> Textes originaux > Notes aux Comptes rendus de l’Académie des sciences > Sur la connexion des surfaces algébriques (1901) Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Nous ne la commentons pas directement, mais les commentaires liés du quatrième complément sont accessibles par ici. Sur la connexion des surfaces algébriques (1901)Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. 133, p. 969-973 (9 décembre 1901) |
Une Note importante de M. Picard a récemment attiré de nouveau l’attention sur la question de la connexion des surfaces algébriques. Je crois devoir dire quelques mots de certains résultats que j’ai obtenus sur ce sujet.
$$\tag{1} f(x,y,z) = 0$$
une surface algébrique, à laquelle correspondra une variété fermée $V$ à quatre dimensions.
M. Picard a démontré que toute surface peut être ramenée, par une transformation birationnelle, soit à une surface de l’espace à cinq dimensions dépourvue de toute singularité, soit à une surface de l’espace ordinaire ne présentant que des singularités ordinaires, c’est-à-dire une courbe double et des points triplanaires.
Nous sommes donc autorisés par là à nous restreindre au cas des surfaces à singularités ordinaires, ce qui est d’autant plus nécessaire que les autres surfaces pourraient présenter des singularités telles que la variété $V$ correspondante présente elle-même un point singulier. Or les théorèmes généraux de l’Analysis situs n’ont guère été démontrés que pour les variétés sans point singulier et les définitions elles-mêmes deviendraient ambiguës, à moins d’être complétées par de nouvelles conventions.
Cela posé, rappelons quelques-uns des résultats obtenus par M. Picard. Donnons à $y$ une valeur constante quelconque, l’équation (1) représentera une courbe algébrique $f(x,z) = 0$ de genre $p$ ; à cette courbe correspondra une surface de Riemann $S$ sur laquelle on pourra tracer $2p$ cycles distincts
$$\omega_1, \quad \omega_2,\quad \dots,\quad \omega_{2p}.$$
Lorsque $y$ variera, la surface de Riemann $S$ et les cycles $\omega$ varieront, et quand $y$ aura décrit un lacet autour de l’un des points singuliers
$$A_1, \quad A_2, \quad \dots,\quad A_q$$
pour lesquels le genre de la courbe $f(x,z) = 0$ s’abaisse, les $2p$ cycles $\omega$ se seront transformés en $2p$ combinaisons linéaires (à coefficients entiers) de ces mêmes cycles $\omega$ ; ils auront subi une transformation linéaire $T_i$. L’ensemble de ces transformations $T_i$ forme un groupe dont M. Picard a montré l’importance au point de vue qui nous occupe et que j’appellerai groupe de Picard.
Il s’agit de former tous les cycles distincts de la variété $V$, tant à une qu’à deux ou à trois dimensions. En ce qui concerne les cycles à une dimension, le problème a été entièrement résolu par M. Picard. Notre savant confrère a montré que tous ces cycles peuvent être ramenés aux divers cycles $\omega$ d’une des surfaces $S$, mais que ces cycles $\omega$ ne sont pas tous distincts ; un quelconque de ces cycles est équivalent à son transformé par l’une des transformations $T_i$. Si donc on égale chacun des $2p$ cycles $\omega$ à son transformé par chacune des $q$ transformations $T_i$, on obtiendra un système de $2pq$ équations linéaires entre les $\omega$, que j’appellerai le système (A).
Autant ce système (A) aura de solutions distinctes, autant la variété $V$ admettra de cycles à une dimension distincts.
Il semble d’abord qu’il y a des cas où le nombre de ces cycles doive être abaissé ; que, pour certains points singuliers $A_i$, le genre de la surface $S$ s’abaissant, un des cycles de cette surface pourra se réduire à zéro, sans être pour cela la différence entre un des cycles de $S$ et son transformé par la substitution $T_i$. C’est ce qui arriverait, par exemple, si nous avions deux points singuliers $A_1$ et $A_2$, tels que les transformations $T_1$ et $T_2$ soient inverses l’une de l’autre ; puis que nous fassions varier la surface (1) d’une manière continue, de telle sorte qu’à la limite les deux points $A_1$ et $A_2$ se confondent. Alors, pour la surface limite, la transformation du groupe de Picard qui correspondrait au point singulier formé par la réunion de $A_1$ et $A_2$ se réduirait à la transformation identique, et cependant certains des cycles de la surface $S$ se réduiraient à zéro quand $y$ viendrait en ce point singulier. Mais cette circonstance ne se présentera jamais pour les surfaces à singularités ordinaires auxquelles nous devons et pouvons nous restreindre. Si elle se présentait pour d’autres surfaces, on pourrait se demander si ces cycles doivent être regardés comme équivalents à zéro ; on se trouverait justement das les cas où les définitions ordinaires deviennent ambiguës, à moins d’être complétées par des conventions nouvelles, et la réponse à la question posée dépendrait des conventions que l’on adopterait.
