> Homologie > Cohomologie > Cohomologie de De Rham > Théorème de De Rham > Preuve de la surjectivité

Preuve de la surjectivité

Nous montrons dans cet article la première moitié de la preuve du théorème de de Rham :

Proposition

L’application $\int_{\ell}$ entre $H_{dR}^{\ell}$ et $H^{\ell}(V,\mathbb{R})$ est surjective.

L’autre moitié, l’injectivité, est montrée dans cet article.

Pour montrer la proposition ci-dessus on va construire pour chaque $\ell \in \mathbb{N}$ une application $\alpha_{\ell} : C^{\ell}(V,\mathbb{R}) \to C_{dR}^{\ell} $ qui vérifie les propriétés suivante,

  1. $d \circ \alpha_{\ell} = \alpha_{\ell+1} \circ \partial^*$,
  2. $\int_{\ell} \circ \alpha_{\ell} = id$.

La première propriété justifie que cette application passe bien au quotient en homologie, et la seconde affirmation implique que l’application $\int_{\ell}$ de $C_{dR}^{\ell}(V)$ vers $C^{\ell}(V,\mathbb{R})$ est surjective. Enfin, par 1. et 2. l’application quotient sera surjective aussi. Pour simplifier les notations, nous identifions le complexe $X$ et la variété $V$.

Appelons $v_1$,$v_2$,...,$v_m$ les sommets du complexe simplicial $X$, et rappelons qu’on note $(v_{j_1},v_{j_2},...,v_{j_{\ell}})$ le simplexe engendré par les $v_{j_i}$. Pour construire ces applications $\alpha_{\ell}$ nous allons avoir besoin du lemme suivant.

Lemme

Il existe une partition de l’unité $g_1$,$g_2$,...,$g_m : X \to \mathbb{R}$ telle que,

  1. $\forall x\in X $, $\sum\limits_{i=1}^{m} g_i(x) = 1$.
  2. $\forall i= 1,\ldots m$, $g_i\equiv 1$ sur un voisinage ouvert de $v_i$ inclus dans l’étoile $Et(v_i)$ (rappelons que $Et(v_i)$ est l’union des simplexes ouverts de $X$ qui contiennent $v_i$).
  3. $\forall i= 1,\ldots m$, $g_i\equiv 0$ sur un ouvert qui contient $ ^c(Et(v_i))$, en particulier $g_i$ est identiquement nulle sur tous les simplexes qui ne contiennent pas $v_i$.

Commençons par montrer la proposition en admettant le lemme.

Démonstration. (de la surjectivité de $\int_{\ell}$) Pour décrire une application linéaire sur $C^{\ell}(V,\mathbb{R})$ il suffit de donner l’image d’une base de $C^{\ell}(V,\mathbb{R})$ par cette application. Il existe une base naturelle de cet espace, la base duale à la base de l’ensemble de simplexe. Pour chaque $\ell$-simplexe $s = (v_{j_0},v_{j_1},...,v_{j_{\ell}}) $ de $X$, on associe l’élément $\varphi_{s}$ de $C^{\ell}(V,\mathbb{R})$ tel que, pour tout $\ell$-simplexe $t$ de $X$,

$$ \varphi_{s} (t) = \left\{ \begin{array}{l} 1 \text{ si } t = s ,\\ -1 \text{ si } t\simeq ( v_{j_1},v_{j_0},...,v_{j_{\ell}}),\\ 0 \text{ sinon.} \end{array} \right. $$

On définit alors l’application $\alpha_\ell$ sur ces éléments par la formule :

$$\alpha_{\ell}(\varphi_{s}) :=\ell ! \sum\limits_{i=0}^{\ell} (-1)^{i} g_{j_i} dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}. $$

Montrons d’abord que $\alpha_{\ell}$ vérifie bien la condition 1.

