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Preuve de l’injectivité

Le but de cet article est de montrer la deuxième moitié du théorème de De Rham :

Proposition

L’application $\int_{\ell}$ entre $H_{dR}^{\ell}$ et $H^{\ell}(V,\mathbb{R})$ est injective.

Nous conseillons au lecteur d’avoir préalablement lu la première moitié, la preuve de la surjectivité.

On va montrer que si $\omega$ est une $\ell$-forme fermée telle que $\int_{\ell} \omega = \partial^* c$ avec $c$ dans $C^{\ell-1}(V,\mathbb{R})$ alors il existe une $(\ell-1)$-forme $\tau$ telle que $\int_{\ell-1}\tau = c$ et $d\tau =w$. On va construire $\tau$ par récurrence sur le $k$-squelette de $X$ en utilisant le lemme suivant. Par la suite nous noterons $X^k$ le $k$-squelette de $X$.

Lemme

Soient $s$ un $k$-simplexe de $\mathbb{R}^n$ et $\omega$ une $r$-forme ($r \geq 1$) fermée lisse définie au voisinage de $s$ tels que :

  1. Il existe une $(r-1)$-forme lisse $\tau$ telle que $\omega = d\tau$ sur un voisinage du $(k-1)$-squelette de $s$.
  2. Si $r=k$, $\int_s \omega =\int_{\partial s} \tau$.

Alors il existe une $(r-1)$-forme lisse $\tau'$ définie au voisinage de $s$ qui prolonge $\tau$.

On peut remarquer que la deuxième condition est nécessaire sinon le Théorème de Stokes n’est pas respecté.

Démonstration. (de la proposition) Construisons une suite de $(\ell-1)$-forme lisse $\tau_0, \tau_1,\ldots,\tau_n$ telle que :

  1. Pour $k = 0,\ldots,n$ la forme $\tau_k$ est définie sur un voisinage de $X^k$ et $\tau_k$ prolonge $\tau_{k-1}$ c’est-à-dire $\tau_k =\tau_{k-1}$ au voisinage de $X^{k-1}$.
  2. Chacune des formes $\tau_k$ vérifie les deux conditions suivantes : pour tout $k$ $d\tau_k =\omega$ sur un voisinage de $X^k$ et si $k = \ell-1$ alors $\int_{\ell-1}\tau_{\ell-1} = c$.

Pour $k=0$, on peut choisir comme voisinage du $0$-squelette de $X$ une union de boules disjointes, et sur chacune de ces boules on peut appliquer le lemme de Poincaré à la forme fermée $\omega$ et trouver une $(\ell-1)$-forme $\tau_0'$ telle que $d\tau_0' = \omega$. Si $\ell-1 \not=0$, on choisit $\tau_0 = \tau_0'$, mais si $\ell-1 =k = 0$, $\tau_0$ doit vérifier que $\int_0\tau_0 = c$. Or pour chaque sommet $v_j$, $\int_0 \tau_0' (v_j)= \tau_0' (v_j)$. On pose alors $\tau_0:= \tau_0 ' + c(v_j) - \tau_0'(v_j)$ autour de chaque sommet $v_j$. Alors, on a toujours $d \tau_0 = d\tau_0' + d(c(v_j) - \tau_0'(v_j)) = d\tau_0' = \omega$ et $\int_0\tau_0 ((v_j)) = c(v_j)$.

Pour passer de $k-1$ à $k$, on va utiliser le lemme précédent pour étendre $\tau_{k-1}$ définie au voisinage du $(k-1)$-squelette du complexe $X$ à $\tau_k$ définie sur le $k$-squelette de $X$. Remarquons que la condition 1. permet de raisonner indépendamment sur chaque $k$-simplex de $X$, et donc via les carte sur des simplexes de $\mathbb{R}^n$.
Soit $s$ un $k$-simplex de $X$, supposons que $\omega = d \tau_{k-1}$ sur un voisinage de $s^{k-1}$. Pour appliquer le lemme précédent, si $k=\ell$ on doit vérifier que $\int_s \omega = \int_{\partial s} \tau_{k-1}$, or $\int_s \omega = \partial^* c (s) = c(\partial s)$, et par hypothèse de récurrence, en utilisant la deuxième partie du point 2. $\int_{\partial s}\tau_{k-1} = c (\partial s)$, finalement on a bien $\int_s \omega = \int_{\partial s}\tau_{k-1}$. Appelons alors $\tau_k'$ la $(\ell-1)$-forme qui prolonge $\tau_{k-1}$ sur un voisinage de $s$.

