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Nous présentons sur cette page nos commentaires sur une section des Œuvres Originales de Poincaré : le paragraphe que nous commentons est accessible par ici.

Commentaires sur le §2 du cinquième complément

Pour structurer notre commentaire (linéaire) du texte, nous avons divisé ce dernier en quatre grandes parties, auxquelles nous avons donné des titres « modernes », utilisant un vocabulaire évidemment absent du texte de Poincaré :

« Fonction de Morse » et « graphe de Reeb »

Poincaré commence par considérer une variété de dimension $m$ plongée dans un espace vectoriel de dimension $k$ [1], muni d’une fonction $\varphi$ apparemment sans point critique puisqu’il suppose que ses niveaux $\varphi^{-1}(t)$, $t\in\mathbb{R}$ (qu’il note de façon perturbante $\varphi(t)$), sont des variétés de dimension $k-1$ qui varient continûment avec $t$ [2]. En fait, l’espace ambiant ne va bientôt plus jouer de rôle, on s’intéressera seulement à la restriction de $\varphi$ à $V$, et notamment à ses niveaux $W(t)=\varphi^{-1}(t)\cap V$. Pour simplifier, nous noterons encore $\varphi$ cette restriction.

Poincaré définit alors le squelette [3] de la variété $V$ (sous-entendu « pour la fonction $\varphi$ »). Il s’agit en termes modernes de l’espace des composantes connexes de niveaux de $\varphi$, muni d’une structure de graphe, avec un sommet par composante critique, et plongé dans $\mathbb{R}^3$ (l’une des trois coordonnées étant donnée par la fonction $\varphi$ elle-même). Mais la description « intuitive » de Poincaré est beaucoup plus parlante :

quand $t$ variera d’une manière continue, les points représentatifs des $p$ variétés [4]

$$ w_1 (t) , w_2 (t) , \ldots , w_p (t) $$

engendreront $p$ lignes continues

$$ L_1 , L_2 , \ldots , L_p, $$

du moins tant que le nombre $p$ ne varie pas. Mais ce nombre peut varier pour $t = t_0$, si l’une des variétés se décompose en deux, ou si, au contraire, deux variétés se réunissent en une seule. Dans le premier cas, l’une des lignes $L$ se bifurque, dans le second deux des lignes $L$ se réunissent en une seule.

Dans l’animation suivante on représente le squelette associé à un tore pour la « fonction hauteur » $\varphi$.

Notons que pour que ce squelette ait une topologie sympathique, Poincaré impose implicitement des restrictions sur $\varphi$. En effet, pour lui, chaque niveau $W(t)$ a un nombre fini de composantes connexes [5], et lorsque $t$ varie peu, ce nombre de composantes connexes ne peut que rester constant, augmenter de $1$ ou diminuer de $1$. La manière la plus simple de garantir cette propriété est de supposer que $\varphi$ est une fonction de Morse (i.e. que ses points critiques sont non-dégénérés) et qu’à une valeur critique donnée ne correspond un point critique non-dégénéré [6]. Poincaré note également qu’en général, le squelette ne peut pas être plongé dans le plan. C’est notamment le cas dans l’exemple ci-dessous.

Il se demande alors ce que ce squelette dit de la topologie de la variété. Chaque arête du squelette correspond dans la variété à une famille à un paramètre d’hypersurfaces deux à deux difféomorphes, et il s’agit de comprendre ce qui se passe au niveau des sommets du squelette, c’est à dire comment ces morceaux de $V$ se recollent le long des niveaux singuliers de $\varphi$.


Cela va donc nous obliger à étudier ces points singuliers.

« Mais avant de procéder à cette étude », Poincaré remarque que l’on peut, à l’inverse, partir d’un graphe quelconque et lui associer une paire (variété, fonction) ayant pour squelette ce graphe, comme dans l’exemple ci-dessous.


