> Homologie > L’homologie "à la Poincaré" > Comparaison entre homologie à la Poincaré et homologie singulière > Morphismes entre homologie singulière, non-singulière, plongée, à la (...) Morphismes entre homologie singulière, non-singulière, plongée, à la Poincaré |
Dans le premier article de la rubrique, nous avons défini des groupes d’homologie à la Poincaré. Dans l’article suivant, nous avons défini des groupes d’homologie singulière, d’homologie non-singulière, et d’homologie des simplexes plongés. Nous allons maintenant construire des morphismes naturels entre ces différents groupes d’homologies.
Commençons par le morphisme qui va de l’homologie des simplexes plongés vers l’homologie à la Poincaré. Nous avons déjà remarqué que tout simplexe plongé est en particulier une sous-variété polyédrale. Ceci nous fournit une injection naturelle
$$\Xi_p: C_p^{Plonges}(X) \hookrightarrow C_p^\square(X).$$
Par ailleurs, lorsqu’on voit un un simplexe plongé comme une sous-variété polyédrale, toute bissection du simplexe est une subdivision particulière de la sous-variété polyédrale (au sens défini dans cet article). Par conséquent, le morphisme ci-dessus passe au quotient en un morphisme
$$\overline{\Xi}_p: \overline{C}{}_p^{Plonges}(X) \rightarrow \overline{C}{}_p^\square(X).$$
Clairement, $\overline{\Xi}_p$ induit un morphisme entre les groupes d’homologies
$$(\overline{\Xi}_p)_*: \overline{H}{}_p^{Plonges}(X) \rightarrow \overline{H}{}_p^\square(X).$$
Le morphisme $(\overline{\Xi}_p)_*$ est surjectif.
L’existence de triangulation de toute variété (voir le ici) s’étend aux sous-variétés polyédrales. Ainsi, toute sous-variété polyédrale de dimension $p$ de $X$ admet une subdivision constituée de simplexes plongés dans $X$. Ceci prouve que le morphisme $\overline{\Xi}_p : \overline{C}{}_p^{Plonges}(X) \rightarrow \overline{C}{}_p^\square(X)$ est surjectif, pour tout $p$.
En fait, les même techniques permettent de montrer que, si $V$ est une sous-variété polyédrale, et si $\tau$ est une triangulation du bord des faces de $V$, alors il existe une triangulation $\theta$ de $V$ telle que la triangulation des faces de $V$ induite par $\theta$ soit un raffinement de $\tau$. Considérons maintenant une $p$-chaîne à la Poincaré $V=\sum V_i$ et supposons que le bord de $V$ est nul à subdivisions près. On peut alors trouver une triangulation $\tau$ du faces des $V_i$, telle que la somme des éléments de $\tau$ affectés des orientations des faces des $V_i$ soit nulle. Puis on peut considérer alors une triangulation $\theta$ des $V_i$ telle que la triangulation des faces des $V_i$ induite par $\theta$ soit un raffinement de $\tau$. Quitte \`a raffiner $\theta$, on peut même supposer que, quand $V_i$ et $V_j$ ont une face commune, la triangulation de $V_i$ et la triangulation de $V_j$ induisent la même triangulation de cette face commune. Comme la sommes des éléments de $\tau$ affectés des orientations des faces des $V_i$ est nulle, il en résulte que la somme des faces orientées des éléments de $\theta$ est également nulle. Autrement dit, on a trouvé une subdivision $\theta$ de $V$ dont les éléments sont des $p$-simples plongés, et dont le bord est nul.
On a donc montré que la restriction
$$\overline{\Xi}_p : \ker \left(\overline{\partial}_p: \overline{C}{}_p^{Plonges}(X)\to \overline{C}{}_{p-1}^{Plonges}(X)\right) \rightarrow \ker\left(\overline{\partial}_p:\overline{C}{}_p^\square(X)\to \overline{C}{}_{p-1}^\square(X)\right)$$
est encore surjective.
Par conséquent, le morphisme $(\overline{\Xi}_p)_*: \overline{H}{}_p^{Plonges}(X) \rightarrow \overline{H}{}_p^\square(X)$ est surjectif.
C.Q.F.D.