En ce qui concerne les cycles à deux dimensions, M. Picard a considéré ceux qui sont engendrés de la façon suivante : Supposons qu’un cycle $\omega$ ne soit pas altéré par l’une des transformations $\Theta$ du groupe de Picard ; nous ferons alors décrire à $y$ un contour fermé correspondant à cette transformation $\Theta$ ; le cycle $\omega$ variant avec $y$ engendrera un cycle fermé à deux dimensions. Il reste à savoir si tous les cycles ainsi obtenus sont distincts et s’il ne peut y en avoir d’autres.
Voici les résultats auxquels je suis parvenu à cet égard : il y a des cycles de deux sortes ; tous les autres n’en sont que des combinaisons.
Il y a deux cycles de la première sorte qui sont sur la surface de Riemann obtenue en donnant à $x$ une valeur constante, et la surface de Riemann obtenue en donnant à $y$ une valeur constante.
Voici le mode de génération des cycles à deux dimensions de la seconde sorte :
Soit $\Omega_i$ une combinaison linéaire des cycles $\omega$, $\Omega_i'$ son transformé par la transformation $T_i$ ; si ces combinaisons linéaires sont choisies de telle sorte que l’on ait
$$\tag{2} \Omega_1 + \Omega_2 + \dots + \Omega_q = \Omega_1' + \Omega_2' + \dots + \Omega_q',$$
on engendrera un cycle de la façon suivante : si nous faisons décrire à $y$ un lacet autour de $A_i$, en partant du point $O$ et revenant au point $O$, le cycle $\Omega_i$ engendrera une variété $W_i$ à deux dimensions qui ne sera pas fermée, mais qui sera limitée par la position initiale et finale du cycle, c’est-à-dire par le cycle $\Omega_i^0$ de la surface de Riemann correspondant au point $O$ et par son transformé ${\Omega_i'}^0$. Alors si l’on réunit toutes les variétés $W_i$, elles se raccorderont à cause de l’identité (2), et leur ensemble formera un cycle à deux dimensions.
Tous ces cycles ne sont pas distincts. Soit $U_0$ un cycle quelconque, $U_1$ son transformé par $T_1$, $U_2$ celui de $U_1$ par $T_2$, $U_3$ celui de $U_2$ par $T_3$, etc., et enfin $U_q=U_0$ le transformé de $U_{q-1}$ par $T_q$. Si nous avons alors
$$\Omega_1 = U_0+V_1,\qquad \Omega_2 = U_1+V_2,\qquad \dots,\qquad \Omega_q = U_{q-1}+V_q$$
($V_i$ étant un cycle quelconque inaltéré par la transformation $T_i$) et, par conséquent
$$\Omega_1' = U_1+V_1,\qquad \Omega_2' = U_2+V_2,\qquad \dots,\qquad \Omega_q' = U_q+V_q,$$
le cycle à deux dimensions engendré par $\Omega_1, \Omega_2,\ \dots,\ \Omega_q$ [1] sera équivalent à zéro. Il n’y a pas d’autre cycle équivalent à zéro. Donc, quand on aura réduit par ce moyen le nombre des cycles à deux dimensions, tous ceux qui resteront seront distincts.
J’ignore si tous les cycles de la seconde sorte sont des combinaisons de ceux qui correspondraient, d’après M. Picard, à une transformation $\Theta$ et à un cycle inaltéré par cette transformation.
Passons enfin aux cycles à trois dimensions. Soit $\Omega$ un cycle de la surface $S$ qui soit invariant par rapport au groupe de Picard, c’est-à-dire inaltéré par toutes ses substitutions. Quand on donnera à $y$ toutes les valeurs possibles, ce [2] cycle engendrera un cycle fermé à trois dimensions.
Il n’y en aura d’ailleurs pas d’autre et tous les cycles ainsi obtenus seront distincts.
On vérifie que, comme il convient, le nombre des cycles invariants (et, par conséquent, celui du nombre des cycles à trois dimensions de $V$) est égal au nombre des solutions distinctes du système (A) (et, par conséquent, à celui des cycles à une dimension de $V$).
On voit que la considération du groupe de Picard suffit pour la détermination des nombres de Betti ; elle suffirait également pour la détermination de ce que j’ai appelé les coefficients de torsion.