> Exemples de dimension 3 > Variétés lenticulaires > Classification et chirurgie de Dehn le long du noeud trivial Classification et chirurgie de Dehn le long du noeud trivial |
Classification
Deux espaces lenticulaires $L(p_1,q_1)$ et $L(p_2,q_2)$ homéomorphes ont même groupes fondamentaux ce qui force $p_1=p_2$. Pour classifier les espaces lenticulaires à homéomorphisme près, il suffit donc de considérer ce cas :
Soient $L(p,q_1)$ et $L(p,q_2)$ deux espaces lenticulaires.
- Les espaces $L(p,q_1)$ et $L(p,q_2)$ sont homéomorphes si et seulement si $q_2=\pm q_1^{\pm 1}$.
- Les espaces $L(p,q_1)$ et $L(p,q_2)$ sont homotopiquement équivalents si et seulement si $q_1q_2$ ou $-q_1q_2$ est un résidu quadratique modulo $p$.
Nous ne donnons ici que la preuve de la suffisance de la première condition qui est élémentaire. Le reste de la preuve nécessite l’introduction d’outils plus sophistiqués, comme la torsion de Reidemeister. L’intérêt de ce résultat réside dans le fait qu’il donne l’existence de $3$-variétés ayant des groupes fondamentaux isomorphes et qui ne sont pas pour autant homéomorphes et n’ont même pas le même type d’homotopie : c’est le cas de $L(5,1)$ et $L(5,2)$, par exemple. De même, cela montre qu’en dimension $3$ il y a des variétés qui sont homotopiquement équivalentes sans être homéomorphes, comme $L(7,1)$ et $L(7,2)$ : ce phénomène n’arrive pas en dimension $2$.
$$ $$
Démonstration. L’automorphisme $\mathbb{C}$-linéaire de $\mathbb{C}^2$ défini par
$$(z_1,z_2)\mapsto (z_2,z_1)$$
conjugue l’action qui donne $L(p,q)$ à celle qui donne $L(p,q^{-1})$, alors que l’automorphisme $\mathbb{R}$-linéaire défini par
$$(z_1,z_2)\mapsto (z_1,\bar{z}_2)$$
conjugue l’action qui donne $L(p,q)$ à celle qui $L(p,-q)$. La vérification de ces faits est laissé en exercice.
C.Q.F.D.
$$ $$
Décomposition de Heegaard de genre $1$ ; chirurgie de Dehn le long du nœud trivial
On voit toujours $\mathbb{S}^3$ comme sphère unité de $\mathbb{C}^2$. Les sous-variétés $T_1$ et $T_2$ définies par
$$T_1 =\{ (z_1 , z_2 ) \in \mathbb{S}^3 \; : \; |z_1|^2\leq 1/2\} \mbox{ et } T_2:=\{ (z_1 , z_2 ) \in \mathbb{S}^3 \; : \; |z_2|^2\leq 1/2\}$$
sont deux tores solides qui s’intersectent le long de leur bord commun
$$\{ (z_1 , z_2 ) \in \mathbb{C}^2 \; : \; |z_1|^2=|z_2|^2=1/2 \}$$
qui est un tore.
Partant du tore solide standard
$$B^2\times\mathbb{S}^1=\{(w,\zeta)\in \mathbb{C}\times\mathbb{S}^1| |w|\le 1\} ,$$
un difféomorphisme explicite
$$F : B^2\times\mathbb{S}^1 \to T_1$$
est donné par
$$(w,\zeta)\mapsto (w/\sqrt{2},\sqrt{1-|w|^2/2}\zeta).$$
$$ $$
Cette décomposition de la $3$-sphère en deux tores solides, comme dans la fibration de Hopf que l’on représente dans l’animation ci-dessous, est un scindement de Heegaard de $\mathbb{S}^3$ de genre $1$. Elle a la propriété d’être invariante par toutes les actions cycliques qui donnent des espaces lenticulaires.