Définissons maintenant un morphisme de l’homologie non-singulière vers l’homologie des simplexes plongés. Rappelons qu’un $p$-simplexe plongé dans $X$ est, par définition, l’image géométrique d’un $p$-simplexe non-singulier à valeurs dans $X$. Ainsi, on a naturellement un morphisme surjectif « d’oubli de paramétrage »
$$\Theta_p : C_p^{NonSing}(X) \rightarrow C_p^{Plonges}(X),$$
qui associe à chaque $p$-simplexe non-singulier $\sigma:\Delta_p\to X$ son image géométrique $\sigma(\Delta_p)$ (munie de l’orientation image par $\sigma$ de l’orientation standard de $\Delta_p$). Ce morphisme commute clairement avec les opérateurs de bord ; autrement dit, on a
$$\partial_p\circ\Theta_{p}=\Theta_{p-1}\circ\partial_{p-1}.$$
Si on considère maintenant une bissection linéaire d’un simplexe non-singulier $\sigma$, alors l’image de cette bissection est, par définition, une bissection du simplexe plongé $\sigma(\Delta_p)$. Ainsi, $\Theta_p$ passe au quotient en un morphisme surjectif
$$\overline{\Theta}_p: \overline{C}{}_p^{NonSing}(X) \rightarrow \overline{C}{}_p^{Plonges}(X),$$
et on a
$$\overline{\partial}_p\circ\overline{\Theta}_{p}=\overline{\Theta}_{p-1}\circ\overline{\partial}_{p-1}.$$
Le morphisme $\overline{\Theta}_p$ induit donc un morphisme en homologie
$$(\overline{\Theta}_p)_*: \overline{H}{}_p^{NonSing}(X) \rightarrow \overline{H}{}_p^{Plonges}(X).$$
Le coeur de la preuve est le lemme suivant :
Considérons un $p$-simplexe non-singulier $\alpha$, et notons $\beta$ la $i^{ème}$ face de $\alpha$. Considérons par ailleurs un $(p-1)$-simplexe non-singulier $\beta'$ tel que :
- les images de $\beta$ et $\beta'$ coïncident (i.e. $\Theta_{p-1}(\beta)=\Theta_{p-1}(\beta')$) ;
- les restrictions de $\beta$ et $\beta'$ au bord de $\Delta_{p-1}$ coïncident.
Si $p\leq 6$, alors il existe un $p$-simplexe non-singulier $\alpha'$, tel que :
- les images de $\alpha$ et $\alpha'$ coïncident (i.e. $\Theta_{p}(\alpha)=\Theta_{p}(\alpha')$) ;
- $\beta'$ est la $i^{eme}$ face de $\alpha'$ ;
- les autres faces de $\alpha'$ coïcident avec celles de $\alpha$.
Démonstration. Quitte à composer par l’inverse de $\alpha$, on est ramené à la question suivante : si on se donne un difféomorphisme du bord du simplexe géométrique standard $\Delta_p$ égal à l’identité sur toutes les faces $\Delta_p$ sauf une, peut-on l’étendre en un difféomorphisme de $\Delta_p$ ? L’extension sur un voisinage du bord de $\Delta_p$ ne pose pas de problème. Dans la question ci-dessus, on peut donc remplacer le bord de $\Delta_p$ par une sphère lisse « parallèle au bord de $\Delta_p$, mais situé un peu à l’intérieur de $\Delta_p$ ». Le lemme se ramène donc à la question suivante : tout difféomorphisme de la sphère $\mathbb{S}^{p-1}$ qui coïncide avec l’identité sur un disque s’étend-il en un difféomorphisme de la boule $\mathbb{D}^p$ ?
La réponse à cette question est positive pour $p\leq 6$. C’est un résultat difficile, qui découle des travaux de Smale pour $p=3,5,6$, et de ceux de Cerf pour $p=4$ [1]. On notera que la réponse est par contre négative pour certaines valeurs de $p$, par exemple $p=7$ [2]
C.Q.F.D.
