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- HUREWICZ Witold, 1904-1956
Énoncé du théorème
Nous avons vu comment associer à un espace $X$ deux familles d’invariants topologique. D’une part les groupes d’homotopie $\pi_i(X)$, et d’autre part les groupes d’homologie $H_i(X)$. Nous renvoyons le lecteur ici pour la définition du groupe fondamental $\pi_1(X)$, ici pour les groupes d’homotopie supérieure $\pi_i(X)$, $i \geq 2$, et là pour les groupes d’homologie $H_i(X)$. Les liens entre ces deux familles de groupes sont très mal compris. En particulier, l’annulation de $\pi_i(X)$ n’implique pas celle de $H_i(X)$ ($\pi_2({\mathbb T}^2)=0$ tandis que $H_2({\mathbb T}^2) \simeq {\mathbb Z}$), et l’annulation de $H_i(X)$ n’implique pas celle de $\pi_i(X)$ ($H_3({\mathbb S}^2)=0$ tandis que $\pi_3({\mathbb S}^2) \simeq {\mathbb Z}$). Néanmoins, sur un espace connexe $X$, le premier groupe d’homologie $H_1(X)$ est toujours isomorphe à l’abélianisé du groupe fondamental $\pi_1(X)$. Ce résultat remarquable est dû à Hurewicz, et il peut s’énoncer sous la forme plus générale suivante (nous désignerons ci-dessous par $\tilde{\pi}_i(X)$ l’abélianisé du groupe $\pi_i(X)$. Rappelons que $\tilde{\pi}_i(X)$ et $\pi_i(X)$ coïncident pour $i \geq 2$ puisque les groupes d’homotopie supérieurs sont abéliens).
Supposons qu’un espace $X$ soit $n$-connexe, $n \geq 0$. Alors les groupes $\tilde{\pi}_i(X)$ et $H_i(X)$ sont isomorphes pour $i=1,\ldots, n+1$. En particulier $H_i(X)=0$ pour $i \leq n$.
Le morphisme de Hurewicz
Nous choisissons dans toute la suite un point base $x_0 \in X$. Les groupes d’homotopie $\pi_i(X)$ sont ceux relatifs à $x_0$ : $\pi_i(X)=\pi_i(X)$. Les isomorphismes précédents proviennent d’applications naturelles $h_i : \tilde{\pi}_i(X) \to H_i(X,x_0)$, que nous décrivons à présent. Appelons $\Pi_i(X)$ l’espace des applications continues $\sigma : (\Delta_i,\partial \Delta_i) \to (X,x_0)$, où $\Delta_i$ désigne le $i$-simplexe standard. Le groupe $\pi_i(X)$ n’est autre que l’ensemble des classes d’homotopies, relativement au bord $\partial \Delta_i$, d’éléments de $\Pi_i(X)$. Maintenant, toute application $\sigma : (\Delta_i,\partial \Delta_i) \to (X,x_0)$ va induire un morphisme en homologie $\sigma_{*} : H_i(\Delta_i, \partial \Delta_i) \to H_i(X,x_0)$. Nous savons que ce morphisme ne dépend que de la classe $[\sigma]$ de $\sigma$ dans $\pi_i(X)$. La suite exacte de la paire en homologie assure que le groupe $ H_i(\Delta_i, \partial \Delta_i)$ est isomorphe à $\mathbb Z$. Soit $\alpha$ un générateur de ce groupe. Alors $[\sigma] \mapsto \sigma_{*}(\alpha)$ définit un homomorphisme $h_i : \pi_i(X) \to H_i(\Delta_i, \partial \Delta_i)$. Comme $H_i(\Delta_i, \partial \Delta_i)$ est abélien, on hérite de $h_i : \tilde{\pi}_i(X) \to H_i(\Delta_i, \partial \Delta_i)$. Le morphisme $h_i$ s’appelle le morphisme de Hurewicz.
