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Homologie des espaces projectifs

Dans cet article, on illustre le calcul de l’homologie cellulaire en considérant l’exemple des espaces projectifs réels et complexes.

Le plan projectif réel

Commençons par le plan projectif réel $\mathbb{RP}^2$. Il a une décomposition cellulaire obtenue en le voyant comme le quotient du disque $D^2$ dont le bord supérieur à été identifié antipodalement avec le bord inférieur comme on l’explique dans une vidéo. Cette décomposition cellulaire a donc exactement 1 cellule en dimension $0$, $1$ et $2$. D’où $CW_i(\mathbb{RP}^2,\mathbb{F})=\mathbb{F}$ pour $i=0,1,2$ et $0$ sinon. La différentielle $\partial : CW_2(\mathbb{RP}^2,\mathbb{F}) \to CW_1(\mathbb{RP}^2,\mathbb{F})$ est la multiplication par $2$, car la restriction au bord parcourt 2 fois la cellule de dimension $1$. Le bord de la cellule de dimension 1 est nul (c’est géométriquement un lacet). On obtient donc le complexe suivant :

$$\cdots 0\to \mathbb{F} \stackrel{*2}\to \mathbb{F} \stackrel{0}\to \mathbb{F}$$

d’où on déduit le calcul de l’homologie de $\mathbb{RP}^2$. Et plus généralement :

Lemme

$$H_2(\mathbb{RP}^2,\mathbb{F})\cong \mathrm{ker}\big(\mathbb{F} \stackrel{*2}\to \mathbb{F}\big), \quad H_1(\mathbb{RP}^2,\mathbb{F})\cong \mathbb{F}/2\mathbb{F}, \quad H_0(\mathbb{RP}^2,\mathbb{F})=\mathbb{F}$$

et

$$H_{i>2}(\mathbb{RP}^2,\mathbb{F})=0.$$

Passons aux espaces projectifs complexes.

Les espaces projectifs complexes

L’espace projectif complexe de dimension $n$ est le quotient

$$\mathbb{CP}^n=\mathbb{C}^{n+1}-\{0\}/\mathbb{C}-\{0\}\cong S^{2n+1}/S^1.$$

On note

$$p:\mathbb{C}^{n+1}-\{0\} \to \mathbb{CP}^n$$

la projection canonique et $[z_0,\dots,z_n]$ la classe de $(z_0,\dots,z_n)\neq 0$ dans $\mathbb{CP}^n$. Les inclusions canoniques $\mathbb{C}^n \hookrightarrow \mathbb{C}^n\oplus \mathbb{C}^i=\mathbb{C}^{n+i}$ induisent des inclusions continues $\mathbb{CP}^n \hookrightarrow \mathbb{CP}^{n+i}$.

Notons déjà que $\mathbb{CP}^1 \cong S^2$ a une décomposition avec 1 cellule de dimension 2 et 1 sommet.

On montre maintenant comment on obtient $\mathbb{CP}^{n}$ à partir de $\mathbb{CP}^{n-1}$ en recollant une cellule de dimension $2n$. Notons que $\mathbb{CP}^{n-1} \cong \mathbb{CP}^n \setminus \{[z_0,\dots,z_n] \; | \; z_n\neq 0 \}$.

Soit $f:D^{2n}\to \mathbb{CP}^n$ l’application continue

$$(z_0,\dots,z_{n-1})\mapsto \left[z_0,\dots,z_{n-1},\sqrt{1-(|z_0|^2+\cdots+|z_{n-1}|^2)}\right].$$

On a que

$$f\big(D^{2n} \setminus \partial D^{2n}\big) \subset \{[z_0,\dots,z_n] \; | \; z_n\neq 0 \} $$

et si $(z_0,\dots,z_{n-1})\in \partial(D^{2n})$, alors $|z|=1$, d’où

$$f(z)=[z_0,\dots,z_{n-1},0]\in \mathbb{CP}^{n-1}.$$

Enfin, la restriction de $f$ à l’intérieur du disque est injective. En effet, si

$$f(z)=f(z') \mbox{ avec } |z|,|z'|<1,$$

alors, il existe $\lambda \in \mathbb{C}-\{0\}$ tel que

$$z= \lambda z' \mbox{ et } \sqrt{1-|z|^2}=\lambda\sqrt{1-|z'|^2}.$$

Cette dernière relation force $\lambda \in \mathbb{R}^{*}_+$. En prenant les carrés on obtient $\lambda^2=1$ ce qui force $\lambda =1$ et $z=z'$.

Pour vérifier que $f$ est bien l’application caractéristique du recollement de la cellule $D^{2n}$ sur $\mathbb{CP}^{n-1}$, il suffit maintenant de vérifier que $f$ induit un homéomorphisme

$$\mathbb{CP}^{n-1} \cup_{f_{|\partial D^{2n} } } D^{2n} \cong \mathbb{CP}^n.$$

On vient essentiellement de voir que cette application est injective. Elle est surjective car pour tout $[z_0,\dots, z_{n-1},1]$ on a

$$[z_0,\dots, z_{n-1},1]=[\mu z_0,\dots,\mu z_n, \sqrt{1-\mu^2(|z|^2)}]=f(\mu z)$$

où $\mu =1/(1+|z|^2)$. C’est donc une bijection continue entre compacts, donc un homéomorphisme.

