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Si $X$ est une variété lisse, on dispose de l’algèbre des formes de de Rham, qui est graduée commutative. La différentielle de de Rham $\partial_{dR}: \Omega_{dR}^\bullet(X) \to \Omega_{dR}^{\bullet+1}(X)$ en fait une algèbre différentielle graduée commutative.
On a le théorème classique suivant.
Il existe un isomorphisme naturel [1] d’algèbres
$$H^\bullet(X, \mathbb R) \cong H^\bullet\big(\Omega_{dR}^\bullet(X)\big).$$
Ce résultat peut être relevé au niveau des cochaînes, sur $\mathbb{Q}$ (mais pas sur $\mathbb{Z}$ !) et pour tout polyèdre. Nous donnons juste les grandes lignes.
On commence par définir des formes $PL$ sur les simplexes standard. On note
$$\Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n):= \mathbb{Q}[t_0,\dots, t_n, dt_0, \dots, dt_n]/\big(t_0+\cdots+t_n-1, dt_0+\cdots+dt_n\big) $$
l’algèbre différentielle commutative graduée engendrée par des générateurs $t_i$ de degré $0$ et $dt_i$ de degré $1$. La différentielle
$$\partial: \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n) \to \Omega_{PL}^{\bullet+1}(\Delta^n)$$
est l’unique dérivation vérifiant $\partial (t_i) =dt_i$ et $\partial (dt_i) = 0$. On peut remarquer que $\Omega_{dR}^\bullet(\Delta^n) \cong \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n) \otimes_{\Omega_{PL}^0(\Delta^n)} C^\infty(\Delta^n)$.
Soit $\partial_i : \Delta^{n-1}\hookrightarrow \Delta^{n}$ l’inclusion de la $i^{\mbox{ème}}$-face. Par fonctorialité, elle induit une application
$$\partial_i^*: \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n) \to \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^{n-1})$$
qui est essentiellement l’application qui envoie $t_i$ sur $0$ (et réindice les $t_j$, pour $j>i$, en $t_{j-1}$).
Soit $K$ un complexe simplicial. On définit
$$ \Omega_{PL}^\bullet(K):= \big\{ (w_\sigma \in \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^{\deg \sigma})_{\sigma \in K } / \,$$
$$ \mbox{ pour toute face } i:\tau \hookrightarrow \sigma \mbox{ on a } i^*(w_\sigma) =w_\tau. \big\}$$
le complexe des formes $PL$ sur $K$.
Les formes $PL$ sont simplement les familles de formes sur les simplexes qui coïncident sur leurs faces. Comme les formes sur les simplexes forment une algèbre, on a un produit sur $\Omega_{PL}^\bullet(K)$ simplement défini par
$$ w\wedge z := (w_\sigma \cdot z_\sigma)_{\sigma \in K}$$
le produit termes à termes des formes sur chaque simplexe. De même, on définit un opérateur de bord : $\partial_{PL}: \Omega_{PL}^\bullet(K)\to \Omega_{PL}^{\bullet+1}(K)$ défini par $\partial_{PL}(w_\sigma){\sigma}:= (\partial w_{\sigma})_{\sigma}$.
Soit $K$ un complexe simplicial. Le triplet $\big(\Omega_{PL}^\bullet(K), \partial, \wedge\big)$ est une algèbre différentielle graduée commutative.
Démonstration. C’est un exercice qui découle du fait que les applications $i^*: \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n) \to \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^{n-1})$ induite par les faces sont des morphismes d’algèbres différentielles (commutatives graduées).
C.Q.F.D
$$ $$
Si $T: |K|\to X$ est une triangulation d’un espace $X$, on note $\Omega_{dR}^\bullet(X):= \Omega_{dR}^\bullet(K)$ l’algèbre différentielle des formes $PL$ sur $X$. Si $T':|K'|\to X$ est une subdivision de $T$, on dispose de l’application linéaire $F: \Omega_{PL}^\bullet(K) \to \Omega_{PL}^\bullet(K')$ qui associe à toute forme $w=\big(w_{\sigma}\big)_{\sigma\in K}$ la forme $F(w):=\big(F(w)_{\sigma'}\big)_{\sigma \in K'}$ donnée, pour tout $\sigma' \in{ K'}^{(i)}$, par
$$(F(w)_{\sigma'} := \iota_{\sigma', \sigma}^*(w_{\sigma})$$
où $\iota_{\sigma', \sigma}: \sigma' \hookrightarrow \sigma$ est l’inclusion de $\sigma'$ dans le simplexe $\sigma$ de $K$ de dimension minimale le contenant. Cette application est un morphisme d’algèbre différentielle graduée. Par le théorème ci-dessous, c’est donc un quasi-isomorphisme, ce qui justifie que les formes $PL$ de $X$ ne dépendent pas (à quasi-isomorphisme près) de la triangulation.
