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Géométrisation de la variété dodécaédrique de Poincaré

On montre ici de deux façons différentes que l’espace dodécaédrique de Poincaré, défini par recollement des faces opposées d’un dodécaèdre, est homéomorphe au quotient de la $3$-sphère par l’action d’un groupe fini d’isométries. La première méthode part du dodécaèdre et de ses identifications de faces. Il s’agit de réaliser le dodécaèdre comme polyèdre régulier géodésiquement convexe dans $\mathbb{S}^3$ de telle manière que les identifications puissent être induites par des isométries globales de $\mathbb{S}^3$. On déduit alors du théorème du domaine fondamental de Poincaré l’existence d’un sous-groupe d’isométries opérant librement sur $\mathbb{S^3}$ tel que le quotient soit homéomorphe à la variété dodécaédrique. La seconde méthode au contraire part d’un sous-groupe concret, celui des icosions ($\mathbb{S^3}$ étant identifiée aux quaternions unités), et étudie l’action de ce groupe sur $\mathbb{S^3}$ pour aboutir à la même conclusion.

Première méthode : le théorème du domaine fondamental

Pour appliquer le théorème du domaine fondamental de Poincaré, il nous faut réaliser le dodécaèdre comme un polyèdre géodésiquement convexe dans une variété riemannienne simplement connexe de sorte que

  • les identifications des faces soient réalisables par des isométries et
  • la somme des angles dièdres des arêtes qui sont identifiées soit $2\pi$.

Si l’on demande en outre que le dodécaèdre soit totalement régulier, les arêtes étant identifiées par trois, il nous faut alors des angles dièdres de $2\pi/3$, soit légèrement plus grands que les angles dièdres d’un dodécaèdre régulier dans l’espace euclidien. Dans la sphère $\mathbb{S}^3$, il existe un tel dodécaèdre, obtenu comme intersection dans $\mathbb{S}^3$ de demi-espaces vectoriels de $\mathbb{R}^4$, ou encore dont toutes les faces sont des morceaux de grandes sphères. En effet, un tout petit tel dodécaèdre dans $\mathbb{S}^3$ a presque les mêmes angles qu’un dodécaèdre euclidien, mais plus le dodécaèdre est grand, plus ses angles dièdres augmentent, jusqu’à devenir plats lorsque les sommets du dodécaèdre sont à distance $\pi/2$ du centre. Quelque part entre les deux se trouve donc un dodécaèdre dont les angles dièdres sont exactement $2\pi/3$ comme le montre l’animation suivante

On trouvera ici une animation analogue dans l’espace hyperbolique qui conduit à l’espace dodécaédrique de Seifert-Weber.

Pour les amateurs de trigonométrie sphérique, on donne ici une autre preuve de l’existence d’un tel dodécaèdre sphérique.

Si un tel dodécaèdre existe, il doit être invariant par quinze réflexions dont le plan de réflexion est perpendiculaire à deux faces opposées et passe par un sommet de chaque face et le milieu de l’arête opposée dans le pentagone. Ce plan contient aussi deux arêtes opposées du dodécaèdre.

Notons qu’ici il faut entendre les plans comme des $2$-sphères géodésiques. En découpant le dodécaèdre le long de tous les plans de réflexion possibles on obtient cent-vingt tétraèdres, tous isométriques dont trois des angles dièdres sont droits, deux mesurent $\pi/3$ et un $\pi/5$ qui découpent la sphère en 120 triangles comme sur le dessin ci-contre.