Revenons à la proposition. Rappelons que le morphisme
$$\overline{\Theta}_p: \overline{C}{}_p^{NonSing}(X) \rightarrow \overline{C}{}_p^{Plonges}(X)$$
est surjectif. Démontrer la proposition revient à prouver que la restriction de ce morphisme
$$\scriptsize{\overline{\Theta}_p : \ker \left(\overline{\partial}_p: \overline{C}{}_p^{NonSing}(X) \to\overline{C}{}_{p-1}^{NonSing}(X)\right) \rightarrow \ker \left(\overline{\partial}_p:\overline{C}{}_p^{Plonges}(X)\to\overline{C}{}_{p-1}^{Plonges}(X)\right)}$$
est encore surjective. Pour ce faire, on considère une $p$-chaîne plongée $\alpha$ telle que $\partial_p(\Theta_p(\alpha))=0$, et on doit construire $\alpha'$ telle que $\Theta_p(\alpha')=\Theta_p(\alpha)$ et $\partial_p(\alpha')=0$. La construction de $\alpha'$ se fait en appliquant le lemme ci-dessus autant de fois que les simplexes constituant $\alpha$ ont de facettes, en considérant les facettes par dimension croissante. Nous laissons les détails au lecteur.
C.Q.F.D.
- Nous ne savons pas si $(\overline{\Theta}_p)_*$ est surjectif pour tout $p$.
- On pourrait également démontrer que $\left(\overline{\Theta_p}\right)_*$ est injectif (pour $p<7$) en utilisant des arguments similaires à ceux de l’esquisse de preuve ci-dessus. Cependant nous emploierons une autre méthode (voir ici).
En composant les morphismes $(\overline{\Xi}_p)_*$ et $(\overline{\Theta}_p)_*$, on obtient un morphisme naturel
$$(\overline{\Psi}_p)_* : \overline{H}{}_p^{NonSing}(X) \rightarrow \overline{H}{}_p^\square(X).$$
Ce morphisme est surjectif pour $p<7$.
Pour terminer, relions homologie non-singulière et homologie singulière. Pour ce faire, il suffit de rappeler qu’un $p$-simplexe non-singulier à valeurs dans $X$ (c’est-à-dire un plongement lisse de $\Delta_p$ dans $X$) est a fortiori un $p$-simplexe singulier (c’est-à-dire une application continue de $\Delta_p$ dans $X$). On a donc une injection naturelle
$$\Phi_p : C_p^{NonSing}(X) \hookrightarrow C_p^{Sing}(X).$$
Cette injection passe évidemment au quotient en un morphisme
$$\overline{\Phi}_p : \overline{C}{}_p^{NonSing}(X) \rightarrow \overline{C}{}_p^{Sing}(X),$$
qui induit à son tour un morphisme en homologie
$$(\overline{\Phi}_p)_*: \overline{H}{}_p^{NonSing}(X) \rightarrow \overline{H}{}_p^{Sing}(X)\simeq H_p^{Sing}(X).$$
Notons qu’il n’est pas clair a priori que ce morphisme soit injectif et/ou surjectif.
En résumé, on a construit, pour toute variété $X$ et tout entier $p$, deux morphismes qui partent du $p^{eme}$ groupe d’homologie non-singulière de $X$. Le premier, noté $(\overline{\Psi}_p)_*$, arrive dans le $p^{eme}$ groupe d’homologie à la Poincaré de $X$, et est surjectif. Le second, noté $(\overline{\Phi}_p)_*$, arrive dans le $p^{eme}$ groupe d’homologie singulière de $X$.
Dans cet article, nous montrerons que les morphismes $(\overline{\Psi}_p)_*$ et $(\overline{\Phi}_p)_*$ sont bijectifs pour $p<\min(7,\mathrm{dim}(X))$. Ainsi, la composition $(\overline{\Phi}_p)_*\circ(\overline{\Psi}_p)_*^{-1}$ nous fournira un isomorphisme naturel entre le $p^{eme}$ groupe d’homologie à la Poincaré et le $p^{eme}$ groupe d’homologie singulière de $X$.
[1] Voir
J. Cerf. Sur les difféomorphismes de la sphère de dimension 3 ($\Gamma_4=0$). Lectures Notes in Mathematics 53. Springer, 1968.
[2] C’est ce qui permet de montrer l’existence de sphères exotiques. Voir par exemple J. Milnor. On Manifolds Homeomorphic to the 7-Sphere. Annals of Math. 64, No. 2 (1956), 399-405.