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On a déjà pu calculer dans cet article les groupes d’homologie du cercle et de la sphère en utilisant la suite exacte longue de Mayer-Vietoris. Nous allons ici présenter comment utiliser cette suite pour calculer les groupes d’homologie des surfaces de genre $\geq 1$, à commencer par le tore.
Remarquons qu’il y a d’autres façons de calculer ces groupes d’homologie, notamment en utilisant une décomposition polyédrale de ces surfaces. Cette autre méthode est présentée dans l’Introduction à l’homologie polyédrale.
Il est très intéressant que l’homologie se présente sous des aspects très différents et il est utile de voir sur des exemples simples les avantages et inconvénients des différentes approches.
Homologie du tore
Nous choisissons ici de recouvrir le tore $\mathbb T^2$ par deux « demi-tores » ouverts $U$ et $V$, qui sont topologiquement des cylindres (ou anneaux).
- Un recouvrement du tore par deux ouverts (en rouge et bleu). Leur intersection est en violet.
On constate alors que $U$ et $V$ se rétractent sur le cercle, donc ont la même homologie que le cercle : $\mathbb Z$ en degré $0$ et $1$, $0$ au-delà. De plus leur intersection se rétracte sur l’union de deux cercles, donc a comme homologie $\mathbb Z^2$ en degré $0$ et $1$ et $0$ au delà.
Nous pouvons donc écrire la suite exacte longue de Mayer Vietoris. En degré $i\geq 3$, nous obtenons $0\to H_i(\mathbb T^2)\to 0$ ; on conclut à l’annulation de ces groupes d’homologie. Pour les degrés inférieurs à $2$, on a :
$$ 0\to H_2(\mathbb T^2)\to \mathbb Z^2 \to \mathbb Z^2 \to H_1(\mathbb T^2) \to \mathbb Z^2 \to \mathbb Z^2 \to H_0(\mathbb Z) \to 0 $$
De plus, la connexité de $\mathbb T^2$ permet d’obtenir $H_0(\mathbb T^2)=0$.
En choisissant des bases naturelles de $H_1(U)$, $H_1(V)$ et $H_1(U\cap V)$, on observe que l’application $\mathbb Z^2=H_1(U\cap V)\to \mathbb Z^2=H_1(U)\oplus H_1(V)$ s’écrit $a,b\mapsto (a+b,a+b)$. Son image est donc le groupe $\mathbb Z$ engendré par $(1,1)$, son noyau est le groupe $\mathbb Z$ engendré par $(1,-1)$ dans $H_1(U\cap V)$ et son conoyau est le groupe $\mathbb Z$ engendré par $(1,-1)$ dans $H_1(U)\oplus H_1(V)$. Comme $H_2(\mathbb T^2)$ est isomorphe au noyau de cette application, on obtient que ce groupe est $\mathbb Z$. Remarquons que, puisque $\mathbb T^2$ est une surface connexe orientée, on aurait pu obtenir ce même résultat par dualité de Poincaré.
Il reste à comprendre $H_1(\mathbb T^2)$. D’une part, l’image de la flèche $\mathbb Z^2\to H_1(\mathbb T^1)$ est isomorphe au conoyau de la flèche précédente, c’est à dire $\mathbb Z$. Enfin, on peut aussi déterminer la flèche $\mathbb Z^2=H_0(U\cap V)\to H_0(U)\oplus H_0(V)$. De manière similaire, son noyau est $\mathbb Z$ est est isomorphe au conoyau de la flèche précédente $H_1(\mathbb T)\to \mathbb Z^2$. On en déduit que l’image de cette dernière flèche est isomorphe $\mathbb Z$.
Finalement, $H_1(\mathbb T^2)$ est isomorphe à $\mathbb Z^2$.
Conclusion : $H_1(\mathbb T^2)=\mathbb Z^2$, $H_0(\mathbb T^2)=H_2(\mathbb T^2)=\mathbb Z$ et $H_i(\mathbb T^2)=0$ pour $i\geq 3$.
Le tore troué
Calculons maintenant l’homologie du tore troué, en utilisant la suite exacte longue de Mayer—Vietoris d’une manière différente. Encore une fois, il y a d’autres méthodes pour calculer cette homologie, la plus efficace étant sans doute de voir que le tore troué se rétracte sur un bouquet de deux cercles.