Si $k \not=\ell -1$ on définit $\tau_k := \tau_k'$, mais si $k = \ell -1 $ il faut trouver $\tau_k$ tel que $\int_{\ell -1}\tau_{k} = c$. On définit la $(\ell-1)$-cochaine $c_1 := c - \int_{\ell -1} \tau_{\ell -1}'$ et $\tau_{\ell - 1} := \tau_{\ell -1}' +\alpha_{\ell -1} (c_1)$ avec $\alpha_{\ell -1}$ l’application définie dans la preuve de la surjectivité. Vérifions que $\tau_{\ell -1}$ satisfait les hypothèses 1. et 2. Remarquons que pour tout entier $r$ et pour chaque $r$-simplexe $t$ de $X$, $\alpha_r (\varphi_t)$ s’annule au voisinage du $r-1$ squelette de $X$. En effet, pour chaque $(r-1)$-simplexe de $X$ il existe un sommet $v_i$ qui n’est pas contenu dans ce simplexe, et alors ce $(r-1)$-simplexe est contenu dans le complémentaire de l’étoile $Et(v_i)$. Alors la fonction $g_i$ associée à ce sommet est nulle au voisinage de ce $(r-1)$-simplexe, et par définition $\alpha_r (\varphi_t)$ s’annule aussi.

On obtient alors au voisinage de $s^{\ell-1}$,

$$d(\tau_{\ell -1})= d\tau_{\ell -1}' + d\alpha_{\ell -1} (c_1) = \omega + \alpha_\ell (\partial^* c_1) = \omega +0 = \omega, $$

et au voisinage de $s^{\ell-2}$,

$$\tau_{\ell -1} = \tau_{\ell -1}' + \alpha_{\ell -1} (c_1) = \tau_{k}' = \tau_{k-1}.$$

Finalement,

$$\int_{\ell-1} \tau_{\ell-1} = \int_{\ell-1} \tau_{\ell-1}' + \int_{\ell-1} \alpha_{\ell-1}(c_1) = \int_{\ell-1} \tau_{\ell-1}' + c - \int_{\ell-1} \tau_{\ell-1}' =c. $$

C.Q.F.D.

Nous passons maintenant à la preuve du lemme.

Démonstration (du lemme). On va prouver le lemme précédent par récurrence sur $r$. Introduisons les deux propositions suivantes :

  • $(a_r)$ Pour toute $r$-forme fermée lisse $\omega_{k-1}$ définie sur un voisinage du $(k-1)$-squelette d’un $k$-simplexe $s$ tel que si $r = k-1$, $\int_{\partial s}\omega_{k-1} =0$, il existe une forme fermée $\omega_k$ définie au voisinage de $s$ telle que $\omega_k = \omega_{k-1}$ au voisinage de $s^{k-1}$.
  • $(b_r)$ Pour toute $r$-forme ($r \geq 1$) fermée lisse $\omega_k$, définie au voisinage d’un $k$-simplexe $s$, telle que $\omega_k = d\tau_{k-1}$ sur le voisinage du $(k-1)$-squelette de $s$, et telle que, de plus, si $r=k$, $\int_s \omega_k =\int_{\partial s} \tau_{k-1}$, alors $\tau_{k-1}$ se prolonge en une $(r-1)$-forme lisse $\tau_k$ définie au voisinage de $s$ et $\omega_k = d\tau_k$ au voisinage de $s$.

On va montrer que $(a_0)$ est vrai puis que $(a_{r-1})$ implique $(b_r)$ et que $(b_r)$ implique $(a_r)$.

Soit $\omega_{k-1}$ une $0$-forme fermé au voisinage de $s^{k-1}$, alors $\omega_{k-1}$ est une fonction constante sur chaque composante connexe de $s^{k-1}$. Si $k > 1$, $s^{k-1}$ est connexe et on définit $\omega_k$ comme une fonction constante égale à $\omega_{k-1}$ au voisinage de $s$. Si $k=1$, $s$ est un segment de $x$ à $y$ et si $\int_{\partial s} \omega_{k-1} = 0$ alors $\omega_{k-1}(y) - \omega_{k-1}(x) = 0$, on peut donc prolonger $\omega_{k-1}$ sur $s$ en prenant pour $\omega_k$ la fonction constante égale à $\omega_{k-1} (x) = \omega_{k-1}(y)$. La propriété $(a_0)$ est dont prouvée.

