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Nous allons voir que le théorème de van Kampen fournit une méthode de calcul du groupe fondamental de n’importe quel CW-complexe. Réciproquement, nous expliquerons comment construire un CW-complexe ayant un groupe fondamental (de présentation finie) donné. Nous conclurons par l’énoncé d’un joli théorème, inspiré de ces constructions : tout groupe de présentation finie est le groupe fondamental d’une variété de dimension 4.
Un CW-complexe est un espace topologique $X$ obtenu en considérant un ensemble discret de points (le $0$-squelette de $X$), puis en y attachant des intervalles fermés par leurs extrémités à ce $0$-squelette (on obtient ainsi le $1$-squelette de $X$), puis en attachant des disques fermés de dimension $2$ par leurs bords sur le $1$-squelette (on obtient ainsi le $2$-squelette de $X$), puis en attachant des boules fermés de dimension $3$... Pour une définition plus précise, nous renvoyons à cet article, dans lequel on trouvera également des propriétés élémentaires des CW-complexes et une liste d’exemples.
D’un point de vue topologique, les CW-complexes sont des espaces très généraux : on notera en particulier que toute variété est homéomorphe à un CW-complexe. Mais un CW-complexe vient avec une structure combinatoire (sa décomposition en cellules, et la manière dont les $n$-cellules s’attache au $(n-1)$-squelette). Cette structure combinatoire est d’une grande aide quand il s’agit de calculer des invariants de topologie algébrique. Nous allons voir, qu’associée au théorème de van Kampen, elle fournit un « algorithme de calcul » du groupe fondamental d’un CW-complexe.
Effet de l’ajout d’une cellule sur le groupe fondamental, et corollaires immédiats
Par définition, un CW-complexe est un espace topologique obtenu par une suite d’attachements de cellules. Pour « calculer » le groupe fondamental d’un CW-complexe, il suffit [1] donc de connaitre l’effet d’un attachement de cellule. Le théorème de van Kampen permet de décrire cet effet.
Soit $X$ un CW-complexe connexe, et $Y$ un CW-complexe obtenu en attachant à $X$ une cellule de dimension $n$.
- Si $n=1$, alors le groupe fondamental de $X$ est le produit libre de celui de $Y$ avec $Z$.
- Si $n=2$, alors le groupe fondamental de $X$ est le quotient de celui de $Y$ par le sous-groupe normal engendré par le lacet qui borde la nouvelle cellule [2].
- Si $n\geq 3$, alors le groupe fondamental de $Y$ est isomorphe [3] à celui de $X$.
C’est une simple application de la version ouverte du théorème de van Kampen.
Le CW-complexe $Y$ est obtenu en attachant le segment $I=[0,1]$ par ses extrémités en deux sommets $x_0,x_1$ du CW-complexe $X$.
On choisit un arc simple $\gamma$ de $x_0$ à $x_1$ dans le $1$-squelette de $X$.
La réunion de $\gamma$ et du segment $I$ est homéomorphe à un cercle. Le groupe fondamental de $\gamma\cup I$ est donc isomorphe à $\mathbb{Z}$ (c’est une application de la version fermée du théorème de van Kampen ; voir ici). On prend un petit voisinage $U_1$ de $\gamma\cup I$ dans $X$, qui se rétracte par déformation sur $\gamma\cup I$ (un tel voisinage existe, d’après les propriétés générales des CW-complexes). Le groupe fondamental de $U_1$ est donc lui aussi isomorphe à $\mathbb{Z}$.
On appelle $U_2$ l’ouvert complémentaire de l’arc $[\frac{1}{4}, \frac{3}{4}]$ de $I$ dans $Y$. On remarque que $U_2$ s’obtient aussi en considérant l’espace $X$ auquel on a attaché le segment $[0,\frac{1}{4}[$ par $0$ en $x_0$ et le segment $]\frac{3}{4}, 1]$ attaché par $1$ en $x_1$. Ainsi $U_2$ se rétracte donc par déformation sur $X$. En particulier, le groupe fondamental de $U_2$ est naturellement isomorphe à celui de $X$.
L’intersection $U_1\cap U_2$ est le petit voisinage tubulaire du chemin $\gamma$ union les arcs $[0,\frac{1}{4}[$ et $]\frac{3}{4}, 1]$. Elle est simplement connexe.
En appliquant la version ouverte du théorème de van Kampen, on obtient donc
$$\pi_1(X)=\underbrace{\pi_1(U_1)}_{\pi_1(X)}*\underbrace{\pi_1(U_2)}_{\mathbb{Z}}$$
comme annoncé.
C.Q.F.D.