Groupes d’homologie $H_k^{(n)}(X,x_0)$, et factorisation du morphisme de Hurewicz
Soient $n$ et $k$ deux entiers naturels. On va considérer $\Delta_k^{(n)}(X,x_0)$ l’ensemble des simplexes singuliers $\sigma : \Delta_k^{(n)} \to X$ qui envoient le $n$-squelette de $\Delta_k$ sur $x_0$. Puis on consid\`ere $C_k^{(n)}(X)$, le $\mathbb Z$-module libre engendré par les éléments de $\Delta_k^{(n)}(X,x_0)$, et on fait le quotient par le sous-module engendré par l’application constante $\Delta_k \to \{x_0 \}$, pour obtenir un nouveau $\mathbb Z$-module $C_k^{(n)}(X,x_0)$ . L’opérateur de bord $\partial$ envoie clairement $C_{k+1}^{(n)}(X,x_0)$ sur $C_k^{(n)}(X,x_0)$ et on hérite alors d’un complexe de chaînes $C_k^{(n)}(X,x_0)$, qui est un sous-complexe de $C_k(X,x_0)$. Ce complexe définit à son tour des groupes d’homologie $H_k^{(n)}(X,x_0)$, ainsi qu’un morphisme naturel $j_{k}: H_k^{(n)}(X,x_0) \to H_k(X,x_0)$ induit par l’inclusion $j_{k} : C_k^{(n)}(X,x_0) \to C_k(X,x_0)$.
Soit maintenant $i \geq 1$, et $\sigma : (\Delta_i,\partial \Delta_i)$ est un élément de $\Pi_i(X)$. On peut bien sur voir $\sigma$ comme un élément de $\Delta_i^{(i-1)}(X,x_0)$, ou encore un cycle dans $C_i^{(i-1)}$. Ce cycle définit une classe d’homologie dans $H_i^{(i-1)}(X,x_0)$ que nous noterons $h_i^{\prime}(\sigma)$, dont on peut vérifier qu’elle ne dépend que de la classe d’homotopie de $\sigma$ relativement au bord $\partial \Delta_i$. Nous héritons d’un morphisme $h_i^{\prime} : \tilde{\pi}_i(X) \to H_i^{(i-1)}$, et le morphisme de Hurewicz $h_i$ n’est autre que la composée $h_i=j_i \circ h_i^{\prime}$. Le théorème de Hurewicz sera prouvé si nous arrivons à montrer que $j_i$ et $h_i^{\prime}$ sont tous deux des isomorphismes.
Isomorphisme entre $\tilde{\pi}_i(X)$ et $H_i^{(i-1)}(X,x_0)$
Pour tout entier $i \geq 1$, l’homomorphisme $h_i^{\prime} : \tilde{\pi}_i(X) \to H_i^{(i-1)}(X,x_0)$ est un isomorphisme.
Démonstration
Nous allons construire un inverse à gauche et à droite pour $h_i^{\prime}$. Remarquons pour commencer que si $\sigma : \Delta_i \to X$ est un simplexe singulier dans $\Delta_i^{(i-1)}$, alors $\sigma$ est une application de $\Pi_i(X)$. A ce titre, on peut prendre sa classe dans $\tilde{\pi}_i(X)$ et on hérite ainsi d’une application $\phi$ qui va de l’espace $\Delta_i^{(i-1)}(X)$ dans $\tilde{\pi}_i(X)$. Supposons à présent que $\beta$ appartienne à $\Delta_{i+1}^{(i-1)}(X,x_0)$. Pour $k=0,\ldots,i$, les applications de faces $g \circ F_k$ sont des éléments de $\Pi_i(X)$. Elles on donc des classes $[\beta \circ F_k]$ dans $\tilde{\pi}_i(X)$. Par ailleurs, le bord $\partial \Delta_{i+1}$ étant homéomorphe à la sphère ${\mathbb S}^i$, la restriction $\beta_{| \partial \Delta_{i+1}}$ s’identifie également à un élément de $\Pi_i(X)$, dont nous notons $[\beta_{| \partial \Delta_{i+1}}]$ la classe dans $\tilde{\pi}_i(X)$. Ces classes sont reliées par le théorème d’addition des homotopies, dont on peut trouver une preuve dans [1].
Dans $\tilde{\pi}_i(X)$, on a l’identité $\Sigma_{k=0}^i (-1)^k [\beta \circ F_k]= \pm [\beta_{| \partial \Delta_{i+1}}]$.
