> Commentaires des textes originaux > Commentaires sur le quatrième complément > Commentaires du quatrième complément Nous présentons sur cette page nos commentaires sur une section des Œuvres Originales de Poincaré : le paragraphe que nous commentons est accessible par ici. Commentaires du quatrième complément |
L’objectif de ce quatrième complément est clair, et ce dès les premières phrases introductives : il s’agit d’appliquer la théorie développée dans l’Analysis Situs à l’étude des surfaces algébriques telles que développée par son collègue Emile Picard.
Plus précisément, Poincaré souhaite généraliser le calcul dû à Picard du premier nombre de Betti à l’ensemble de ces nombres. Il sait bien que le troisième nombre est égal au premier : l’objectif principal est donc de calculer le deuxième nombre de Betti, ce qu’il parvient presque à faire au bout de 33 pages de raisonnements d’une grande virtuosité technique.
Commençons par rappeler l’objet géométrique étudié : la surface algébrique. Comme à son habitude, Poincaré est avare de détails sur ce point et se contente d’écrire
Soit $f(x,y,z)=0$ l’équation d’une surface algébrique quelconque qui définira une variété $V$ à quatre dimensions.
Quelques lignes plus tard, il suppose que la décomposition en niveaux de $y$ constants est ce qu’on appelle une fibration de Lefschetz. Les étapes nécessaires pour se ramener à cette situation - compactification et éclatements - sont bien connus de lui et de ses contemporains, particulièrement E. Picard. Il ne s’embarrasse donc pas à les rappeler.
La stratégie adoptée par Poincaré est alors d’exhiber une décomposition polyédrale de $V$ et de calculer à partir de cette décomposition les nombres de Betti. Autant le dire tout de suite, on ne va pas commenter la totalité de ce calcul ligne à ligne pour deux raisons.
La première est que la décomposition utilisée par Poincaré ne correspond pas tout à fait à une décomposition cellulaire qu’un mathématicien moderne jugerait acceptable. En effet, Poincaré n’est pas précis sur le traitement des valeurs singulières de $y$, correspondant donc aux fibres singulières de la fibration de Lefschetz. Il se contente d’écrire que certaines cellules "disparaissent". Or, si on considère que ces cellules ne font pas partie de $V$, le calcul s’en trouve faussé. Il n’est pas difficile de compléter la description de Poincaré : il suffit de préciser que chaque cycle évanescent est contracté sur un point. C’est bien ce qu’il fait dans son calcul mais on ne peut du coup suivre ses manipulations algébriques - un peu pénibles - avec une pleine confiance.
La deuxième est que le calcul est malgré tout incorrect : Poincaré se trompe finalement dans le calcul de $b_2$. On peut trouver le calcul correct - bien que pas forcément mieux justifié - dans les travaux de Lefschetz [1]. Une preuve moderne, basée sur les mêmes arguments, se trouve dans Lamotke [2]. On lui préfère généralement une preuve fondée sur la théorie de Hodge, qui sort définitivement du cadre de l’Analysis situs.
Pour illustrer tout de même ce 4ème complément et suivre Poincaré dans son calcul, on se propose de trouver la valeur du deuxième nombre de Betti par un argument que Poincaré n’utilise pas : le calcul de la caractéristique d’Euler. Pour cause, le calcul utilise une décomposition cellulaire qui prend bien en considération les points singuliers, voir Homologie des fibrations de Lefschetz.
Attardons nous tout de même sur deux derniers points.
La décomposition cellulaire
Poincaré suppose donc de manière implicite que sa variété $V$ est l’espace total d’une fibration de Lefschetz. Notons $p:V \to \mathbb{P}^1 (\mathbb{C})$ la projection qui correspond pour Poincaré à la projection $(x,y,z)\mapsto y$.
Poincaré considère les valeurs critiques $A_1,\ldots,A_q$ de cette fibration et $O$ une valeur régulière. Il trace dans $\mathbb{P}^1(\mathbb{C})$ des arcs disjoints $OA_1,\ldots,OA_q$ appelés coupures de sorte que le complémentaire des coupures forme un disque $D$.
La préimage de $O$ sera la surface modèle notée $S$. Poincaré suppose que la préimage de $D^2$ est homéomorphe au produit $D^2\times S$. C’est le théorème de la fibration d’Ehresmann - un exemple de théorème démontré 50 ans (au moins) après sa première utilisation.
Ensuite Poincaré décompose la surface $S$ en cellules. Chaque face $F_k$ de $S$ multipliée par $D^2$ forme une cellule de dimension 4 de $V$ que Poincaré nomme hypercase. Vient ensuite le problème du passage des coupures : vu d’un côté ou de l’autre, la surface $S$ est homéomorphe à elle-même par un twist de Dehn le long du cycle evanescent. En particulier, les décompositions cellulaires ne se correspondent pas. La solution proposée par Poincaré est de trouver une subdivision commune qui rende l’homéomorphisme simplicial. On trouve donc au final une décomposition cellulaire, modulo le problème des valeurs singulières qui est mentionné par Poincaré bien que de manière assez floue.
S’en suit le calcul de l’homologie par une distinction de cas scrupuleuse, dépendant des cellules dont est formé le 1,2 ou 3-cycle que l’on cherche à déterminer. Comme prévu, on ne suit pas plus avant Poincaré dans ses calculs.
Le groupe de Picard
Après presque 10 pages de calculs concernant les 3-cycles, Poincaré donne l’interprétation que l’on retiendra. Il commence par définir le groupe de Picard
Mais quand $y$ tourne autour de l’un des points singuliers $A_i$, les cycles de la surface de Riemann subissent une des substitutions du groupe de Picard.
Il se réfère aux travaux de son collègue mais ne donne ni l’interprétation géométrique (twist de Dehn), ni algébrique (transvection). Enfin, il résume le calcul par cette phrase très éclairante
En résumé, autant le groupe de Picard admettra de cycles invariants disjoints, autant la variété admettra de cycles distincts à 3 dimensions.
Concernant le calcul du premier nombre de Betti, Poincaré retrouve rapidement que ce nombre est celui des "cycles subsistants", c’est-à-dire le quotient de $H_1(S,\mathbb{Z})$ par le groupe engendré par les cycles évanescents (de rang $k$ dans Homologie des fibrations de Lefschetz). Il retrouve l’égalité $b_1=b_3$ par un bel argument que l’on peut résumer par le fait que le groupe de Picard préserve la forme d’intersection de $S$.
Un cycle invariant par le groupe de Picard est orthogonal à tous les cycles évanescents. Ainsi, la somme des dimensions des cycles invariants et celle des cycles subsistants est égale à la dimension de $H_1(S,\mathbb{Z})$, CQFD.