C’est une nouvelle application de la version ouverte du théorème de van Kampen.
Le CW-complexe $Y$ est obtenu en attachant un disque fermé $B=B(O,1)$ (on prend la boule unité dans le plan euclidien pour faciliter la description) par une application d’attachement $h:\partial B\to X$ (plus précisément, cette application arrive dans le 1-squelette de $X$). On choisit un point $b\in\partial B$, et on décide de baser nos groupes fondamentaux en $z=h(b)$. On note $\gamma:[0,1]\to \partial B$ un lacet basé en $b$ qui fait une fois le tour du cercle $\partial B$.
Comme ouvert $U_1$, on prend le disque ouvert $\overset{\circ}{B}(O,\frac{3}{4})$ (plus précisément, l’image dans $Y$ de ce disque). Il est simplement connexe.
Comme ouvert $U_2$, on prend le complémentaire dans $Y$ (de l’image) du disque fermé $B(O, \frac{1}{4})$. C’est aussi $X$ auquel on a attaché l’anneau $B(O,1)\setminus B(O,\frac{1}{4})$. Il se rétracte par déformation sur $X$, et a donc le même groupe fondamental que $X$.
L’intersection $U_1\cap U_2$ est l’anneau $\overset{\circ}{B}(O,\frac{3}{4})\setminus B(O,\frac{1}{4})$. Son groupe fondamental est isomorphe à de $\mathbb{Z}$.
D’après le théorème de van Kampen, $\pi_1(Y,z)$ est le quotient de
$$\underbrace{\pi_1(U_1,z)}_{\simeq \pi_1(X,z)}*\underbrace{\pi_1(U_2,z)}_{\simeq \{\mathrm{id}\}} $$
par une unique relation (car $\pi_1(U_1\cap U_2,z)$ est monogène) : celle qui dit que le lacet $h(\gamma)$ de $X$ sur lequel s’attache $B$ est trivial car homotope à un lacet de $U_2$. On a donc bien, comme annoncé
$$\pi_1(Y,z)\simeq \pi_1(X,z)\, / \, \langle\langle h(\gamma) \rangle \rangle.$$
C.Q.F.D.
C’est, encore une fois,... une application de la version ouverte du théorème de van Kampen. On procède exactement comme pour la dimension $2$ en attachant une boule de rayon $1$.
La seule différence, c’est que maintenant l’intersection $U_1\cap U_2$ est donnée par la zone entre les deux boules $\overset{\circ}{B}(O,\frac{3}{4})\setminus B(O,\frac{1}{4})$ qui se rétracte sur la sphère $S(O,\frac{1}{2})$ de dimension ${(n-1)}$ et donc a $\pi_1$ trivial pour $n\geq 3$.
Le théorème de van Kampen nous dit donc que $\pi_1(Y,z)$ est le produit libre
$$\underbrace{\pi_1(U_1,z)}_{\pi_1(X,z)}*\underbrace{\pi_1(U_2,z)}_{\simeq \{\mathrm{id}\}}$$
quotienté par $\pi_1(U_1\cap U_2)$ qui est trivial. Au final, on a bien $\pi_1(Y,z)=\pi_1(X,z)$ comme annoncé.
C.Q.F.D.
Un conséquence immédiate de la proposition ci-dessus est que le groupe fondamental d’un CW-complexe ne dépend que de son 2-squelette :
Le groupe fondamental d’un CW-complexe est celui de son $2$-squelette.
Plus précisément, si $X$ est un CW-complexe, si $X^{(2)}$ désigne le 2-squelette de $x$, et si on choisit un point base $z\in X^{(2)}$, alors l’injection de $X^{(2)}$ dans $X$ induit un isomorphisme au niveau des groupes fondamentaux
$$\pi_1(X^{(2)}\!\!,z) \overset{\sim}{\longrightarrow}\pi_1(X,z).$$
Groupe fondamental d’un graphe
La proposition ci-dessus fournit une description du groupe fondamental de n’importe quel graphe dénombrable. On retrouve ainsi le résultat déjà démontré ici.
Le groupe fondamental d’un graphe dénombrable connexe est un groupe libre. Son rang est égal au nombre d’arêtes dans le complémentaire d’un sous-arbre couvrant.
C.Q.F.D.
Complexe de présentation d’un groupe
La proposition ci-dessus ne fournit pas simplement une méthode pour calculer le groupe fondamental d’un CW-complexe donné. Elle permet aussi, réciproquement, d’exhiber des CW-complexes ayant un groupe fondamental donné. Dans cet optique, nous introduisons un complexe associé à une présentation (finie) de groupe.
