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Commentaires des textes originaux

L’Analysis Situs est un travail considérable qui occupera près de dix années de la vie de Poincaré. Loin d’être un mémoire rigoureusement rédigé analysant des concepts mathématiques solidement établis, il s’agit au contraire d’un travail de fondation dans lequel on peut retracer le cheminement de la pensée de Poincaré, qui le conduira à révolutionner la topologie. Les commentaires des textes originaux que nous proposons ici vous aideront à suivre ce cheminement, de la première définition naïve de l’homologie au théorème de dualité, de l’introduction du groupe fondamental à la formulation de la célèbre "conjecture de Poincaré".

L’Analysis Situs

Dans l’Analysis Situs proprement dit, Poincaré commence par proposer plusieurs définitions de la notion de variété, puis introduit deux concepts fondamentaux : les nombres de Betti d’une part, qui généralisent un invariant introduit par Betti pour classifier topologiquement les surfaces, et d’autre part le groupe fondamental, inspiré par ses travaux antérieurs sur l’uniformisation des surfaces de Riemann. Son point de vue révolutionnaire sur les nombres de Betti consiste à les définir comme le rang de (la partie libre de) groupes abéliens qu’on appelle aujourd’hui groupes d’homologie. Même si Poincaré ne s’autorise pas à parler de groupe d’homologie, il continuera à affiner la description de cette structure de groupe dans les premier et deuxième compléments.

Pour motiver la définition de ces nouveaux objets, Poincaré émaille l’Analysis Situs de nombreux exemples de dimension 3 construits principalement comme recollements d’un cube. Ces exemples bien choisis soulèvent de nombreuses questions qui irrigueront toutes les mathématiques du XXe siècle.

On trouvera des commentaires détaillés de l’Analysis Situs dans la rubrique :

Les compléments

Le mémoire de Poincaré soulève de nombreuses questions qui conduiront Poincaré à y ajouter cinq compléments. Ces compléments enrichiront considérablement l’Analysis Situs en développant de nombreux aspects nouveaux.

Le premier complément à l’Analysis Situs répond à une objection de Poul Heegaard concernant la preuve du théorème de dualité. L’objection d’Heegaard vient de ce que la première définition des nombres de Betti donnée par Poincaré est bancale et la première preuve du théorème de dualité peu convaincante. Pour en donner une nouvelle preuve, Poincaré va introduire dans le premier complément une nouvelle façon de calculer les nombres de Betti, qu’on appelle aujourd’hui homologie polyédrale. Nous expliquons dans les commentaires comment, en comblant quelques lacunes dans les arguments de Poincaré, on peut faire de cette homologie polyédrale la première définition rigoureuse de l’homologie.

Dans le second complément, Poincaré raffine sa description des groupes d’homologie en introduisant les coefficients de torsion, qui codent la torsion de ces groupes. Il précise ensuite son théorème de dualité : si $V$ est une variété de dimension $n$, alors le rang de la partie libre de $H_k(V)$ et $H_{n-k}(V)$ sont égaux, tandis que la partie de torsion de $H_k(V)$ est isomorphe à la partie de torsion de $H_{n-k-1}(V)$. Cela explique par exemple pourquoi le deuxième groupe d’homologie de l’espace projectif est trivial alors que son premier groupe d’homologie est $\mathbb{Z}/2\mathbb{Z}$.

Les troisième et quatrième complément appliquent les outils de l’Analysis Situs à l’étude des surfaces complexes. Dans le troisième complément, Poincaré étudie le groupe fondamental des surfaces algébriques et affirme que les surfaces algébriques "génériques" sont simplement connexes. Le résultat est vrai mais la preuve incorrecte, comme nous l’expliquons dans les

Dans le quatrième complément, Poincaré calcule les nombres de Betti des surfaces algébriques en les décrivant comme des fibrations au dessus de $\mathbb{C} \mathbb{P}^1$ avec un nombre fini de fibres singulières. Ce calcul repose sur une description du groupe de Picard, qui décrit l’action en homologie de la monodromie de la fibration en dehors des fibres singulières.

Le cinquième complément est resté célèbre pour la question que formule Poincaré dans le dernier paragraphe, connue sous le nom de conjecture de Poincaré. L’objectif affiché de ce complément est la construction d’une sphère d’homologie comme recollement de deux corps en anses de genre $2$. Cette construction est prétexte à l’étude plus générale du groupe modulaire des surfaces, des scindements de Heegaard, et contient même un embryon de théorie de Morse. On peut le considérer, avec le mémoire de Heegaard, comme l’acte de naissance de la topologie de dimension $3$.

Les notes

Entre 1892 et 1901, Poincaré fait paraître cinq notes aux Comptes rendus de l’Académie des sciences, dont la fonction principale est d’annoncer des résultats développés plus en détails dans l’Analysis Situs et ses compléments. Ces notes, accompagnées pour certaines d’un court commentaire, sont regroupées dans la rubrique Notes aux Comptes rendus de l’Académie des sciences.. Vous pouvez retrouver nos commentaires :