Pour construire le dodécaèdre il suffit donc de construire un de ces tétraèdres et puis de reconstituer le dodécaèdre par réflexion dans les faces du tétraèdre. Pour contruire le tétraèdre on commence par trouver quatre hyperplans de $\mathbb{R}^4$ qui se coupent avec les bons angles. Soient $H_i$, $i=1,\dots,4$ les hyperplans et, pour chaque $i$, soit $v_i$ un vecteur unitaire orthogonal à $H_i$ : ce vecteur suffit non seulement à définir $H_i$ mais aussi un choix de demi-space délimité par $H_i$, celui des vecteurs $v$ satisfaisant $\langle v_i,v \rangle \ge 0$. On doit imposer que l’angle entre $v_2$ et $v_3$ vaut $\pi -\pi/5$, et celui entre $v_4$ et $v_1$ comme celui entre $v_4$ et $v_2$ vaut $\pi-\pi/3$, alors que $v_i$ et $v_j$, $i\neq j$ sont orthogonaux dans tous les autres cas. On note $(e_1,e_2,e_3,e_4)$ la base orthonormée standard de $\mathbb{R}^4$. On peut alors choisir $v_1=e_1$, $v_2=e_2$, $v_3=-\cos(\pi/5)e_2 + \sin(\pi/5)e_3$ et $v_4=a e_1+ b e_2 +c_e3+ d e_4$, façon que $\|v_4\|=1$, $\langle v_1,v_4 \rangle =1/2$, $\langle v_2,v_4 \rangle=1/2$ et $\langle v_3,v_4 \rangle=0$. Ces conditions donnent :

$$\begin{cases} a=b=-1/2 \\ b\cos(\pi/5)+c\sin(\pi/5)=0 \\ a^2+b^2+c^2+d^2=1 \end{cases}$$

et on peut choisir $c=\cot(\pi/5)/2$ et $d=\sqrt{\frac{1}{2}-\frac{1}{4}\cot^2(\pi/5))}$. Il reste encore à vérifier que l’intersection des demi-espaces ainsi définis est d’intérieur non vide : son intersection avec la $3$-sphère sera alors le tétraèdre voulu. En prennant le vecteur $v_0=e_1+e_2+t_3e_3+t_4e_4$ on a bien $\langle v_0,v_i \rangle >0$, pour tout $i=1,\dots,4$, pourvu que $t_3, t_4 \gg 0$.

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L’identification de deux faces opposées de ce dodécaèdre sphérique est réalisable par une isométrie de $\mathbb{S}^3$, par exemple la composée de la symétrie centrale de centre le centre du dodécaèdre, et d’une rotation de $6\pi/5$ autour d’un axe joignant les centres des faces en question. Ainsi, le théorème du domaine fondamental, appliqué au dodécaèdre et aux identifications ci-dessus, implique :

Théorème

La variété dodécaédrique de Poincaré peut être obtenue comme quotient de la 3-sphère par l’action (libre) d’un sous-groupe de SO(4).

En particulier, le groupe fondamental de la variété dodécaédrique est isomorphe à un sous-groupe fini de SO(4).

Seconde méthode : étude des icosions

Dans ce cours filmé, nous avions presque démontré que le groupe fondamental de la variété dodécaédrique était une extension par $\mathbb{Z}/2\mathbb{Z}$ du groupe alterné $A_5$ [1]. Or il existe une telle extension qui opère naturellement par isométries sur $\mathbb{S^3}$ : la préimage par la projection de SU(2) dans SO(3) du groupe des isométries directes d’un icosaèdre régulier, connue sous le nom de groupe des icosions ou groupe binaire icosaédrique, noté $\tilde{I}$, présenté dans la première vidéo ci-dessous. Ce groupe étant tout-à-fait explicite, on peut étudier son action sur $\mathbb{S}^3$ et constater en particulier qu’elle admet comme domaine fondamental un dodécaèdre (sphérique) et induit précisément sur les faces de ce dodécaèdre les identifications définissant la variété dodécaédrique, ce qui signifie que la variété dodécaédrique est homéomorphe au quotient de $\mathbb{S}^3$ par le sous-groupe des icosions. Mais cela nous donnera surtout une réalisation tout-à-fait concrète du pavage abstrait du revêtement universel ($\mathbb{S}^3$ donc) de cette variété polyédrique, et une visualisation de l’action du groupe fondamental sur ce pavage. Pour comprendre tout cela, on va commencer par plonger dans $\mathbb{S}^3$ le graphe de Cayley de $\tilde{I}$ pour un certain système de générateurs, et étudier l’action de $\tilde{I}$ sur ce graphe, et par extension sur $\mathbb{S}^3$.