D’un côté on a,

$$\begin{array}{rcl} d(\alpha_{\ell}(\varphi_{s})) & = & d(\ell ! \sum\limits_{i=0}^{\ell} (-1)^{i} g_{j_i} dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}), \\ & = & (\ell+1)!\ dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge dg_{j_i} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}. \end{array}$$

Et d’un autre côté,

$$ \partial^* (\varphi_{s} (t)) = \varphi_{s}(\partial (t))= \left\{ \begin{array}{l} 0 \text{ si }s \text{ n'est pas un simplexe de }\partial t,\\ 1 \text{ si } t\simeq ( v_i, v_{j_0}, v_{j_1}, ..., v_{j_{\ell}})\ i\not= j_{k},\\ -1 \text{ si } t\simeq ( v_{j_0},v_i, v_{j_1}, ..., v_{j_{\ell}})\ i\not= j_{k}. \end{array} \right. $$

Alors on a,

$$\begin{array}{rcl} \alpha_{\ell +1}\circ \partial^* (\varphi_{s}) & = & \alpha_{\ell + 1}(\sum\limits_{v_k/ (v_k,v_{j_0}\ldots,v_{j_{\ell}}) \in X} \varphi_{(v_k,v_{j_0}\ldots,v_{j_{\ell}})}), \\ & = & (\ell+1)! \lbrack \sum\limits_{v_k/ (v_k,v_{j_0}\ldots,v_{j_{\ell}}) \in X} (g_k dg_{j_0} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}\\ & & + \sum\limits_{i=0}^{\ell} (-1)^{i+1} g_{j_i} dg_k \wedge dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}) \rbrack, \\ & = & (\ell+1)! [\sum\limits_{v_k/ (v_k,v_{j_0}\ldots,v_{j_{\ell}}) \in X} g_k dg_{j_0} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}\\ & & + \sum\limits_{i=0}^{\ell} (\sum\limits_{v_k/ (v_k,v_{j_0}\ldots,v_{j_{\ell}}) \in X} (-1)^{i+1} g_{j_i} dg_k \wedge dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}})]. \end{array}$$

On peut alors faire l’observation suivante, si $v_k, v_{j_0},\ldots,\widehat{v_{j_i}},\ldots, v_{j_{\ell}}$ ne forment pas un simplexe de $X$, alors $g_k dg_{j_0} \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}} \equiv 0$. En effet, l’intersection

$$Et(v_k) \bigcap\limits_{k=0, k\not= i}^{\ell} Et(v_{j_{k}})$$

est l’union des simplexes de $X$ qui contiennent tous les sommets $v_k, v_{j_0},\ldots,\widehat{v_{j_i}},\ldots, v_{j_{\ell}}$, et comme $v_k, v_{j_0},\ldots,\widehat{v_{j_i}},\ldots, v_{j_{\ell}}$ ne forme pas un simplexe de $X$ cette intersection est vide. Autrement dit, pour n’importe quel point $x \in X$ il existe un sommet $v_i$ de $\{v_k, v_{j_0},\ldots,\widehat{v_{j_i}},\ldots, v_{j_{\ell}}\}$ tel que $x \not\in Et(v_i)$. La fonction $g_i$ est donc constante égal à $0$ sur un voisinage de $x$ d’après le $i.$ du lemme précédent. De même si $v_k, v_{j_0},\ldots, v_{j_{\ell}}$ ne forment pas un simplexe de $X$ alors $g_{j_i} dg_{k} \wedge dg_{j_0} \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}} \equiv 0$.
On peut alors réécrire l’égalité précédente,

$$\begin{array}{rcl} \alpha_{\ell +1}\circ \partial^* (\varphi_{s}) & = & (\ell+1)! [\sum\limits_{k\not= j_0,\ldots,j_{\ell}} g_k dg_{j_0} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}\\ & & + \sum\limits_{i=0}^{\ell} (-1)^{i+1} (\sum\limits_{k\not= j_0,\ldots,j_{\ell}} g_{j_i} dg_k \wedge dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}})],\\ & = & (\ell+1)! [\sum\limits_{k\not= j_0,\ldots,j_{\ell}} g_k dg_{j_0} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}\\ & & + \sum\limits_{i=0}^{\ell} (-1)^{i+1} g_{j_i}(\sum\limits_{k\not= j_i} dg_k ) \wedge dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}],\\ & = & (\ell+1)! [\sum\limits_{k\not= j_0,\ldots,j_{\ell}} g_k dg_{j_0} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}\\ & & + \sum\limits_{i=0}^{\ell} (-1)^{i+1} g_{j_i}( -dg_{j_i} ) \wedge dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge \widehat{dg_{j_i}} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}], \end{array}$$

