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Groupe fondamental et classe d’Euler des fibrés en cercles

Le but de cet article est de montrer que le groupe fondamental permet de classifier les fibrés en cercles compacts. On introduit pour cela un invariant appelé classe d’Euler, et on montre qu’il classifie les fibrés en cercles au dessus d’une surface compacte fixée.

Soit $(M,\pi)$ un fibré en cercle orienté au dessus d’une surface compacte orientée $S$. Fixons un point base $x$ de $M$ et notons $\bar{x}$ son image par $\pi$. La projection $\pi$ induit alors un morphisme

$$\pi_*: \pi_1(M,x) \to \pi_1(S,\bar{x})~.$$

Proposition

Le noyau de $\pi_*$ est engendré par le lacet faisant le tour de la fibre de $M$ passant par $x$.

Démonstration. Soit $c$ un lacet basé en $x$ dont l’image par $\pi$ est homotopiquement triviale dans $S$. Soit $h$ une homotopie de $\pi \circ c$ vers le lacet constant égal à $\bar{x}$. Alors $h$ se relève en une homotopie de $c$ vers un lacet dont la projection sur $S$ est constante égale à $\bar{x}$, c’est-à-dire un lacet contenu dans la fibre au dessus de $\bar{x}$.

C.Q.F.D.

Pourquoi $h$ se relève.

C’est loin d’être évident ! Il est expliqué que les revêtements vérifient la propriété de relèvement des homotopies, mais ici les fibres de notre fibration ne sont pas discrètes. Dans notre cas, pour relever l’homotopie $h$, on peut utiliser une connexion d’Ehresmann, qui permet de choisir continûment comment relever dans $M$ un chemin dans $S$.

On a donc une suite exacte :

$$\mathbb{Z} \to \pi_1(M,x) \to \pi_1(S,\bar{x})~.$$

Il y a maintenant deux cas à considérer.

Cas des fibrés au dessus de la sphère

Soit $M$ un fibré en cercle au dessus de la sphère de dimension $2$. Comme sa base est simplement connexe, le groupe fondamental de $M$ est engendré par une fibre et c’est donc un groupe cyclique. On peut alors définir la classe d’Euler du fibré comme l’ordre de son groupe fondamental.

Définition

La classe d’Euler du fibré $M$ vaut

- $0$ si $\pi_1(M) \simeq \mathbb{Z}$,

- $n$ si $\pi_1(M) \simeq \mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$.

Cas des fibrés au dessus d’une surface de genre supérieur à $1$

Considérons maintenant une surface compacte orientée $S$ de genre supérieur à $1$, et un fibré en cercles $(M,\pi)$ au dessus de $S$. Commençons par raffiner notre description du groupe fondamental de $M$.

Lemme

Le groupe fondamental d’une fibre s’injecte dans le groupe fondamental de $M$.

Démonstration. On a une suite exacte longue d’homotopie :

$$\pi_2(S) \to \pi_1(F) \to \pi_1(M) \to \ldots$$

Or, si $S$ est de genre supérieur à $1$, le second groupe d’homotopie de $S$ est trivial, et le morphisme de $\pi_1(F)$ dans $\pi_1(M)$ est donc injectif.

C.Q.F.D.

Lemme

Le groupe fondamental d’une fibre de $M$ est central dans le groupe fondamental de $M$.

Démonstration. Soit $c: \mathbb{S}^1 \to M$ un lacet quelconque sur $M$ basé en $x$. On introduit l’application

$$ \begin{array}{rccc} f: & \mathbb{S}^1 \times \mathbb{S}^1 &\to& M \\ \ & (e^{i\theta}, e^{i\phi}) & \mapsto & e^{i\theta} \cdot c(e^{i\phi})~. \end{array}$$

Cette application induit un morphisme de $ \mathbb{Z}^2 \simeq \pi_1(\mathbb{S}^1 \times \mathbb{S}^1)$ dans le groupe fondamental de $M$, tel que l’image du premier générateur est un générateur du groupe fondamental de la fibre, et l’image du second générateur est la classe d’homotopie de $c$. On en déduit que ces deux éléments commutent.

C.Q.F.D.

En conclusion, le groupe fondamental de $M$ est une extension centrale de $\pi_1(S)$ par $\mathbb{Z}$, c’est-à-dire qu’il existe une suite exacte

$$1 \to \mathbb{Z} \to \pi_1(M) \to \pi_1(S)\to 1~,$$

où l’image de $\mathbb{Z}$ est centrale dans $\pi_1(M)$.

Ces extensions centrales sont classifiées par un entier $n$ qui mesure l’obstruction à l’existence d’une section. C’est ce qu’on appellera la classe d’Euler de $M$.

Pour la définir, notons $t$ un générateur noyau de $\pi_*$. L’extension centrale

$$\begin{equation} \tag{E} 1 \to \mathbb{Z} \to \pi_1(M) \to \pi_1(S)\to 1 \end{equation}$$

induit, pour tout entier $n$, une extension centrale

$$\begin{equation} \tag{E_n} 1 \to \mathbb{Z}/n \mathbb{Z} \to \pi_1(M)/\langle t^n \rangle \to \pi_1(S)\to 1~. \end{equation}$$

Définition (classe d’Euler)

On appelle classe d’Euler du fibré $M$ le plus grand entier $n$ tel que l’extension centrale $(E_n)$ admet une section. Si l’extension centrale $(E)$ elle-même admet une section, on convient que la classe d’Euler de $M$ est nulle.