Commençons donc par présenter les icosions, un sous-groupe fini des quaternions unités, connu aussi sous le nom de groupe icosaédrique binaire. La vidéo ci-dessous fait aussi référence au cours filmé présentant le calcul du $\pi_1$ de la variété dodécaédrique, et au pavage abstrait associé à une variété polyédrique.

Retenons de cette vidéo les informations essentielles suivantes. Si l’on note $\phi$ le nombre d’or, le groupe $\tilde{I}$ est composé des 120 quaternions unités suivants :

  • les 24 "quaternions de Hurwitz" $\pm1$, $\pm i$, $\pm j$, $\pm k$, $\frac12(\pm1\pm i\pm j\pm k)$
  • les 96 quaternions obtenus à partir de $\frac12(0\pm i\pm\phi^{-1} j\pm \phi k)$ par permutation paire des coordonnées.

Il est engendré par 6 éléments d’ordre 10 :

  • $a=\frac12(\phi+ \phi^{-1} j+ k)$
  • $b=\frac12(\phi- \phi^{-1} j+ k)$
  • $c=\frac12(\phi+i+ \phi^{-1} k)$
  • $d=\frac12(\phi+ \phi^{-1}i+j)$
  • $e=\frac12(\phi-\phi^{-1} i+j)$
  • $f=\frac12(\phi-i+ \phi^{-1} k)$.

Nous allons maintenant visualiser le graphe de Cayley de $\tilde{I}$ pour le système de générateurs symétrique $\{a^{\pm1},\dots,f^{\pm1}\}$. Ce graphe se plonge naturellement dans $\mathbb{S}^3$ (les icosions étant des quaternions unités, donc des éléments de $\mathbb{S}^3$), les arêtes étant réalisées par des arcs géodésiques. Le dual de ce graphe forme un pavage de $\mathbb{S}^3$ par 120 dodécaèdres, domaines fondamentaux de l’action de $\tilde{I}$. Ainsi, comprendre l’action de $\tilde{I}$ sur son graphe de Cayley permettra ensuite de comprendre l’action de $\tilde{I}$ sur le pavage, et en particulier sur les faces d’un domaine fondamental.

La visualisation de l’action de $\tilde{I}$ sur son graphe de Cayley fait l’objet de la vidéo suivante.

Voici un texte d’accompagnement décrivant les grandes étapes de la vidéo.

Les sommets du graphe de Cayley sont les éléments du groupe des icosions. Deux sommets sont reliés par une arête du graphe si l’on peut passer de l’un à l’autre par multiplication à droite par l’un des six générateurs $a$, $b$, $c$, $d$, $e$, $f$. On représente ce graphe dans l’hypersphère via le plongement naturel des icosions dans le groupe des quaternions, puis on matérialise chaque arête par la géodésique correspondante dans l’hypersphère.

Le graphe obtenu ainsi n’est autre que la projection radiale sur $\mathbb{S}^3$ du $1$-squelette du « 600 », polyèdre (ou polychore) régulier de $\mathbb{R}^4$ à 600 faces tétraédriques. Dans la vidéo, on visualise ce graphe dans $\mathbb{R}^3$ grâce à une projection stéréographique.

A chaque arête correspond un générateur bien déterminé, que l’on représente dans la vidéo par une couleur, jaune pour $a$, orange pour $b$, bleu pour $c$, rouge pour $d$, vert pour $e$ et blanc pour $f$. On commence par décrire les orbites pour l’action de $a$ à droite. Cet élément est d’ordre $10$, donc chaque orbite est constituée de $10$ icosions parmi $120$, ce qui fait un total de $12$ orbites. Les éléments d’une orbite donnée sont uniformément répartis sur un cercle, union de $10$ arêtes du graphe de Cayley que l’on colorie en jaune. [2]

Les 120 icosions sont donc répartis sur 12 cercles jaunes disjoints, que nous étudierons plus en détail ultérieurement. On peut procéder de même avec les autres générateurs. On obtient ainsi 6 familles de 12 cercles comportant chacun 10 sommets et 10 arêtes. Cela fait donc un total de $6\times 12\times 10=720$ arêtes, les 720 arêtes de notre graphe de Cayley.

