> Textes originaux > Deuxième complément à l’Analysis Situs > §3. Comparaison des tableaux T_q et T’_q Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Vous pouvez retrouver nos commentaires par ici. §3. Comparaison des tableaux {{T}}_q et {{T}}’_q |
Le tableau $T_q$ nous fait connaître les relations entre les $a_i^q$ et les $a_j^{q-1}$ dans le polyèdre $P$. A chaque ligne de ce tableau correspond un $a_i^p$ et à chaque colonne un $a_j^{q-1}$. A chaque ligne de ce tableau correspond également une congruence
$$ \tag{1} a_i^q \equiv \sum \epsilon_{ij}^q a_j^{q-1} $$
entre les $a_i^q$ et les $a_j^{q-1}$ et une homologie
$$ \tag{2} \sum \epsilon_{ij}^q a_j^{q-1} \sim 0 $$
entre les $a_j^{q-1}$.
Qu’arrivera-t-il maintenant si, par les opérations du paragraphe précédent, on réduit le tableau $T_q$ ? A chaque ligne du tableau réduit correspondra une combinaison linéaire des $a_i^q$, à chaque colonne une combinaison linéaire des $a_j^{q-1}$. J’ai expliqué (
Supposons que, pour passer du tableau $T_q$ au tableau réduit, on applique aux lignes de $T_q$ une certaine substitution linéaire $S$, et aux colonnes une autre substitution linéaire $\sigma$. Soit $\sigma'$ la substitution contragrédiente [1] de $\sigma$ (je veux dire que, si l’on a deux séries de $\alpha_{q-1}$ variables $x_i$ et $y_i$, et que l’on applique la substitution $\sigma$ à la première série et la substitution $\sigma'$ à la seconde, la forme $\sum x_i y_i$ ne devra pas être altérée).
Supposons alors que $S$ change $a_i^q$ en
$$ c_i^q=\sum_{j=1}^{\alpha_q} \lambda_{ij} \alpha_j^q $$
et que $\sigma'$ change $a_i^{q-1}$ en [2]
$$ d_i^{q-1}=\sum_{j=1}^{\alpha_{q-1}} \mu_{ij} \alpha_j^{q-1}. $$
Nous ferons correspondre à la $i^{\rm ième}$ ligne du tableau réduit la combinaison linéaire $c_i^q$, et à la $i^{\rm ième}$ colonne la combinaison linéaire $d_i^{q-1}$.
Dans notre tableau réduit, tous les éléments sont nuls, sauf ceux de la $i^{\rm ième}$ ligne et de la $i^{\rm ième}$ colonne, qui sont donnés d’après le paragraphe précédent par la formule [3]
$$ \frac{M_{n-i}}{M_{n-i+1}}. $$
Je désignerai, pour abréger, par $\omega_i^q$ cet élément de la $i^{\rm ième}$ ligne et de la $i^{\rm ième}$ colonne ; et je conviendrai que $\omega_i^q$ doit être regardé comme nul, si $i$ est plus grand que le plus petit des deux nombres $\alpha_q$ et $\alpha_{q-1}$ (nombre des lignes et nombre des colonnes).
A la $i^{\rm ième}$ ligne du tableau réduit correspondra alors la congruence
$$ \tag{1 bis} c_i^q \equiv \omega_i^q d_i^{q-1} $$
$$ \tag{2 bis} \omega_i^q d_i^{q-1} \sim 0. $$
Les congruences et les homologies (1 bis) et (2 bis) peuvent se déduire des congruences et homologies (1) et (2) par addition, soustraction, multiplication, mais sans division, et réciproquement.