Ce théorème nous permet donc d’affirmer que $\phi(\partial \beta)=\Sigma_{k=0}^i (-1)^k [\beta \circ F_k]= \pm [\beta_{| \partial \Delta_{i+1}}]$. Mais cette dernière classe d’homotopie est triviale puisque l’application $\beta_{| \partial \Delta_{i+1}}$ s’étend au simplexe $\Delta_{i+1}$. Nous voyons donc que $\phi(\sigma)$ ne dépend que de la classe de $\sigma$ dans $H_i^{(i-1)}(X,x_0)$. Comme ces classes engendrent $H_i^{(i-1)}(X,x_0)$ en tant que ${\mathbb Z}-$module, on peut étendre $\phi$ par $\mathbb Z$-linéarité en
$$ \phi: H_i^{(i-1)}(X,x_0) \to \tilde{\pi}_i(X).$$
Il est tautologique, au vu de la définition de $\phi$, que si $\sigma \in \Delta_i^{(i-1)}(X,x_0)$ admet pour classe $\overline{\sigma}$ dans $H_i^{(i-1)}(X,x_0)$, alors $\phi \circ h_i^{\prime}(\overline{\sigma})=\overline{\sigma}$ et $h_i \circ \phi(\overline{\sigma})=\overline{\sigma}$. Comme de telles classes $\overline{\sigma}$ engendrent $H_i^{(i-1)}(X,x_0)$, le morphisme $\phi$ est bien un inverse à gauche et à droite pour $h_i^{\prime}$.
Isomorphisme entre $H_k^{(n)}(X,x_0)$ et $H_k(X,x_0)$ pour les espaces $n$-connexes
Nous démontrons à présent :
Si $X$ est un espace $n$-connexe, alors les groupes $H_k^{(n)}(X,x_0)$ et $H_k(X,x_0)$ sont isomorphes pour tout $k \in \mathbb N$. En particulier, si $X$ est $n$-connexe, les groupes d’homologie $H_k(X)$ sont nuls pour $k=0, \ldots , n$.
Démonstration
L’inclusion $C_k^{(n)}(X) \to C_k(X)$ induit une application naturelle en homologie : $j_k : H_k^{(n)}(X,x_0) \to H_k(X,x_0)$. On souhaite exhiber un inverse à $j_k$, et pour ce faire, il faut trouver une application naturelle qui à une $k$-chaîne de $X$ associe une $k$-chaîne dans $C_k^{(n)}(X)$.
En fait, pour chaque simplexe singulier $\sigma : \Delta_k \to X$, nous allons construire une homotopie $P(\sigma) : [0,1] \times \Delta_k \to X$ qui relie $\sigma$ à un élément de $C_k^{(n)}(X)$. Plus précisément, notre homotopie $P(\sigma)$ va avoir les propriétés supplémentaires ci-dessous :
- Si $\sigma$ est déjà dans $C_k^{(n)}(X)$, $P(\sigma)$ est l’homotopie constante sur $\sigma$.
- Si $F_k^m : \Delta_{k-1} \to \Delta_k$ désigne la $m^{\rm ième}$ face de $\Delta_k$, et $\sigma^{(m)}=\sigma \circ F_k^{m}$, alors on exige la compatibilité $P(\sigma) \circ (Id \times F_k^m)=P(\sigma^{(m)})$.
On construit $P$ par récurrence sur l’entier $k$. Tout d’abord, pour $k=0$, il suffit de prendre pour $P(\sigma)$ un chemin reliant $\sigma(\Delta_0)$ au point base $x_0$.
Supposons maintenant avoir défini $P$ sur tous les $i$-simplexes avec $i \leq k-1$. Soit $\sigma : \Delta_k \to X$ un $k$-simplexe singulier. Si $k \geq n+1$, l’hypothèse de récurrence permet de définir une application $P(\sigma): [0,1] \times {Squel}_n \cup \{0 \} \times \Delta_k \to X$, avec ${Squel}_n$ le $n$-squelette de $\Delta_k$. Il n’y a pas d’obstruction à prolonger cette application à $[0,1] \times \Delta_k$, et n’importe quelle prolongation fait l’affaire pour définir $P(\sigma)$.