Et c’est en fait plutôt dans ce sens (construction plutôt que déconstruction) qu’il va s’intéresser à ce saucissonnage de variétés en niveaux de fonctions. Pour les lecteurs connaissant la théorie de Morse, signalons que, dans la suite du paragraphe, Poincaré n’est pas loin d’associer à toute fonction de Morse sur une variété fermée une décomposition en anses (et un scindement de Heegaard) de cette variété. Mais ce qui l’intéresse en fait, c’est de construire une variété de dimension $3$ bien précise par de tels recollements judicieusement choisis de sorte que l’homologie de la variété obtenue soit triviale, et non son groupe fondamental, ce qui nécessite de « coder » ces recollements, de déterminer des conditions nécessaires et suffisantes sur ces « codes » pour que l’espace construit soit bien une variété, pour que son homologie soit triviale, et enfin pour que son groupe fondamental le soit, l’espoir étant bien sûr que cette dernière condition soit strictement plus restrictive que les précédentes.

« Lemme de Morse » et « Link » d’une singularité

Cette remarque étant faite, revenons à l’étude par Poincaré des points critiques de la restriction de $\varphi$ à $V$. Celle-ci commence par un passage assez étrange au terme duquel $V$ est localement définie, au voisinage du point critique $p$, par un paramétrage

$$\psi = (\psi_1,...,\psi_k):\mathbb{R}^{m+1}\to \mathbb{R}^k$$

(notons que la dimension de la variété $V$ est discrètement passée de $m$ à $m+1$), avec $p=\psi(0)$, si bien que l’on est ramené à étudier les niveaux dans $\mathbb{R}^{m+1}$ d’une nouvelle fonction $\varphi_1$ s’annulant et ayant un point critique en $0$ [7]. Le développement de Taylor [8] de $\varphi_1$ commence donc par un terme (au moins) quadratique. A cet endroit, Poincaré considère comme acquis le résultat de transversalité qui affirme que, quitte à « changer très peu la fonction $\varphi$ » on peut supposer que tous les points critiques de $\varphi_1$ sont non-dégénérés. Autrement dit, il suppose que le premier terme du développement de Taylor de la fonction $\varphi_1$ est une forme quadratique non-dégénérée.

On note alors $f$ cette forme quadratique. Quitte à changer de coordonnées, celle-ci est de la forme

$$f(y_1,...,y_{m+1})=\sum_{i=1}^qy_i^2-\sum_{i=q+1}^{m+1}y_i^2. $$

Il est amusant de noter que Poincaré, bien qu’occupé ici de considérations topologiques, ne s’autorise à réduire sa forme quadratique que dans une base orthonormée, là où une base orthogonale lui aurait fait faire l’économie de coefficients devant les carrés positifs et négatifs, ce qui aurait bien simplifié la suite (d’ici à ). Cette « retenue » le conduira notamment plus tard à parler d’ellipse de gorge là où nous parlerons simplement de cercle.

A partir de là, il ne sera plus question de la fonction $\varphi_1$, qui se retrouve apparemment identifiée, au voisinage du point critique, à la forme quadratique $f$. Ceci revient à admettre ce que l’on appelle aujourd’hui le lemme de Morse, et à effectuer un changement de coordonnées fourni par ce lemme.

Poincaré annonce à ce moment-là que l’intersection $C$ du cône isotrope de $f$ avec la sphère unité de $\mathbb{R}^{m+1}$, autrement le « link » de la singularité, va jouer un rôle clef dans la suite. Pour alléger les notations, considérons plutôt l’intersection avec la sphère de rayon $2$. Celle-ci n’est autre que le produit de sphères unités $S^{q-1}\times S^{m-q}$ (avec la convention $S^{-1}=\emptyset$). Poincaré distingue alors quatre cas [9] :

  • si $q=0$ ou $m+1$, $C$ est vide ;
  • si $1 < q < m$, $S^{q-1}$ et $S^{m-q}$ sont de dimension $\ge 1$ donc connexes, donc leur produit $C$ aussi ;
  • si $1=q < m$ ou $1 < q=m$, l’une des sphères est connexes et l’autre, de dimension $0$, est constituée de deux points, donc $C$ a deux composantes connexes ;
  • si $1=q=m$ (auquel cas $V$ est de dimension $m+1=2$), $C$ est constitué de quatre points.