Montrons maintenant que $(a_{r-1})$ implique $(b_r)$. Soit $s$ un $k$-simplexe de $\mathbb{R}^n$, et $\omega_k$ une $r$-forme fermée lisse qui satisfait les hypothèses de la proposition $(b_r)$. D’après le lemme de Poincaré, il existe une forme fermée lisse $\tau_k'$ au voisinage de $s$ qui vérifie $d\tau_k' = \omega_k$. La $(r-1)$-forme $ \tau_{k-1} - \tau_k' $, définie sur un voisinage de $s^{k-1}$, est fermée puisque $d(\tau_{k-1}- \tau_k') = \omega_k -\omega_k$ au voisinage de $s^{k-1}$. Si $r \not= k$, en utilisant $(a_{r-1})$ on peut prolonger $ \tau_{k-1}- \tau_k'$ en une $(r-1)$-forme $\tau_k''$ définie au voisinage de $s$. Si $r=k$ alors $\int_{\partial s} \tau_{k-1}= \int_s \omega_k$ par hypothèse, et $\int_{\partial s} \tau_k' = \int_s \omega_k$ par Stokes car $\tau_k'$ est une forme fermée définie sur tout $s$, alors $\int_{\partial s} \tau_{k-1} - \tau_k' = 0$, et on peut aussi prolonger la forme $\tau_{k-1} -\tau_k' $ en utilisant $(a_{r-1})$ en une $(r-1)$-forme fermée $\tau_k''$ définie au voisinage de $s$. Enfin, $d(\tau_k' + \tau_k'') = d\tau_k' = \omega_k$ et $\tau_k' + \tau_k''= \tau_{k-1} = \tau_k$ au voisinage de $s^{k-1}$.

Montrons que $(b_r)$ implique $(a_r)$ $(r \geq 1)$. Soit $\omega_{k-1}$ une $r$-forme fermée définie sur un voisinage $U$ de $s^{k-1}$ qui vérifie les hypothèses de $(a_r)$. Pour prolonger $\omega_{k-1}$ on se propose de construire une $(r-1)$-forme $\tau_{k-1}$ définie au voisinage de $s^{k-1}$ telle que $d\tau_{k-1} = \omega_{k-1}$. En choisissant une fonction lisse $f$ nulle sur un voisinage qui contient le complémentaire de $U$ et constante égale à $1$ sur un voisinage de $s^{k-1}$, la forme $f \tau_{k-1}$ est bien définie sur $s^{k}$. De plus, sur le voisinage de $s^{k-1}$ où $f$ est constante égale à 1, $d (f\tau_{k-1})= df \wedge \tau_{k-1} + f d\tau_{k-1} = d \tau_{k-1} = \omega_{k-1}$, et $d(f\tau)$ prolonge bien $\omega_{k-1}$.
Reste à construire $\tau_{k-1}$. Supposons que $k = 1$, alors $s^{k-1}$ est une paire de sommets. On peut choisir deux boules autours de ces sommets qui ne s’intersectent pas, et en utilisant le lemme de Poincaré, comme $\omega$ est fermée, il existe une $r-1$ forme sur chaque boule dont la différentielle est bien $\omega$.
Si $k >1$, soit $t$ un $(k-2)$-simplexe de $s^{k-1}$. Comme $s^{k-1} \setminus t$ est simplement connexe et que $\omega$ est fermée, d’après le lemme de Poincaré il existe une $(r-1)$-forme différentielle $\tau_{k-1}$ définie au voisinage de $s^{k-1} \setminus t$ telle que $d \tau_{k-1} = \omega_{k-1}$. On veut appliquer $(b_r)$ pour prolonger $\tau_{k-1}$ sur $t$. Si $k - 1 = r$, il faut montrer que $\int_{\partial t} \tau_{k-1} = \int_t \omega_{k-1}$. Comme $t$ et $s^{k-1} \setminus t$ partagent le même bord avec l’orientation opposé on a,

$$\int_{\partial t} \tau_{k-1} = - \int_{\partial (s^{k-1} \setminus t)} \tau_{k-1} = - \int_{s^{k-1} \setminus t} d \tau_{k-1} = - \int_{s^{k-1} \setminus t} \omega_{k-1}.$$

De plus, d’après les hypothèses de $(a_r)$, on a $\int_{\partial s} \omega_{k-1} =0$, et donc $\int_t \omega_{k-1} = - \int_{s^{k-1} \setminus t} \omega_{k-1}$.

C.Q.F.D.

Ainsi se termine notre preuve du théorème de De Rham. En guise de postface, le lecteur pourra trouver une discussion sur le théorème de De Rham PL, c’est-à-dire un analogue où l’on travaille avec des coefficients rationnels et non réels.