Lorsque $k \leq n$, ce que l’on peut faire est de considérer les applications $P(\sigma^{(i)})$, qui sont définies par hypothèse de récurrence, et construire une première application $P(\sigma ): [0,1] \times \partial \Delta_k \cup \{ 0 \} \times \Delta_k \to X$. On peut étendre cette application continûment au bord du prisme $[0,1] \times \Delta_k$ en posant $P(\sigma)(\{1\} \times \Delta_k)=\{x_0\}$. Comme par hypothèse, $X$ est $n$-connexe et donc $\pi_k(X)$ est trivial, il n’y a pas d’obstruction à pouvoir étendre la nouvelle application $P(\sigma)$ à tout le prisme.
En posant $\phi(\sigma)=P(\sigma)(1,.)$ et en étendant par $\mathbb Z$-linéarité, on obtient une application $\phi_k : C_k(X,x_0) \to C_k^{(n)}(X,x_0) $ qui induit une application en homologie, renotée $\phi_k$.
Nous allons montrer que $\phi_k \circ j_k=j_k \circ \phi_k = Id$, ce qui achèvera la preuve de la proposition. L’égalité $\phi_k \circ j_k =Id$ vient simplement de la propriété 1) de $\sigma \mapsto P(\sigma)$.
Pour montrer que $j_k \circ \phi_k = Id$, on procède de manière analogue à la preuve que deux applications homotopes induisent les mêmes applications en homologie. On va subdiviser le prisme $[0,1] \times \Delta_{k}$ en $(k+1)-$ simplexes. Dans la suite de la preuve, pour $l=0,\ldots,k$, on notera $a_l=(0,e_l)$ et $b_l=(1,e_l)$. Enfin, si $c_0,\ldots,c_k$ désignent des points de $[0,1] \times \Delta_k$, on note $[c_0,\ldots,c_k]$ l’unique application affine de $\Delta_k \to [0,1] \times \delta_k$ qui envoie $e_l$ sur $c_l$, $0 \leq l \leq k$. On définit alors $K_k : C_k(X,x_0) \to C_{k+1}(X,x_0)$ comme suit :
$$K_k(\sigma)=\Sigma_{l=0}^{i}P(\sigma) \circ [a_0,\ldots,a_l,b_l,\ldots,b_k].$$
Puis nous calculons
$$ \partial \circ K_k(\sigma)=\Sigma_{m \leq l}(-1)^{l+m}P(\sigma) \circ [a_0,\ldots,\hat{a}_m,\ldots,a_l,b_l,\ldots,b_k]- \Sigma_{m \geq l}(-1)^{l+m}P(\sigma)[a_0,\ldots,a_l,b_l,\ldots,\hat{b}_m,\ldots,b_k].$$
Par ailleurs
$$ K_{k-1} \circ \partial \sigma=K_{k-1}(\Sigma_{m=0}^k (-1)^{m} \sigma \circ [e_0,\ldots,\hat{e}_m,\ldots,e_k])$$
qui vaut
$$ \Sigma_{l \leq m-1}(-1)^{l+m}P(\sigma^{(m)})[a_0,\ldots,a_l,b_l,\ldots,\hat{b}_l, \ldots, b_k] - \Sigma_{l \geq m+1}(-1)^{l+m}P(\sigma^{(m)})[a_0,\ldots,\hat{a}_l, \ldots, a_l,b_l,\ldots, b_k],$$
car $P(\sigma) \circ (Id \times F_k^m)=P(\sigma^{(m)})$ par la propriété 2) de $P(\sigma)$.
On aboutit à l’expression
$$ \partial \circ (K_k(\sigma)+K_{k-1} \circ \partial \sigma= \Sigma_{l=0}^k P(\sigma)[a_0,\ldots,a_{l-1},b_l,\ldots,b_k]- \Sigma_{l=0}^k P(\sigma) \circ [a_0,\ldots,a_i,b_{i+1},\ldots,b_k]$$
qui n’est autre que
$$P(\sigma) \circ [b_0,\ldots,b_k]-P(\sigma)[a_0,\ldots,a_k]=j_k \circ \phi_k(\sigma) - \sigma.$$
Nous aboutissons donc à la relation $ \partial \circ (K_k(\sigma)+K_{k-1} \circ \partial \sigma=j_k \circ \phi_k(\sigma) - \sigma.$ Cette relation conduit à $j_k \circ \phi_k=Id$ en homologie.
[1] Bredon, Glen E. Topology and geometry. Graduate Texts in Mathematics, 139. Springer-Verlag, New York, 1993. xiv+557 pp. Voir en particulier page 474.