L’idée est de comprendre, dans chacun de ces cas, comment la topologie des niveaux de $\varphi_1$ varie lorsque l’on franchit le niveau critique.

En dimension 2

Poincaré commence par le cas de la dimension 2. Nous allons voir que dans le cas où la surface est orientable, et quitte à inverser le sens de parcours du squelette, chaque sommet correspond soit à l’apparition d’une nouvelle composante connexe de $W(t)$ (« cul-de-sac » du squelette), soit à la division d’une composante connexe en deux nouvelles (« bifurcation »).

Considérons d’abord un sommet correspondant à un point critique tel que $q=0$ ou $2$, c’est-à-dire un point critique d’indice $2$ ou $0$.


Dans ce cas $C$ n’existe pas ; quand $t$ passe par la valeur qui correspond à un pareil point singulier, nous voyons une nouvelle variété $w(t)$ apparaître (ou disparaître) : elle se réduit d’abord à un point, puis à une petite courbe fermée. Ce point singulier correspond donc à un cul-de-sac du squelette.

C’est par exemple ce qui se passe au début et à la fin de l’animation ci-dessus.

Considérons maintenant un point critique pour lequel $q=1$. Au voisinage de ce point, il existe des coordonnées $x$ et $y$ dans lesquelles la fonction $\varphi_1$ est égale à $x^2 - y^2$. L’animation suivante représente les courbes de niveau de cette fonction au voisinage du point critique $(0,0)$. Les courbes sont oranges lorsque $\varphi_1$ est strictement négative, on représente en jaune le niveau critique $\varphi_1 =0$, enfin les courbes sont vertes lorsque $\varphi_1$ est strictement positive. Ici, $C$ est un produit de $0$-sphères, donc un ensemble de quatre points, que l’on note $1,2,3,4$ dans l’animation qui suit.

Cette animation montre à quoi ressemblent localement les niveaux de la fonction $\varphi_1$ au voisinage du point critique. Il s’agit maintenant de décrire la topologie globale de ces niveaux dans la surface $V$. Chaque niveau critique étant fermé et ne contenant qu’un seul point critique, les branches du niveau jaune doivent nécessairement se rejoindre et se recoller deux à deux quelque part dans la surface, donc le niveau est globalement homéomorphe à un $8$. Pour décrire maintenant la topologie des niveaux voisins, considérons les trois façons possibles de relier les points $1$, $2$, $3$ et $4$ par paires :

  • $1$ avec $2$ et $3$ avec $4$,
  • $1$ avec $4$ et $2$ avec $3$,
  • $1$ avec $3$ et $2$ avec $4$.

Le premier cas est représenté dans l’animation suivante. La façon dont les branches jaunes se rejoignent étant fixée, il n’y a pas ambiguïté sur la façon dont les niveaux voisins se rejoignent, ceux-ci étant simplement des courbes « parallèles » au niveau singulier en dehors d’un voisinage de la singularité. Une façon de dire, comme on le voit dans la vidéo, est que les niveaux voisins du niveau critique sont obtenus à partir de la figure locale (au voisinage du point critique) en identifiant par paires des segments orthogonaux au niveau critique passant par $1$, $2$, $3$ et $4$. Voir ici dans le texte original.

En franchissant le niveau critique, on passe d’un niveau connexe à un niveau constitué de deux composantes connexes. On a donc affaire à une « bifurcation » du squelette (une arête arrive au sommet, et deux en repartent).

Le second cas ($1$ avec $4$ et $2$ avec $3$) est analogue (on a cette fois-ci deux arêtes qui arrivent et une seule qui repart).

