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Théorie de Morse, décompositions en anses et scindements de Heegaard

On a vu ici que toute variété compacte $M$ possédait une fonction de Morse $f$ (et en fait beaucoup !). Les points critiques d’une telle fonction étant nécessairement isolés, ils sont en nombre fini. On a également vu que du point de vue des sous-niveaux $M^a=\{x\in M, f(x)\le a\}$, lorsque $a$ parcourt la droite réelle, rien ne change tant qu’on ne rencontre pas de valeur critique, et chaque franchissement d’une valeur critique équivaut à l’attachement d’une anse par point critique. Il résulte directement de ceci que toute variété compacte s’obtient par attachements d’anses successifs, ou encore :

Théorème Toute variété compacte admet une décomposition en anses.

$$ $$

Dans l’article Théorie de Morse et homologie, on donne l’analogue homotopique de ce résultat.

En utilisant ce type d’idées, on peut retrouver la classification topologique des surfaces.

Dans le cas de la dimension $3$, ce résultat s’affine en l’existence de scindements de Heegaard :

Théorème Toute variété compacte (connexe) de dimension $3$ admet un scindement de Heegaard, i.e. s’obtient comme la réunion de deux corps en anses de même genre recollés le long de leur bord.

$$ $$

Pour démontrer ce théorème, on commence par affiner le théorème d’existence de fonctions de Morse :

Théorème Toute variété compacte admet une fonction de Morse ordonnée, i.e. telle que l’indice des points critiques croît (au sens large) avec la valeur de la fonction en ces points.

Pour une preuve de ce résultat, on renvoie par exemple au livre Introduction to topology de V.A. Vassiliev [1].

Revenons maintenant au cas de la dimension $3$, et considérons une variété connexe $M$ munie d’une fonction de Morse ordonnée $f$. Soit $c$ un réel tel que tous les points critiques d’indice $0$ et $1$ soient strictement en-dessous du niveau $c$, et tous les points critiques d’indice $2$ et $3$ strictement au-dessus. On va voir qu’alors $\{f \le c\}$ et $\{f \ge c\}$ sont les corps en anses recherchés.

En effet, $\{f\le c\}$ est obtenu à partir de l’ensemble vide en attachant d’abord autant d’anses d’indice $0$ que $f$ a de points critiques d’indice $0$ (ce qui donne une union disjointe de boules de dimension $3$), puis autant d’anses d’indice $1$ que $f$ a de points critiques d’indice $1$. On montre facilement qu’une variété à bord ainsi obtenue est une union disjointe de corps en anses.

Pour $\{f\ge c\}$, il suffit de « mettre la tête en bas », i.e. de voir cet ensemble comme $\{-f\le -c\}$, les points critiques de $f$ d’indice $2$ et $3$ devenant des points critiques d’indice $0$ et $1$ de $-f$. On a donc là encore une union disjointe de corps en anses. Comme leur union a le même bord que $\{f\le c\}$, ils sont de même genre que ceux composant $\{f\le c\}$, et leur sont recollés deux à deux, et comme la variété totale est connexe, $\{f\le c\}$ et $\{f\ge c\}$ ne peuvent en fait être composés que d’un seul corps en anses, ce qui conclut la preuve.

Notons que modulo le théorème d’existence de fonctions de Morse ordonnées, la preuve qui précède est déjà présente dans le cinquième complément de Poincaré. On donne une autre preuve basée sur l’existence de triangulations.

On peut d’ailleurs se convaincre de l’existence de fonctions de Morse ordonnées grâce aux triangulations. En effet, une triangulation sur une variété compacte $M$ induit une décomposition en anses de $M$ avec une $0$-anse par sommet, une $1$-anse par arête, et plus généralement une $k$-anse par face de dimension $k$. On peut alors construire une fonction de Morse sur $M$ associée (via le premier théorème de l’article) à cette décomposition en anses, ayant pour points critiques d’indice $k$ les centres des faces de dimension $k$ et valant précisément $k$ en ces points.


[1V.A. Vassiliev, Introduction to Topology, Translated from the 1997 Russian original by A. Sossinski. Student Mathematical Library, 14. American Mathematical Society, Providence, RI, 2001