Une application simpliciale $f:K\to K'$ induit un morphisme d’algèbres différentielles graduées $\Omega_{PL}^\bullet(K')\to \Omega_{PL}^\bullet(K)$ simplement donné, pour tout simplexe $\sigma \in K$ et forme $w\in \Omega_{PL}^\bullet(K')$, par $\big(f^*(w)\big)_{\sigma}:= w_{f\circ \sigma}$.
$\Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n)$ est contractile, i.e., l’application canonique $\mathbb{Q}\to \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n)$ est un quasi-isomorphisme.
Démonstration. C’est trivial pour $n=0$. Pour $n\geq 1$, on construit a un morphisme de complexes de cochaînes $\epsilon: \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n)\to \mathbb{Q} $ tel que $\epsilon \circ 1 = id_{k}$, où $1: \mathbb{Q}\to \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n)$ est l’unité, et
$$id -1\circ \epsilon = h \circ \partial +\partial \circ h $$
où $h: \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n)\to \Omega_{PL}^{\bullet-1}(\Delta^n)$ est une homotopie. Ce qui donne le résultat.
Pour cela, on remarque que pour $n\geq 1$, on a un isomorphisme d’algèbres différentielles graduées $ \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^n) \cong \Big(\Omega_{PL}^\bullet(\Delta^1)\Big)^{\otimes n}$ et il suffit donc de constuire $\epsilon$ et $h$ pour $n=1$ (alors pour $n>1$, on a une homotopie donnée par $\sum_{i+j=n-1} 1^{\otimes i} \otimes h \otimes \epsilon^{\otimes j} $).
Pour $n=1$ et $w= \sum x_i t_1^i + \sum y_j t_1^j dt_1$, on pose $\epsilon(w)=x_0$ et
$$h(w)=\sum \cfrac{y_{j+1}}{j+1}t_1^{j+1}.$$
On vérifie sans peine les formules ; on peut remarquer que c’est dans la définition de $h$ que l’on a besoin d’utiliser que l’on est à coefficient dans $\mathbb{Q}$ et pas juste $\mathbb{Z}$.
C.Q.F.D.
$$ $$
L’analogue de l’intégration des formes différentielles est donné par l’accouplement bilinéaire
$$\int: \Omega_{PL}^\bullet (K) \otimes C_\bullet(K)\to \mathbb{Q} $$
défini par $w\otimes \tau \mapsto \int_{\tau} w:= \int_{\Delta^{\deg \tau}} \omega_{\tau}$. On en déduit une application linéaire $\rho: \Omega_{PL}^\bullet (K) \to C^\bullet(K,\mathbb{Q})$.
Le morphisme $\rho: \Omega_{PL}^\bullet (K) \to C^\bullet(K,\mathbb{Q})$ est un quasi-isomorphisme. Il induit de plus un isomorphisme d’algèbres en cohomologie.
Ésquisse de démonstration. Le fait que $\rho$ est un morphisme de complexes est précisément le lemme de Stokes (c’est un bon exercice de le vérifier).
Le lemme de Poincaré assure que si $w \in \Omega_{PL}^\bullet(K)$ est un cycle tel que, pour tout $\sigma \in K$, on ait $\int_{\sigma}w=\int_{\Delta^{\deg(\sigma)}} w_\sigma=0$, alors $w$ est un bord, c’est à dire qu’il existe $z$ tel que $w=\partial_{PL}(z)$. Pour cela on a besoin du lemme d’extension suivant, laissé en exercice : si $w \in \Omega^{\bullet}_{PL}(\partial \Delta^n)$, alors $w$ s’étend en une forme $\tilde{w} \in \Omega^{\bullet}_{PL}( \Delta^n)$ dont la restriction à $\partial \Delta^n$ est $w$. En combinant ces deux lemmes (ce qui est un peu technique), on construit par récurrence un tel bord $z$. Ceci donne l’injectivité de $\rho$ en cohomologie.
Pour la surjectivité, on note que $\rho$ est surjectif au niveau des complexes de cochaînes. En effet, pour tout simplexe $\sigma \in K^{(n)}$, la forme $\big(1/\mathop{volume}(\sigma)\big) dt_1\wedge\dots \wedge dt_n$ est une préimage de $\sigma$ par $\rho$. Comme on peut l’étendre à tout $K$, on obtient bien que $\rho$ est surjectif. Il suit que tout cycle est dans l’image de $\rho$, et par le point énoncé ci-dessus, on obtient bien la surjectivité en cohomologie.