Ce qui nous intéresse maintenant, c’est l’action à gauche du groupe des icosions, sur lui-même bien sûr, mais aussi sur son graphe de Cayley coloré : la multiplication à gauche envoie une arête d’une couleur sur une arête de la même couleur. Pour comprendre l’action de $a$ à gauche sur le graphe de Cayley, on commence par se concentrer sur les 12 cercles jaunes. Si l’on place le pôle de la projection stéréographique en -1 et $a$ à la verticale (au-dessus) de 1 (maintenant au centre de $\mathbb{R}^3$, le cercle jaune contenant 1 devient l’axe vertical passant par 1, celui contenant $i$ est un cercle horizontal enlaçant cet axe, et les 10 autres sont répartis en deux groupes de cinq sur deux tores de révolution ayant ce cercle jaune horizontal pour âme. [3]

Naturellement, l’action à gauche de $a$ préserve globalement le groupe des itérés de $a$, donc l’axe vertical. Plus précisément, elle décale chaque élément d’un cran vers le haut. Mais cette action préserve aussi le cercle horizontal. En effet, $i$ conjugue $a$ à $a^{-1}$, de sorte que $a^k\cdot i= i\cdot a^{-k}$, donc les orbites de $i$ par l’action de $a$ à gauche et à droite coïncident. Par contre, l’action à gauche décale les éléments d’un cran dans le sens positif (autour de l’axe vertical orienté vers le haut) tandis que l’action à droite les décale dans le sens négatif. Chacun des tores de révolution est également globalement préservé par $a$ [4], mais ce n’est pas le cas des cercles jaunes sur ces tores. L’orbite d’un élément saute de cercle jaune en cercle jaune. Les dix éléments d’une telle orbite sont néanmoins contenus dans un cercle du graphe de Cayley, mais d’une autre couleur, dépendant de l’orbite considérée. Cela signifie qu’une orbite pour l’action de $a$ à gauche est aussi une orbite pour l’action d’un autre générateur à droite, ce qui revient ni plus ni moins à dire que tout icosion appartenant à l’un des tores conjugue $a$ à l’un des dix éléments $b^{\pm1}$, $c^{\pm1}$, $d^{\pm1}$, $e^{\pm1}$ ou $f^{\pm1}$.

Nous avons ainsi regroupé les 120 icosions en 12(=2+5x2) « colliers » de 10 qui sont des orbites à droite de $a$. L’action de $a$ à gauche permute ces 12 colliers. Deux d’entre eux sont préservés : ceux situés sur l’axe vertical et sur le cercle horizontal. Les dix autres colliers se scindent en deux groupes de 5 (un groupe sur chaque tore de révolution), et l’action de $a$ à gauche permute cycliquement les 5 colliers de chaque groupe. Lorsque nous étudierons le pavage dodécaédrique dual du graphe de Cayley, à chacun des 12 colliers correspondra une chaîne de 10 dodécaèdres, les douze chaînes s’imbriquant parfaitement pour remplir $\mathbb{S^3}$. Pour pouvoir, à ce moment-là, visualiser cette imbrication, il nous faut ici comprendre comment nos colliers sont reliés entre eux par les arêtes du graphe de Cayley. Chaque point de l’axe vertical, pour commencer, est relié par deux arêtes à chacun des cinq cercles les plus proches, ceux du tore de révolution extérieur. De façon symétrique, le cercle jaune horizontal est relié aux cinq cercles du tore de révolution intérieur. Enfin chaque cercle du tore extérieur est relié à deux cercles du tore intérieur. Dans le pavage dodécaédrique, cela correspondra à l’emboîtement de chaque collier de dodécaèdres extérieur le long de deux colliers intérieurs.