Ici, nous enlevons un point $p$ du tore pour créer le tore troué $\mathbb{T}'$. On considère un disque $D$ contenant $p$. Il a l’homologie du point. \’Ecrivons $\mathbb T^2=\mathbb{T}' \cup D$. Remarquons que $\mathbb{T}'\cap D$ se rétracte sur un cercle. On peut donc écrire la suite exacte longue de Mayer—Vietoris associée à cette décomposition du tore. On en connaît tous les termes, sauf ceux associés à $\mathbb{T}'$. On obtient, en degré $i\geq 2$ : $0\to H_i(\mathbb{T}')\to 0$, donc ces groupes s’annulent. En petit degré, on obtient :
$$ 0\to \mathbb Z \to \mathbb Z \to H_1(\mathbb T')\oplus 0\to \mathbb Z^2 \to \mathbb Z \to H_0(\mathbb T')\oplus \mathbb Z \to mathbb Z\to 0 $$
Comme $\mathbb T'$ est connexe, $H_0(\mathbb T')$ est le groupe $\mathbb Z$.De plus la suite finale $\mathbb Z \to H_0(\mathbb T')\oplus \mathbb Z\to \mathbb Z\to 0$ est exacte, donc la première de ces deux flèches est injective. Ainsi, on peut couper la suite exacte pour obtenir
$$ 0\to \mathbb Z \to \mathbb Z \to H_1(\mathbb T') \to \mathbb Z^2 \to 0. $$
On obtient que $H_1(\mathbb T')$ est isomorphe à $\mathbb Z^2$ plus éventuellement de la torsion, qui proviendrait du conoyau de la flèche $0\to \mathbb Z\to \mathbb Z$. Or en revenant à la définition de ce morphisme dans la suite exacte longue de Mayer-Vietoris, il apparaît que cette flèche $\mathbb Z\to \mathbb Z$ est surjective : on part d’un cycle représentant un générateur du $H_2(\mathbb T)$, on le projette en le cycle générateur de l’homologie relative $H_2(D, D\cap \mathbb T')$ dont le bord est le cycle générateur de $H_1(D\cap \mathbb T')$.
Ainsi $H_1(\mathbb T')=\mathbb Z^2$.
Conclusion : $H_0(\mathbb T')=\mathbb Z$, $H_1(\mathbb T')=\mathbb Z^2$ et $H_i(\mathbb T')=0$ pour $i\geq 2$.
Les surfaces de genre $g \geq 2$
Soit $S_g$ la surface compacte orientable de genre $g$, pour $g\geq 1$. Remarquons que $S_1=\mathbb T^2$. Notons $S'_g$ la même surface dont on a enlevé un point.
Montrons par récurrence sur $g$ que les groupes d’homologie de $S_g$ et $S'_g$ sont :
$H_0(S_g)=H_2(S_g)=\mathbb Z$, $H_1(S_g)=\mathbb Z^{2g}$ et $H_i(S_g)=0$ pour $i\geq 3$.
$H_0(S'_g)=\mathbb Z$, $H_1(S'_g)=\mathbb Z^{2g}$ et $H_i(S_g)=0$ pour $i\geq 2$.
Le cas $g=1$ a déjà été vu. Supposons que le résultat est vrai pour $g-1$ avec $g\geq 2$. On peut recouvrir $S_g$ par un ouvert $U$ isomorphe au tore troué $S'_1$ et un ouvert $V$ isomorphe à $S'_{g-1}$, comme sur la figure ci-dessous. Leur intersection $U\cap V$ est homéomorphe à un cylindre et se rétracte donc sur un cercle.
- La surface de genre $3$ est la réunion d’un tore troué (en bleu) et d’une surface de genre $2$ trouée (en rouge), dont l’intersection est un cylindre (en violet).
On peut maintenant écrire la suite exacte longue de Mayer-Vietoris pour $S_g$. En degré $i\geq 3$, on obtient immédiatement que $H_i(S_g)=0$. En petit degré, on obtient :
$$ 0 \to H_2(S_g) \to \mathbb Z \to \mathbb Z^2\oplus \mathbb Z^{2(g-1)}\to H_1(S_g) \to \mathbb Z \to \mathbb Z^2 \to H_0(S_g)\to 0. $$
Comme d’habitude, par connexité, $H_0(S_g)=\mathbb Z$. L’analyse de la situation en degré $0$ montre qu’on peut couper la suite en
$$ 0 \to H_2(S_g) \to \mathbb Z \to \mathbb Z^2\oplus \mathbb Z^{2(g-1)}\to H_1(S_g) \to 0. $$
Comme précédemment, la dualité de Poincaré permet de montrer que $H_2(S_g)=\mathbb Z$. Il reste à déterminer le $H_1$. Pour cela, regardons la flèche $H_2(S_g)\to \mathbb Z=H_1(S'_1 \cap S'_{g-1})$. Comme dans le paragraphe précédent, cette flèche est surjective, comme on le voit en revenant à la définition et en passant par $H_2(S'_1,S'_1\cap S'_{g-1})$. Donc la flèche $\mathbb Z^2\oplus \mathbb Z^{2(g-1)}\to H_1(S_g)$ est un isomorphisme. Cela calcule bien les groupes d’homologies de $S_g$ comme annoncé.
Pour conclure la récurrence, il faut calculer les groupes d’homologie de $S'_g$. On procède exactement comme pour le tore troué : on écrit $S_g$ comme l’union de $S'_g$ et d’un disque. La suite exacte longue de Mayer—Vietoris associée à cette décomposition permet d’obtenir, comme dans le cas du tore, les groupes d’homologie de $S'_g$.
Conclusion : pour tout $g\geq 1$, on a $H_0(S_g)=H_2(S_g)=\mathbb Z$, $H_1(S_g)=\mathbb Z^{2g}$ et $H_i(S_g)=0$ pour $i\geq 3$.