puisque les $g_i$ forment une partition de l’unité, et donc $\sum dg_i=0$. Ainsi on a,

$$\begin{array}{rcl} \alpha_{\ell +1}\circ \partial^* (\varphi_{s}) & = & (\ell+1)! [\sum\limits_{k\not= j_0,\ldots,j_{\ell}} g_k dg_{j_0} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}\\ & & + \sum\limits_{i=0}^{\ell} g_{j_i} dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge dg_{j_i} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}],\\ & = & (\ell+1)! (\sum\limits_{v_k \in X^0} g_k) dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge dg_{j_i} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}},\\ & = & (\ell+1)! dg_{j_0} \wedge dg_{j_1} \wedge \ldots \wedge dg_{j_i} \wedge \ldots \wedge dg_{j_{\ell}}\\ &=& d (\alpha_\ell (\phi_s)). \end{array}$$

Le premier point est donc bien prouvé : $\alpha_\ell$ passe bien au quotient.

Montrons maintenant le point 2) : les $\alpha_{\ell}$ sont bien des inverses à droite des $\int_{\ell}$, par récurrence sur $\ell$. Pour cela il suffit de montrer que pour tout $\ell$-simplexe $t$ de $X$,

$$(\int_{\ell} \circ \alpha_{\ell}(\varphi_{s}))(t) = \left\{ \begin{array}{l} 1 \text{ si } t = s ,\\ 0 \text{ si } t \not= \pm s. \end{array} \right.$$

Pour $\ell = 0$ : $(\int_0 \circ \alpha_0 (\varphi_{(v_i)}))((v_j)) = (\int_0 g_i)((v_j)) = g_i(v_j)$. Or d’après $ii.$ et $iii.$ du lemme, on a, $g_i(v_j)= \left\{ \begin{array}{l} 1 \text{ si } j = i,\\ 0 \text{ si } j \not = i. \end{array} \right.$

Supposons maintenant que $\int_{\ell -1} \circ \alpha_{\ell -1} = id_{C_{dR}^{\ell-1}}$. Soient $s$ et $t$, deux simplexes de $X$. Si $s\not= t$ il existe un sommet $v_i$ de $s$ qui n’appartient pas au simplexe $t$. Alors, $g_i$ est nulle sur un voisinage ouvert de $t$ d’après le $iii.$ du lemme, et donc $\alpha(\varphi_{(s)})$ est nulle sur $t$, et $\int_{\ell}\circ \alpha_{\ell}(\varphi_s)(t)$ aussi. Reste à montrer que $\int_{\ell} \circ \alpha_{\ell} (\varphi_{s})(s) = 1$. Pour faire fonctionner la récurrence on va utiliser le 1. de la proposition. On suppose que $s = (v_{j_0}, v_{j_1},\ldots, v_{j_{\ell}})$ et $r= (v_{j_1},\ldots, v_{j_{\ell}})$. On a,

$$\begin{array}{rcl} \int_{s}\alpha_{\ell} (\partial^* \varphi_r) & = & \int_{s}\alpha_{\ell} (\varphi_s + \sum\limits_{t\not=s\ r\in \partial t} \varphi_t ) \\ & = & \int_{s}\alpha_{\ell} (\varphi_s). \end{array}$$

Et d’un autre côté on a,

$$\begin{array}{rcl} \int_{s}\alpha_{\ell} (\partial^* \varphi_r) & = & \int_{s} d\alpha_{\ell-1} (\varphi_r) \\ & = & \int_{\partial s} \alpha_{\ell-1} (\varphi_r) \\ & = & \int_{r}\alpha_{\ell-1} (\varphi_r) + \sum\limits_{t\not=s\ r\in \partial t} \int_t \alpha_{\ell-1} (\varphi_r). \end{array}$$

Par récurrence le premier terme est égale à $1$ et le second est nul, et on obtient bien $\int_s\alpha_{\ell}(\varphi_s) = 1$.