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Finalement dans l’animation qui suit, on pave, à l’aide du groupe des icosions, l’hypersphère par 120 dodécaèdres, et on identifie le quotient de l’hypersphère par le groupe des icosions à la variété dodécaédrique de Poincaré.

Le lecteur retrouvera ici à l’écrit les grandes lignes de cette vidéo.

On obtient un domaine fondamental de l’action des icosions sur $\mathbb{S}^3$ en prenant l’ensemble des points de $\mathbb{S}^3$ qui sont situés plus près d’un point, disons 1, que de tous les autres points de son orbite par $\tilde{I}$, i.e. ici des 119 autres icosions. Un tel domaine est appelé domaine de Dirichlet. On peut vérifier qu’il s’agit en fait simplement des points qui sont plus proches de 1 que de ses 12 voisins immédiats dans $\tilde{I}$, i.e. $a^{\pm1}$, $b^{\pm1}$, $c^{\pm1}$, $d^{\pm1}$, $e^{\pm1}$ ou $f^{\pm1}$. L’ensemble des points équidistants de 1 et de l’un de ces voisins est une grande sphère, qui divise $\mathbb{S}^3$ en deux boules identiques, dont l’une contient le point 1, et le domaine de Dirichlet, intersection des 12 boules contenant 1, est donc un polyèdre sphérique à 12 faces, autrement dit un dodécaèdre sphérique. Les images de ce dodécaèdre par les 120 icosions forment un pavage de $\mathbb{S}^3$ par 120 dodécaèdres. On veut étudier plus précisément ce pavage et l’action des icosions dessus. L’action d’un générateur, disons $a$, envoie la face du domaine fondamental entre 1 et $a^{-1}$ sur celle entre 1 et $a$ en lui faisant subir un dixième de tour, c’est-à-dire précisément l’une des identifications définissant l’espace dodécaédrique de Poincaré. Les actions des 5 autres générateurs et des 6 inverses sont similaires, tandis que tout autre élément de $\tilde{I}$ disjoint complètement le dodécaèdre fondamental de lui-même. Ainsi, le quotient de $\mathbb{S}^3$ par $\tilde{I}$ est homéomorphe au quotient du dodécaèdre par les identifications de faces opposées après rotation d’un dixième de tour, i.e. à l’espace dodécaédrique de Poincaré. Le pavage de $\mathbb{S}^3$ que nous nous apprêtons à décrire est donc une réalisation tout-à-fait concrète du pavage abstrait du revêtement universel de cette variété que nous aurions pu construire, abstraitement, en partant du dodécaèdre et des règles d’identification de ses faces.

Le générateur $a$ est d’ordre 10. Les images successives du dodécaèdre initial par les puissances de $a$ vont donc former une chaîne de 10 dodécaèdres centrés en les 10 points de $\tilde{I}$ correspondant. De la même façon, à chaque orbite de l’action de $a$ à gauche correspond un collier de 10 dodécaèdres. La deuxième moitié de la vidéo s’appuie sur l’étude antérieure du graphe de Cayley de $\tilde{I}$ pour décrire la façon dont ces colliers s’imbriquent pour remplir complètement l’hypersphère. Elle explique notamment comment on peut séparer les douze colliers en deux groupes de six, chacun formant un tore plein, ces deux tores pleins au bord commun définissant donc un scindement de Heegaard de $\mathbb{S}^3$ de genre 1.

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Mais pourquoi $\pi_1 (\Sigma )$ est-il une extension du groupe $A_5$ du dodécaèdre ?

On peut en effet légitimement s’étonner que le groupe fondamental de la variété dodécaédrique $\Sigma$ [5] soit une extension de $A_5$ qui est aussi le groupe des isométries directes du dodécaèdre. Est-ce une coïncidence ? La considération de l’exemple de la variété hypercubique pourrait le laisser penser : le groupe des quaternions $Q_8$ n’est en effet pas une extension du groupe des isométries directes du cube.

