alors que
$$H_{n-i} (\overline{\mathbb{S}^n - X} , \{ * \} ) \cong \widetilde{H}_{n-i} (\mathbb{S}^n / X) \cong H_{n-i} (\mathbb{S}^n , X).$$
Mais, puisque les groupes $\widetilde{H}_k (\mathbb{S}^n )$ sont triviaux si $k \neq n$, la suite exacte longue de la paire $(\mathbb{S}^n , X)$ implique que
$$H_{n-i} (\mathbb{S}^n , X) \cong \widetilde{H}_{n-i-1} (X),$$
sauf pour $i=0$ où $\widetilde{H}_n (\mathbb{S}^n) \cong \mathbb{Z}$ et il faut enlever un facteur libre isomorphe à $\mathbb{Z}$. Finalement, le théorème découle de la dualité de Poincaré-Lefschetz
$$H^i (\mathbb{S}^n - X ) \cong \overline{H}_{n-i} ( \mathbb{S}^n - X ),$$
où par définition
$$\overline{H}_{n-i} ( \mathbb{S}^n - X ) = H_{n-i} (\overline{\mathbb{S}^n - X} , \{ * \} ).$$
Noter qu’il faut prendre la cohomologie réduite $\widetilde{H}^i (\mathbb{S}^n - X )$ puisque pour $i=0$ on doit enlever un facteur $\mathbb{Z}$ ci-dessus.
C.Q.F.D.
$$ $$
L’isomorphisme ci-dessus induit un accouplement bilinéaire
$$\widetilde{H}_i (\mathbb{S}^n - X) \times \widetilde{H}_{N-i-1} (X) \to \mathbb{Z}$$
qui réalise la dualité d’Alexander. C’est un accouplement non dégénéré. Géométriquement, il correspond à un enlacement entre un cycle $\alpha \in \widetilde{H}_i (\mathbb{S}^n - X)$ et un cycle $\gamma \in \widetilde{H}_{N-i-1} (X)$. Le cycle $\gamma$ est en effet homologue à 0 dans $\mathbb{S}^n$, il borde donc une chaîne dans $\mathbb{S}^n$ et l’enlacement de $\alpha$ et $\gamma$ est égal à l’indice d’intersection entre $\alpha$ et la chaîne de bord $\gamma$. [4]
Concluons par une application immédiate de la dualité d’Alexander :
On ne peut pas plonger une sous-variété non-orientable de dimension $n-1$ dans $\mathbb{S}^n$.
Démonstration. Soit $X$ une sous-variété de $\mathbb{S}^n$. Il découle de la dualité d’Alexander (appliquée en prenant $i=1$) que $\widetilde{H}_{n-2} (X)$ est libre. La variété $X$ est donc nécessairement orientable.
C.Q.F.D.
[1] Noter toutefois que pour cela il faut utiliser la classe fondamentale d’une variété topologique !
[2] Noter qu’il n’est pas essentiel ici de prendre la compactification d’Alexandroff, toute autre compactification aurait fait l’affaire à condition de considérer son homologie relative par rapport au sous-ensemble ajouté lors de la compactification ; dans tous les cas ici, l’inclusion du bord vérifie les hypothèses du théorème d’écrasement.
[3] on prendra garde cependant qu’elle n’est pas invariante par homotopie
[4] On vérifie facilement que cet indice d’intersection ne dépend pas des choix de représentants.