Par récurrence, on obtient bien que $\mathbb{CP}^n$ a une décomposition cellulaire avec exactement une cellule de dimension $2k$ pour $k=0,\dots n$ (et aucune autre cellule).

Il suit que le complexe $CW_\bullet(\mathbb{CP}^{n})$ vaut

$$ \cdots 0\to 0\to \mathbb{Z} \to 0 \to \mathbb{Z}\to 0 \cdots \to \mathbb{Z} \to 0 \to \mathbb{Z}$$

ce qui donne trivialement :

Lemme

$H_i(\mathbb{CP}^n)=\mathbb{Z}$ si $i\in \{0,2,4,\dots,2n\}$ et $H_i(\mathbb{CP}^n)=0$ sinon.

Les espaces projectifs réels

On peut construire de même une décomposition cellulaire de l’espace projectif réel $\mathbb{RP}^n$ qui a exactement une cellule en dimension $i$ pour $i=0,1,\dots, n$. On notera que $\mathbb{RP}^1 \cong S^1$. Pour calculer le morphisme de bord $CW_i(\mathbb{RP}^n)=\mathbb{Z} \to \mathbb{Z} = CW_{i-1}(\mathbb{RP}^n)$, on calcule le degré de l’application composée

$$q: S^{i-1}\stackrel{f_{|\partial D^i}}\longrightarrow \mathbb{RP}^{i-1} \longrightarrow \mathbb{RP}^{i-1}/ \mathbb{RP}^{i-2}\cong S^{i-1}.$$

Comme ci-dessus dans le cas complexe, l’application continue $f: D^i \to \mathbb{RP}^i$ est

$$(x_0,\dots,x_{i-1})\mapsto \left[x_0,\dots,x_{i-1},\sqrt{1-(|x_0|^2+\cdots+|x_{i-1}|^2)}\right] .$$

Restreinte au bord, cette application est l’application

$$S^{i-1} \to S^{i}/\big(\mathbb{Z}/2\mathbb{Z}\big)=\mathbb{RP}^{i-1}.$$

Si on se restreint à l’équateur $S^{i-2}$ de $S^{i-1}$, on voit que $f_{|\partial D^i}(S^{i-2})\subset \mathbb{RP}^{i-2}$ et donc que $q$ est constante sur $S^{i-2}$. Il suit que $q$ se factorise sous la forme

$$S^{i-1}\to S^{i-1}/S^{i-2}\cong S^{i-1}\vee S^{i-1} \to S^{i-1}$$

et donc, par le calcul de l’homologie d’un bouquet d’espaces, on conclut que le degré de $q$ est la somme des degrés des restrictions de $q$ aux hémisphères supérieurs et inférieurs de $S^{i-1}$. Sur l’un d’eux, l’application est homotope à l’identité et sur l’autre à l’application antipodale. Il suit que [1]

$$\mathrm{deg}(q)=1-1=0 \mbox{ si } i \mbox{ est impair et } \mathrm{deg}(q)=1+1=2 \mbox{ si } i \mbox{ est pair}.$$

On obtient que le complexe $CW_\bullet(\mathbb{RP}^n)$ est le suivant :

$$ \cdots 0\to 0\to \mathbb{Z} \to \cdots \mathbb{Z}\stackrel{*2}\to \mathbb{Z} \stackrel{0}\to \mathbb{Z}\stackrel{*2}\to \mathbb{Z} \stackrel{0}\to \mathbb{Z} \stackrel{*2}\to \mathbb{Z} \stackrel{0}\to \mathbb{Z}.$$

On en déduit :

Lemme

On a $H_0(\mathbb{RP}^n)=\mathbb{Z}$. De plus les autres groupes d’homologie sont donnés par :

  • si $n=2k$ est pair, on a $ H_{2j+1}(\mathbb{RP}^n)= \mathbb{Z}/2\mathbb{Z}$ pour $j=0\dots k-1$ et $0$ sinon ;
  • si $n=2k+1$ est impair, on a $ H_{2j+1}(\mathbb{RP}^n)= \mathbb{Z}/2\mathbb{Z}$ pour $j=0\dots k-1$, $H_{n}(\mathbb{RP}^n)=\mathbb{Z}$ et $0$ sinon.

On montrerait de même que l’homologie de $\mathbb{RP}^n$ à coefficient dans un groupe abélien $G$ quelconque est $G/2G$ en degré impair $0< 2k+1 < n$, est égale à $\mathrm{ker}(G\stackrel{*2}\to G)$ en degré pair $0 < 2k \leq n$, et, bien-sûr, est nulle en degré $>n$.


[1Ici on utilise les calculs sur le degré de l’application antipodale laissé en exercice. En fait, comme on sait déjà que $\partial\circ \partial =0$, que $H_0(\mathbb{RP}^n)=\mathbb{Z}$ et que le degré de l’application antipodale est $\pm 1$, on pourrait retrouver ce signe directement connaissant l’homologie en degré $0$, le fait que $\partial^2=0$ et qu’une variété non-orientée n’a pas d’homologie à coefficient dans $\mathbb{Z}$ en degré maximal ; c’est un bon exercice à faire.