Alternativement, on peut montrer le théorème de manière analogue à la preuve de l’équivalence entre homologie singulière et simpliciale, à condition de montrer les propriétés de type Mayer-Vietoris pour le complexe des formes $PL$...
Pour montrer que $\rho$ est un morphisme d’algèbres en cohomologie, on peut utiliser les modèles acycliques (voir [2]) ou bien passer par un zigzag de quasi-isomorphismes d’algèbres [3].
C.Q.F.D.
$$ $$
On prendra garde que $\rho$ n’est pas un morphisme d’algèbre au niveau des cochaînes ; en effet $C^\bullet(X,\mathbb{Q})$ n’est pas commutatif alors que $\rho$ est surjectif. En revanche, c’est bien un morphisme d’algèbre à homotopie près (nous n’expliquerons pas la définition précise).
Les formes $PL$ sont donc un modèle strictement commutatif de l’algèbre des cochaînes à coefficient dans $\mathbb{Q}$. On peut, de la même façon trouver un tel modèle pour tout espace topologique $X$ : il suffit de définir,
$$\Omega_{sing}^\bullet(X):= \big\{ (w_\sigma \in \Omega_{PL}^\bullet(\Delta^{n}))_{n\in \mathbb N, \sigma : \Delta^n \to X }/ \, \mbox{ compatibles aux inclusions entre faces}\big\}.$$
Les résultats de ce paragraphe pour les espaces triangulés s’étendent alors à tous les espaces topologiques et on dispose ainsi d’un modèle strictement commutatif de l’algèbre des cochaînes à coefficients dans $\mathbb{Q}$. L’étude de ces modèles fait partie de ce que l’on appelle l’homotopie rationnelle. Un des grands intérêts de ces modèles est que toute algèbre commutative différentielle graduée est quasi-isomorphe (en tant qu’algèbre) à une algèbre de la forme $(S(V), d)$ où $S(V)$ est une algèbre commutative graduée libre. Ces dernières sont plus facile à étudier et calculer. En particulier, les constructions topologiques standards (écrasement, tiré en arrière, etc...) se traduisent simplement en termes de telles algèbres.
Dans le cas général, on peut montrer que l’homotopie $C^i(X)\otimes C^j(X)\stackrel{\cup_1}\longrightarrow C^{i+j-1}(X)$ de la preuve de la proposition (Commutatif gradué) est elle même symétrique à homotopie près. C’est à dire qu’il existe un produit $C^i(X)\otimes C^j(X)\stackrel{\cup_2}\longrightarrow C^{i+j-2}(X)$ tel que, pour $a\in C^i(X)$, $b\in C^{j}(X)$, on a
$$a\cup_1 b + (-1)^{ij} b\cup_1 a = \pm d(a\cup_2 b) +\pm d(a)\cup_2 b +\pm a\cup_2 d(b).$$
En fait, on peut construire une suite d’opérateurs $C^i(X)\otimes C^j(X)\stackrel{\cup_n}\longrightarrow C^{i+j-n}(X)$ vérifiant ces relations d’homotopie de proche en proche. Steenrod a montré que ces opérateurs donnent des opérations (appelés carrés de Steenrod) bien définies en cohomologie à coefficient dans $\mathbb{Z}/2\mathbb{Z}$. Si un espace $X$ admet un modèle strictement commutatif pour ses cochaînes, alors on obtient un modèle dans lequel $\cup_{n\geq 1}$ sont nuls. Il suit que les opérations de Steenrod sont nulles aussi, ce qui est en général pas le cas.
En revanche, la donnée de ces $\cup_n$ s’étend en une structure d’algèbre différentielle graduée commutative à homotopie près, appelée $E_\infty$-algèbre dans la littérature. Plus précisément, l’algèbre des cochaînes singulières d’un espace topologique $X$ a une structure fonctorielle de $E_\infty$-algèbre qui est équivalente aux formes introduites ci-dessus en caractéristique nulle. On a le joli résultat suivant
Soient $X$, $Y$ deux $CW$-complexes connexes dont les groupes fondamentaux sont nilpotents. Alors $X$ et $Y$ sont homotopes si et seulement si leurs algèbres de cochaînes sont quasi-isomorphes [4] en tant qu’algèbre $E_\infty$.