La restriction à chacun de ces deux tores solides du revêtement
$$\mathbb{S}^3 \longrightarrow L(p,q)$$
est, à son tour, un revêtement sur son image. Puisqu’un tore solide ne peut revêtir qu’un tore solide, on en déduit que les espaces lenticulaires admettent à leur tour un scindement de Heegaard de genre $1$.
Considérons le tore qui sépare $T_1$ de $T_2$. Les courbes
$$\gamma_1=\left\{ \frac{1}{\sqrt{2}}(e^{2i\pi t},1) \in \mathbb{C}^2 \; : \; t \in [0,1] \right\} \mbox{ et } \gamma_2=\left\{ \frac{1}{\sqrt{2}} (1,e^{2i\pi t}) \in \mathbb{C}^2 \; : \; t \in [0,1] \right\}$$
découpent ce tore en un carré et forment une base de son groupe fondamental [1] basé en
$$\left( \frac{1}{\sqrt{2}} , \frac{1}{\sqrt{2}} \right).$$
L’action cyclique d’ordre $p$ opère de façon équivariante sur les $\gamma_i$ ($i=1,2$), en les envoyant sur des courbes parallèles qui donnent un quadrillage $p\times p$ du carré. La courbe
$$\gamma_1+q\gamma_2=\left\{ \frac{1}{\sqrt{2}} (e^{2i\pi t},e^{2i\pi qt}) \in \mathbb{C}^2 \; : \; t \in [0,1] \right\}$$
en revanche est invariante. On remarquera que l’intersection entre cette courbe et $\gamma_2$ vaut $1$. On considère un domaine fondamental pour l’action cyclique sur ce tore : on peut choisir un $p$-ième de quadrillage délimité par deux tranlsatés de $\gamma_2$, comme le représente l’animation suivante (dans le revêtement universel).
On peut choisir l’image de $\gamma_2$ dans le quotient comme première courbe simple le long de laquelle découper le tore quotient en carré. [2] Et on peut choisir l’image de la courbe $(\gamma_1+q\gamma_2 )/p$ pour le découpage du tore quotient. En d’autres termes, les projetés de $\tilde{\gamma}_2$ de $\gamma_2$ et $\tilde{\alpha}$ de $(\gamma_1+q\gamma_2 )/p$ forment une base du tore quotient. Dans ces coordonnées le projeté $\tilde{\gamma}_1$ de la courbe $\gamma_1$ est
$$\tilde{\gamma}_1 = p\tilde{\alpha} -q\tilde{\gamma_2}.$$
Et puisque les courbes $\gamma_i$, $i=1,2$, sont équivariantes et bordent des disques dans les $T_i$, on en déduit que les $\tilde{\gamma_i}$ bordent des disques dans les quotients des $T_i$, ce qui donne bien un diagramme de Heegaard de genre $1$ pour $L(p,q)$. On représente ce diagramme, pour $p=5$ et $q=2$ dans l’animation suivante.
$$ $$
Terminons ce paragraphe en remarquant qu’une variété admet un scindement de Heegaard de genre $1$ si et seulement si elle peut être obtenue par chirurgie de Dehn le long du nœud trivial, tout simplement car l’extérieur du nœud trivial est le tore solide. On étudie ici toutes les variétés obtenues par chirurgie de Dehn le long du nœud trivial et on montre qu’elle sont soit $\mathbb{S}^3$, soit un espace lenticulaire $L(p,q)$, soit la variété $\mathbb{S}^2\times\mathbb{S}^1$. Parmi elles, toutes ont genre de Heegard égal à $1$ sauf la $3$-sphère qui est l’unique variété dont le genre de Heegaard vaut $0$. On en déduit la caractérisation suivante des espaces lenticulaires.
Une 3-variété est un espace lenticulaire si et seulement si son groupe fondamental est cyclique (fini) et son genre de Heegaard est égal à 1.
[1] Et aussi de son premier groupe d’homologie.
[2] En revanche, on ne peut pas utiliser l’image de $\gamma_1$ comme deuxième courbe pour le découpage car elle rencontre le domaine fondamental en $p$ segments parallèles. En effet, l’image de $\gamma_1$ est donnée par l’intersection de tous ses translatés par l’action cyclique avec le domaine fondamental choisi.