À une présentation finie $\langle S\vert R\rangle=\langle g_1, \cdots, g_m\vert r_1, \cdots, r_k\rangle$ d’un groupe $G$, on associe un CW-complexe $\mathcal{C}(S; R)$ :
- il a un seul sommet ;
- une arête orientée $a_i$ pour chaque générateur $g_i$ ;
- une cellule $c_j$ de dimension $2$ pour chaque relateur $r_j$, attachée en collant son bord le long du mot approprié. Plus précisément, à chaque relateur $r_j$ correspond un lacet dans le bouquet de cercles, obtenu comme suit. On lit les lettres successives qui apparaissent dans $r_j$. Quand on lit la lettre $a_i$, on parcourt "à vitesse constante" l’arête $a_i$. Quand on lit la lettre $a_i^{-1}$, on parcourt l’arête $a_i$ à rebours de son orientation. Ce lacet nous fournit l’application d’attachement de la cellule $c_j$ au $1$-squelette du complexe.
C’est le complexe de présentation associé à la présentation $\langle S\vert R\rangle$.
En appliquant $m+r$ fois la proposition ci-dessus qui décrit l’effet d’un attachement de cellule à un CW-complexe, on obtient immédiatement :
Le groupe fondamental du complexe de présentation $C(S;R)$ est isomorphe au groupe $G$.
Par conséquent :
Pour tout groupe $G$ de présentation finie, il existe un CW-complexe dont le groupe fondamental est isomorphe à $G$.
Le revêtement universel $\widetilde{\mathcal{C}(S; R)}$ du complexe de présentation $C(S,R)$ est appelé complexe de Cayley de la présentation $\langle S\vert R\rangle$. Il a pour $1$-squelette le graphe de Cayley de $G$ associé au système générateurs $S$.
- Le graphe de Cayley associé à une présentation d’un sous-groupe du groupe du Rubik’s cube 2x2x2.
Groupes de présentations finies et variétés de dimension $4$
En s’inspirant des techniques développées ci-dessus dans le cadre des CW-complexes, on peut démontrer un fort joli théorème sur les variétés de dimension $4$ :
Tout groupe de présentation finie est le groupe fondamental d’une variété $C^{\infty}$ compacte de dimension $4$.
Nous nous contenterons de décrire brièvement les étapes de la démonstration, laissant les détails en guise d’exercice.
Schéma de démonstration.
Soit $G$ un groupe de présentation finie, et $\langle g_1, \cdots, g_m\vert r_1, \cdots, r_k\rangle$ une telle présentation.
On commence par réaliser les générateurs en prenant une somme connexe de $m$ copies de $\mathbf{S}^{1}\times \mathbf{S}^{3}$ dont le groupe fondamental est isomorphe au groupe libre $\mathbf{L}_{m}$ sur $g_1, \cdots, g_m$.
Puis, on réalise chaque relateur $r_i$ comme un lacet simple (les éventuels croisements peuvent être poussés) dans cette somme connexe. Ce lacet a un voisinage tubulaire de la forme $\mathbf{S}^{1}\times \mathbf{B}^{3}$.
Par une chirurgie, on remplace ce voisinage tubulaire par $\mathbf{S}^{2}\times \mathbf{B}^{2}$ qui possède le même bord $\partial (\mathbf{S}^{2}\times \mathbf{B}^{2})=\mathbf{S}^{2}\times \mathbf{S}^{1}=\mathbf{S}^{1}\times \mathbf{S}^{2}=\partial (\mathbf{S}^{1}\times \mathbf{B}^{3})$.
Puisque $\mathbf{S}^{2}\times \mathbf{B}^{2}$ est simplement connexe, la version fermée du théorème de van Kampen nous assure que cette chirurgie a pour seul effet de tuer $r_i$ dans le groupe fondamental.
[1] au moins dans le cas où le complexe est fini
[2] Plus formellement, notons $B$ le disque fermé (qu’on peut penser comme le disque unité) de qu’on attache à $X$ pour obtenir $Y$, et $h:\partial B\to X$ l’application d’attachement. On choisit un point $b\in\partial B$, et on décide (pour simplifier, mais ça ne change rien à isomorphisme près) de baser nos groupes fondamentaux en $z=h(b)$. Alors $\pi_1(Y,z)$ est le quotient de $\pi_1(X,z)$ par le sous-groupe normal engendré par $h(\gamma)$, où $\gamma:[0,1]\to \partial B$ est un lacet basé en $b$ qui fait une fois le tour du cercle $\partial D$ (peu importe dans quel sens).
[3] Bien sûr, l’isomorphisme est induit par l’injection de $X$ dans $Y$.