Finalement Poincaré montre que dans le troisième cas, on n’a pas de bifurcation, mais que celui-ci ne peut pas se produire si la surface est orientable [10]. L’animation suivante montre en effet que la surface contient alors une bande de Möbius. Cette fois les courbes orange et verte se referment nécessairement en deux courbes connexes et le point critique correspond à un sommet de valence $2$ dans le squelette.

Poincaré conclut

Si donc $V$ a deux dimensions et est bilatère, son squelette n’aura d’autre point singulier que les culs-de-sac et les bifurcations. C’est là le secret de la simplicité relative de l’Analysis situs des surfaces ordinaires.

En effet, pour une surface orientable, le squelette décrit complètement la topologie de la surface. Poincaré l’explique dans le §3. Une façon de le voir, un peu différente, est d’observer que la surface est difféomorphe au bord d’un voisinage régulier du squelette dans $\mathbb{R}^3$. En effet, (en dimension quelconque) la préimage dans la variété d’une arête du squelette (privée d’un petit voisinage de ses extrémités) est de la forme « composante connexe de niveau régulier » $\times$ « intervalle ». Mais en dimension $2$, une composante connexe de niveau régulier n’est rien d’autre qu’un cercle. La question est alors : à quoi peut ressembler la préimage d’un voisinage d’un sommet. Poincaré donne la réponse : pour un "cul-de-sac" (correspondant à un point critique d’indice $0$ ou $2$), cette préimage est un petit disque ; pour une « bifurcation », son étude ci-dessus montre que la préimage est nécessairement un pantalon (un cylindre avec une $1$-anse attachée).

On retrouve ainsi (en admettant l’existence, sur toute surface fermée, d’une fonction de Morse) la classification des surfaces orientables : deux surfaces ayant le même nombre de Betti sont homéomorphes.

En effet, le nombre de Betti d’une surface « se lit sur son graphe » (pour n’importe quelle fonction de Morse) : c’est le double de celui de son graphe. En effet, le nombre de Betti $p$ du graphe est le nombre d’arêtes qu’il faut couper/retirer pour rendre le graphe contractile. Mais d’après la discussion ci-dessus, cela signifie que $V$ privée des $p$ courbes fermées simples correspondantes est homéomorphe à une sphère privée de $2p$ disques, ce qui signifie que $V$ a pour nombre de Betti $2p$, car il faudrait lui retirer encore $p$ courbes fermées simples (correspondant sur la sphère trouée à des arcs reliant 2 à 2 les bords des disques conjugués) pour la rendre simplement connexe. Mais alors, $p$ étant fixé, toute surface de nombre de Betti $2p$ s’obtient à partir d’une sphère privée de $2p$ disques en recollant deux à deux les bords des trous. Or, comme le remarque Poincaré, deux surfaces obtenues comme ceci sont clairement homéomorphes.

Dimension 3

Il s’agit là encore de décrire comment la topologie des niveaux $W(t)$ varie lorsque l’on franchit le niveau critique $W(0)$ (c’est-à-dire, au niveau du squelette, lorsque l’on franchit un sommet), et ce selon la valeur de $q$, ou encore de l’indice $\lambda=m+1-q$ du point critique. Cette fois-ci, outre les culs-de-sac et les bifurcations, correspondant à une augmentation ou diminution du nombre de composantes connexes de $W(t)$, on va également rencontrer des points critiques où le nombre de composantes connexes ne change pas, mais leur topologie si, et ce de façon complètement déterminée par l’indice.

On commence par le cas où $q=0$. Alors $f$ présente au point critique $0$ un maximum local strict, de sorte qu’au voisinage de $0$, le niveau $f=t$ est vide si $t>0$, un point si $t=0$ et une sphère de dimension $m$ si $t<0$. Le sommet correspondant du squelette est donc l’extrémité d’une unique arête, ou un cul-de-sac. La situation est symétrique pour $q=3$.