Si $\alpha_{q-1} > \alpha_q$ et si $i > \alpha_q$, $\omega_i^q$ est nul, de sorte que la congruence et l’homologie (1 bis) et (2 bis) se réduisent à :
$$ c_i^q \equiv 0 \quad \text{et} \quad 0\sim 0. $$
Les nombres $\omega_i^q$ sont ce que j’ai appelé dans le paragraphe précédent les invariants du tableau $T_q$. Supposons que parmi ces invariants il y en ait $\gamma_q$ qui ne soient pas nuls ; on aura, bien entendu,
$$ \gamma_q \leq \alpha_q,\quad \gamma_q \leq \alpha_{q-1}. $$
Parmi les congruences (1 bis), les $\gamma_q$ premières contiendront à la fois $c_i^q$ et $d_i^{q-1}$ puisque $\omega_i^q$ ne sera pas nul. Au contraire, les $\alpha_q-\gamma_q$ dernières s’écriront
$$ c_i^q \equiv 0, $$
et ne contiendront plus les $a_i^{q-1}$ ; il est clair que toutes ces congruences sont distinctes, et que l’on obtient ainsi toutes les congruences entre les $a_i^q$ d’où les $a_i^{q-1}$ sont éliminés. On a donc
$$ \alpha_q - \alpha''_q = \alpha_q - \gamma_q, \quad \alpha''_q = \gamma_q. $$
Maintenant, parmi les homologies (2 bis), les $\alpha_q - \gamma_q$ dernières se réduisent à des identités, mais les $\gamma_q$ premières sont distinctes ; on a donc
$$ \alpha_{q-1} - \alpha'_{q-1} = \gamma_q, $$
d’où pour le nombre de Betti
$$ P_q = \alpha_q - \gamma_{q+1} -\gamma_q +1. $$
Comparons maintenant le tableau $T_q$ au tableau correspondant $T_{p-q+1}$ relatif au polyèdre réciproque $P'$. Ce tableau, qui se déduit de $T_q$ en permutant les lignes avec les colonnes, a $\beta_{p-q+1} = \alpha_{q-1}$ lignes et $\beta_{p-q} = \alpha_q$ colonnes. Le nombre $\gamma_q$ est le même pour les deux tableaux, de sorte qu’il vient
$$ \begin{array}{l} \beta''_{p-q+1} = \gamma_q = \alpha''_q, \quad \beta_{p-q} - \beta'_{p-q} = \gamma_q,\\ \beta'_{p-q} = \beta_{p-q} - \gamma_q = \alpha_q - \alpha''_q, \end{array} $$
d’où
$$ \beta'_{p-q+1} = \alpha_{q-1} - \gamma_{q-1}, $$
et pour le nombre de Betti $P'_{p-q+1}$ relatif au polyèdre $P'$
$$ P'_{p-q+1} = \beta'_{p-q+1} - \beta''_{p-q+1} + 1 = \alpha_{q-1} - \gamma_{q-1} - \gamma_q + 1. $$
Nous déduisons de là
$$ P'_{p-q}=P_q, $$
ce qui, si l’on se rappelle que les nombres de Betti relatifs aux deux polyèdres réciproques $P$ et $P'$ sont les mêmes, montre que les nombres de Betti également distants des extrêmes sont égaux.
Revenons aux homologies (2 bis). Si l’on admet que l’on a le droit de diviser les homologies par un entier différent de zéro, les $\gamma_q$ premières homologies nous donneront
$$ d_i^{q-1} \sim 0 \quad (i=1, 2, \dots, \gamma_q), $$
et la plus générale des homologies entre les $a_j^{q-1}$ s’écrira
$$ \tag{3} \sum_{i=1}^{\gamma_q} \lambda_i d_i^{q-1} \sim 0, $$
les $\lambda_i$ étant des entiers quelconques. Si, au contraire, on n’admet pas que l’on ait le droit de diviser les homologies, l’homologie la plus générale s’écrira
$$ \tag{4} \sum_{i=1}^{\gamma_q} \lambda_i \omega_i^q d_i^{q-1} \sim 0, $$
les $\lambda_i$ étant des entiers. Pour que les deux définitions des nombres de Betti (
Envisageons maintenant les combinaisons linéaires des $a_i^{q-1}$ qui seraient homologues à zéro en vertu des homologies (3), et demandons-nous quelles sont parmi ces combinaisons celles qui restent distinctes, si, abandonnant les homologies (3), on se borne aux homologies (4) sans admettre le droit de diviser les homologies.
Nous verrons tout de suite que le nombre de ces expressions qui sont ainsi distinctes est précisément le produit
$$ \omega_1^q \omega_2^q \dots \omega_{\gamma_q}^q. $$
Or, en se reportant aux notations du paragraphe précédent, on voit que ce produit n’est autre chose que l’un des nombres de la suite
$$ M_0, \; M_1, \; M_2, \; \dots, $$
et précisément le premier nombre de cette suite qui n’est pas nul (
Ce qui précède montre combien il importe de distinguer deux sortes de variétés.
Celles [4] de la première sorte que j’appellerai variétés sans torsion, seront celles pour lesquelles les invariants de tous les tableaux $T_q$ sont tous égaux à $0$ ou à $1$ ; pour lesquelles, par conséquent, les deux formules (3) et (4) concordent et les deux définitions des nombres de Betti sont d’accord.
Celles de la seconde sorte, que j’appellerai variétés à torsion, seront celles pour lesquelles certains de ces invariants ne sont égaux ni à $0$ ni à $1$, et pour lesquelles, par conséquent, les deux définitions des nombres de Betti ne sont pas d’accord. Dans ce cas nous adopterons toujours, sauf avis contraire, la seconde définition (
Cette dénomination se justifie parce que la présence d’invariants plus grands [5] que $1$ est due, comme nous le verrons plus loin, à une circonstance assimilable à une véritable torsion [6] de la variété sur elle-même.
[1] Coquille dans les Œuvres, corrigée ici.
[2] Dans la prochaine formule, il y a une coquille dans les Œuvres sur l’indice de sommation, corrigée ici.
[3] Coquille dans les Œuvres (indice du dénominateur) corrigée ici.
[4] Coquille dans les Œuvres, corrigée ici.
[5] Coquille dans les Œuvres, corrigée ici.
[6] Coquille dans les Œuvres, corrigée ici.