La proposition est donc bien prouvée en admettant le lemme.

C.Q.F.D.

Pour achever la preuve de la surjectivité il reste à prouver l’existence d’une partition de l’unité qui vérifie les propriétés du lemme.

Démonstration. (du lemme) Nous allons étendre les coordonnées barycentriques, définies sur chaque simplexe de $X$ à tout le complexe simplicial. On rappelle que $v_1,\ldots,v_m$ sont les sommets de $X$, alors pour tout $i= 1,\ldots,m$ et tous point $x$ de $X$ on définit les $m$ coordonnées barycentriques de la façon suivante :
$b_i (x)$ vaut $0$ si $x$ n’est pas dans $Et(v_i)$, et sinon vaut la coordonnée barycentrique de $x$ dans un simplexe qui contient $v_i$ et $x$.

Ce sont des fonctions lisses, bien définies sur $X$. On considère alors pour chaque $i$ les deux ensembles fermés suivants.

$$ F_i = \{ x \in X,\ b_i(x) \geq \frac{1}{n+1}\},$$

et

$$ G_i = \{x \in X, \ b_i(x) \leq \frac{1}{n+2}\},$$

avec $n$ la dimension de $X$. On remarque que pour tout $i$, $F_i\cap G_i= \emptyset$, on considère alors des fonctions positives et lisses $f_i$, nulles sur $G_i$ et constante égale à $1$ sur $F_i$. Montrons que les $F_i$ forment un recouvrement de $X$. Soit $x$ un élément $X$ et soit $s = (v_{j_0},\ldots, v_{j_{\ell}})$ le plus petit simplexe qui contient $x$ dans sont intérieur. Alors les $b_{j_i}(x)$ sont égales aux coordonnées barycentriques de $x$ dans $s$, et en particulier $\sum\limits_{i=0}^{\ell} b_{j_i}(x) = 1$. Alors au moins un des $b_{j_i}(x)$ est supérieur à $\frac{1}{\ell +1}$ et comme $n$ la dimension de $X$ est plus grande que $\ell$ la dimension de $s$, on a bien $b_{j_i}(x) \geq \frac{1}{n+1}$, et donc $x \in F_{j_i}$.

On peut donc considérer pour chaque $i$ une fonction $f_i$ qui vaut $1$ sur $F_i$ et $0$ sur $G_i$. La remarque précédente implique que la fonction $h = \sum\limits_{i=1}^m f_i$ est strictement positive sur $X$ et on choisit alors pour chaque $i$, $g_i = \frac{f_i}{h}$.

On vérifie facilement que cette famille de fonction convient : le point $i.$ est vérifié par construction. Prouvons $ii.$ ; soit $v_i$ un sommet de $X$, pour $i\not = j$ $v_i \in \mathring{G_j}= \{x \in K, \ b_j(x) < \frac{1}{n+2}\}\}$ , car $b_j(v_i) = 0$. Alors l’ouvert $F_i\cap(\bigcap\limits_{j\not = i} \mathring{G_j})$ est un voisinage ouvert de $v_i$ sur lequel seul $g_i$ est non nulle, donc constante égale à $1$. Enfin pour prouver $iii.$ pour un $v_i$ donné, on choisit l’ouvert $\mathring{G_i}$. La fonction $g_i$ est nulle sur $\mathring{G_i}$ puisque $\mathring{G_i} \subset G_i$, et chaque élément $x$ d’un simplexe qui ne contient pas $v_i$ est tel que $b_i(x)=0$, donc appartient à $\mathring{G_i}$, et donc $^cEt(v_i) \subset \mathring{G_i}$.

C.Q.F.D.

Maintenant que la preuve de la surjectivité est terminée, le lecteur est invité à continuer avec la preuve de l’injectivité.