On considère maintenant le cas où $q=1$, i.e. $\lambda=2$ (le cas $q=2$ s’en déduira encore une fois par symétrie). Au voisinage du point critique il existe des coordonnées $x$, $y$ et $z$ dans lesquelles la fonction $\varphi_1$ est égale à $x^2-y^2 -z^2$. L’animation suivante, analogue tridimensionnelle de l’animation ci-dessus, représente les courbes de niveaux de cette fonction au voisinage du point $(0,0,0)$ [11]. La partie de $W(t)$ voisine du point critique est un cône « classique » jaune pour $t=0$, un hyperboloïde à une nappe orange pour $t<0$ et un hyperboloïde à deux nappes vert pour $t>0$.


Ce qui intéresse Poincaré, c’est l’évolution de la topologie globale de $W(t)$. Il sait décrire ce qu’il se passe au passage du point critique. On l’exprimerait aujourd’hui de la façon suivante : topologiquement, la surface (régulière) $W(\varepsilon)$ s’obtient à partir de $W(-\varepsilon)$ par une chirurgie d’indice $2$ le long du cercle $S_\varepsilon^1\times \{0\}$ (« l’ellipse de gorge » $E$ de Poincaré).

Plus généralement, pour un point critique d’indice $\lambda$ en dimension $m+1$, $W(\varepsilon)$ s’obtient à partir de $W(-\varepsilon)$ par une chirurgie d’indice $\lambda$ le long de la sphère

$$S^{q-1}_\varepsilon\times \{0\}\subset \mathbb{R}^q\times \mathbb{R}^{m+1-q}.$$

Cela signifie qu’on retire à $W(-\varepsilon)$ un petit voisinage $S^{q-1}_\varepsilon\times D_\delta^{m+1-q}$ de $S^{q-1}_\varepsilon\times \{0\}$, de bord $S^{q-1}_\varepsilon\times S_\delta^{m-q}$, et on colle à la place un $D^q_\varepsilon\times S_\delta^{m-q}$.

Dans notre cas (indice $2$ en dimension $3$), on retire un anneau, voisinage de l’ellipse de gorge dans $W(-\varepsilon)$, et on bouche les deux composantes de bord ainsi créées par des disques.

Il faut maintenant voir le résultat de cette chirurgie sur la topologie globale de $W(t)$. On distingue pour cela deux cas [12], selon que $W(0)\setminus\{0\}$ (ou $W(-\epsilon)\setminus E$) a une composante connexe de plus que $W(0)$ (resp. $W(-\epsilon)$) ou le même nombre.

Dans le premier cas, la chirurgie divise une composante connexe de $W(-\varepsilon)$ en deux, par l’opération inverse d’une somme connexe, et le « point singulier correspond donc à une bifurcation du squelette ». Le genre de la composante connexe de départ est égal à la somme des genres des deux nouvelles.

Dans le second cas au contraire, la chirurgie ne crée pas de nouvelle composante connexe, mais réduit d’$1$ le genre de la composante connexe de $W(t)$ concernée [13]. Le sommet du squelette correspondant à ce type de point critique n’est donc ni un cul-de-sac, ni une bifurcation. Il appartient à deux arêtes exactement.

Poincaré donne de ces deux faits une démonstration homologique faisant intervenir le nombre d’intersection $N(\cdot , \cdot )$. Cela peut plus facilement se déduire de l’additivité de la caractéristique d’Euler. Celle de $E$ étant égale à $0$, l’opération de chirurgie se traduit en effet par :

$$\chi (W (\varepsilon ) ) = \chi (W(- \varepsilon )) +2.$$

On conclut en remarquant que la caractéristique d’Euler d’une surface, non nécessairement connexe, est égale au double du nombre de composantes connexes moins deux fois la somme des genres de ces composantes. Dans le premier cas, la somme des genres est donc la même, alors que dans le deuxième cas le genre diminue de $1$.