Concrètement, la classe d’Euler se calcule souvent de la façon suivante. On fixe une présentation de $\pi_1(S)$ de la forme

$$ \left \langle a_1, b_1, \ldots a_g, b_g \mid \prod_{i=1}^g [a_i,b_i] = 1 \right \rangle~,$$

et on choisit des antécédents $\tilde{a}_1, \tilde{b}_1, \ldots \tilde{a}_g \tilde{b}_g$ de $a_1, b_1, \ldots a_g, b_g$ par $\pi_*$. Le produit des commutateurs

$$\prod_{i=1}^g [\tilde{a}_i, \tilde{b}_i]$$

est un élément du noyau de $\pi_*$ qui ne dépend pas du choix des relevés. Il est donc de la forme $t^n$, où $t$ est un générateur de $\mathrm{ker} \pi_*$ et où $n$ est la classe d’Euler du fibré.

Classification des fibres en cercles

Montrons maintenant que la classe d’Euler classifie les fibrés en cercles. Pour cela, nous allons prouver que tout fibré en cercle sur $S$ est obtenu à partir du fibré trivial par une chirurgie de Dehn, puis que ces chirurgies de Dehn sont exactement paramétrées par la classe d’Euler.

Commençons par un lemme.

Lemme

- Tout fibré en cercle au dessus d’un disque est trivial.
- Tout fibré en cercle au dessus d’une surface compacte privée d’un disque est trivial.

Idée de la démonstration.

On commence par remarquer qu’un fibré en cercle $\pi: M \to S$ est trivial si et seulement s’il admet une section, c’est-à-dire une application continue $s: S \to M$ telle que

$$\pi \circ s = id_S~.$$

On utilise ensuite le fait qu’un disque se rétracte sur un point et qu’une surface privée d’un disque se rétracte sur un bouquet de cercles. On construit aisément une section du fibré en restriction à ce bouquet de cercles (ou encore plus facilement à ce point).

Il nous faut pour finir un moyen d’étendre continûment cette section à toute la surface. Ce moyen peut par exemple être fourni par une connexion d’Ehresmann.

C.Q.F.D.

Théorème

Tout fibré en cercle de classe d’Euler $k$ au dessus de $S$ est isomorphe au fibré obtenu en recollant $D \times \mathbb{S}^1$ avec $(S-D) \times \mathbb{S}^1$ (où $D$ désigne un petit disque de $S$) via l’application

$$ \begin{array}{rccc} \phi_k: & \mathbb{S}^1 \times \mathbb{S}^1 &\to& \mathbb{S}^1 \times \mathbb{S}^1 \\ \ & (e^{ix}, e^{iy}) & \mapsto & (e^{ix}, e^{i y+kx})~. \end{array}$$

(Le bord de $D$ est ici identifié à $\mathbb{S}^1$.)

Démonstration.
Soit $\pi: M \to S$ un fibré en cercles de classe d’Euler $k$. Découpons un petit disque $D$ dans $S$. D’après le lemme précédent, il existe des isomorphismes de fibrés $\phi: \pi^{-1}(D) \to D \times \mathbb{S}^1$ et $\psi: \pi^{-1}(S-D) \to (S-D)\times \mathbb{S}^1$.

La classe d’isomorphisme du fibré $M$ au dessus de $S$ est caractérisée par la classe d’isotopie de l’application

$$\phi^{-1}\circ \psi : \partial D \times \mathbb{S}^1 \to \partial D \times \mathbb{S}^1$$

qui est un homéomorphisme d’un tore.

D’après la classification des homéomorphismes du tore, cet homéomorphisme est conjugué à un homéomorphisme linéaire. Comme il préserve la fibration au dessus de $\partial D$, on en déduit qu’il est de la forme

$$(e^{ix}, e^{iy}) \mapsto (e^{ix}, e^{i y+px})$$

pour un certain entier $p$. (On a identifié ici $\partial D$ avec $\mathbb{S}^1$).

Il reste à voir que $p$ est précisément la classe d’Euler. On peut utiliser pour cela le théorème de Van Kampen.

C.Q.F.D.

Conclusion :

La classe d’Euler paramètre les fibrés en cercles au dessus d’une surface compacte donnée. Plus précisément, nous avons montré le résultat suivant :

Théorème

Soit $S$ une surface compacte et $k$ un entier. Alors il existe, à isomorphisme près, un unique fibré en cercle de classe d’Euler $k$ au dessus de $S$.

On en déduit que les fibres en cercles sont caractérisés par leur groupe fondamental.

Théorème

Soit $M$ et $N$ deux variétés compactes de dimension $3$ qui admettent des structures de fibrés en cercles. Si $\pi_1(M)$ et $\pi_1(N)$ sont isomorphes, alors $M$ et $N$ sont isomorphes en tant que fibrés en cercles (en particulier, ils sont homéomorphes).

Remarque Les fibrés en cercles sont très différents des fibrés sur le cercle, puisqu’on peut retrouver leur structure de fibré en cercle à partir de leur groupe fondamental.