Ce n’est toutefois pas si miraculeux : vu comme groupe, la sphère $\mathbb{S}^3$ opère à la fois à gauche et à droite sur elle-même par isométries. Faisons donc opérer le groupe $\pi_1 (\Sigma )$ à droite sur $\mathbb{S}^3$ par isométries. Il préserve l’orbite à gauche de $1$ sous l’action de $\pi_1 (\Sigma )$ et préserve donc le pavage par les 120 dodécaèdres qui correspondent aux domaines de Dirichlet centrés en les points de cette orbite. Maintenant, un élément $\gamma \in \pi_1 (\Sigma )$ envoie le domaine de Dirichlet $D$ centré en 1 sur le domaine de Dirichlet centré en le quaternion $q$ égal à l’image de $\gamma$ dans $\mathbb{S}^3$, c’est-à-dire $q D$. La translation à droite par $q^{-1}$ ramène $qD$ sur le domaine de Dirichlet centré en 1, de sorte que $R_{q} (D) = D$. L’image de $q$ dans $\mathrm{SO}(3)$ est donc contenue dans le groupe $A_5$ des isométries du dodécaèdre $D$. Et on obtient bien un morphisme naturel

$$\pi_1 (\Sigma ) \to A_5.$$

Toute ceci est bien sûr général, on montrerait par exemple de la même manière que le groupe fondamental de la variété hypercubique s’envoie dans le sous-groupe de $\mathrm{SO}(3)$ qui préserve un cube. Mais dans notre cas particulier on vérifie en outre facilement que le morphisme $\pi_1 (\Sigma ) \to A_5$ est surjectif : son image est en effet un sous-groupe de $A_5$ et contient au moins un élément d’ordre 5 et un élément d’ordre 3. L’ordre de l’image est donc nécessairement égal à 15, 30 ou 60. Il ne peut pas être égal à 15 car les éléments d’ordre 3 et 5 de $A_5$ ne commutent pas. Et il ne peut pas être égal à non plus 30 car $A_5$, étant simple, ne peut avoir de sous-groupe d’ordre 30, i.e. d’indice 2, car un tel sous-groupe serait distingué. [6]

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[1Précisément, nous avons montré que $\pi_1(\Sigma)$ est une extension centrale de degré 1 ou 2 du sous-groupe de SO(3) préservant le dodécaèdre régulier. Il est bien connu que ce sous-groupe de SO(3) est isomorphe au groupe alterné $A_5$.

[2Ces 12 cercles sont aussi les préimages par la fibration de Hopf $\mathbb{S}^3 \to \mathbb{S}^2$ des 12 points de $\mathbb{S}^2$ obtenus en permutant cycliquement les coordonnées des vecteurs $(\pm1 , 0 , \pm \phi)$. Ces 12 points sont les sommets d’un icosaèdre régulier.

[3Cela se voit bien via la fibration de Hopf : le premier cercle est la préimage du sommet $(-1,0, \phi)$ qui est fixé par la rotation associée à $a$, le second cercle est la préimage du sommet antipodal $(-1, 0, \phi)$ et les deux tores sont les préimages des deux cercles de $\mathbb{S}^2$ sur lesquels se trouvent, regroupés en deux paquets de 5, les 10 sommets restants de l’icosaèdre.

[4Là encore, ceci se voit bien via la fibration de Hopf : la rotation associée à $a$ préserve les deux pôles de l’icosaèdre ainsi que les deux cercles de 5 sommets. On explique enfin ici que les orbites de l’action à gauche sont positivement enlacées avec l’axe verticale alors que celles de l’action à droite sont négativement enlacées.

[5Vue comme quotient de $\mathbb{S}^3$.

[6Dans le cas de la variété hypercubique, on peut vérifier que le groupe fondamental se surjecte sur le groupe diédral $D_4 \subset \mathrm{SO}(3)$.