L’argument de Poincaré

Poincaré commence par faire remarquer qu’un cycle dans $W( - \varepsilon )$ qui ne rencontre pas $E$ survit dans $W( \varepsilon )$. Par contre un cycle $K$ de la surface $W( - \varepsilon )$ de nombre d’intersection $N(K, E) \neq 0$ disparaît. Il remarque ensuite qu’il existe dans $W( \varepsilon )$ au plus une nouvelle relation d’homologie, celle engendrée par la relation $E \sim 0$.

Maintenant, dans le premier cas, le cycle $E$ est déjà homologue à $0$ dans $W( - \varepsilon )$, il n’y a donc pas plus d’homologies dans $W( \varepsilon )$ que dans $W( - \varepsilon )$. Par ailleurs, pour tout cycle $K$ dans $W( - \varepsilon )$ le nombre d’intersection $N(K, E)$ est égal à $0$. Le cycle $K$ est donc homologue à un cycle qui ne rencontre pas $E$ et survit donc dans $W( \varepsilon )$. Au final le nombre de Betti de $W( \varepsilon )$ est égal à celui de $W( - \varepsilon )$.

Dans le second cas, le cycle $E$, non homologue à $0$ dans $W( - \varepsilon )$, devient homologue à $0$ dans $W( \varepsilon )$. Cela diminue déjà de $1$ le nombre de Betti. Mais certains cycles $K$ disparaissent, ceux dont le nombre d’intersection $N(K, E)$ est non nul. Toutefois si l’on a deux tels cycles $K_1$ et $K_2$ avec

$$N(K_1 , E) = m_1 \mbox{ et } N(K_2 , E )=m_2$$

alors le cycle $m_2 K_1-m_1 K_2$ est homologue à un cycle qui n’intersecte pas $E$ et ne disparaît donc pas. Tous les cycles qui disparaissent sont donc combinaison linéaire d’un seul de ces cycles et de cycles qui ne disparaissent pas. Le nombre de Betti ne diminue donc que d’une unité supplémentaire :

$$b_1 (W (\varepsilon )) = b_1 (W(-\varepsilon )) -2.$$


[1Demander que la variété soit plongée n’est pas restrictif, d’après un théorème de Whitney, toute variété abstraite peut être plongée dans $\mathbb{R}^k$ pour un certain $k$.

[2Mais il dit la même chose quelques lignes plus bas des intersections de ces niveaux avec $V$, alors que, pour le coup, il va passer toute la suite du paragraphe à étudier leurs singularités et les bifurcations dans leur topologie dues aux franchissements de points critiques

[3celui-ci porte aujourd’hui le nom de graphe de Reeb

[4composantes connexes de $W(t)$

[5ce qui sous-entend déjà une certaine non-dégénérescence de la fonction, hypothèse qui sera ajoutée ultérieurement.

[6ce qui ne coûte pas cher.

[7On aurait été directement dans cette situation en paramétrant localement $V$ par $\mathbb{R}^{m+1}$ et en définissant $\varphi_1$ comme la composée de ce paramétrage avec $\varphi$. Mais pour une raison obscure, Poincaré voit ici $W(t)$ comme niveau d’une fonction à valeurs dans $\mathbb{R}^{q-m}$ restreinte à une sous-variété paramétrée de dimension $q$, ce qui l’oblige ensuite à utiliser le théorème des fonctions implicites pour se ramener à la situation exposée ci-dessus.

[8Poincaré a supposé toutes les fonctions « holomorphes », autrement dit analytiques, mais $C^\infty$ (et même $C^2$) suffit ici.

[9Le second cas ne se produira en fait jamais dans la suite, où l’on se restreint aux variétés de dimension $2$ et $3$, c’est-à-dire aux cas $m=1$ et $2$.

[10On verra qu’en dimension $3$ en revanche, dans le cas orientable, on peut avoir des sommets de valence $2$.

[11Cette fois-ci, on ne peut malheureusement pas dessiner le graphe de cette fonction, qui vit en dimension $4$.

[12traités de « Dans le premier cas... » à « $E\sim 0$ » et de « Dans le second cas... » à la fin du §2 respectivement