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Nous présentons sur cette page nos commentaires sur une section des Œuvres Originales de Poincaré : le paragraphe que nous commentons est accessible par ici.

Commentaires sur le §7 de l’Analysis Situs (Emploi des intégrales)

Dans le §7 de l’« Analysis Situs », Poincaré explique le lien entre les nombres de Betti d’un ouvert de l’espace $\mathbb{R}^n$ et le calcul des intégrales multiples sur cet ouvert. Avec le recul temporel, on y voit la source de la cohomologie de De Rham.

Notons qu’il n’est plus fait mention d’intégration multiple dans cet article qu’au §15.

Notations

Comme dans les sections précédentes, les coordonnées de l’espace ambiant $\mathbb{R}^n$ sont notées $x_1, ..., x_n$ et celles prises le long de la sous-variété $V$ de dimension $m$ de $\mathbb{R}^n$ sont notées $y_1, ..., y_m$. Au début de la section il s’agit de coordonnées globales sur $V$ (voir aussi nos commentaires du §3). Elles servent à définir la notion d’intégrale multiple sur $V$. Après avoir expliqué cette notion, Poincaré affirme que si la variété $V$ n’a pas de paramétrage global, alors :


[...] on décomposerait la variété $V$ en variétés partielles assez petites pour être susceptibles de ce mode de représentation et l’intégrale (11) [voir ci-dessous], étendue à la variété totale $V$, serait par définition la somme des intégrales (11) étendues aux diverses variétés partielles.

Intégration multiple le long de $V$

Le point de départ des explications de Poincaré est la notion d’« intégrale multiple d’ordre $m$ » :

$$ \int F dy_1, dy_2, ..., dy_m$$

« étendue à la variété $V$ ». Poincaré affirme que cette notion est bien connue : elle doit être interprétée comme le résultat du calcul successif des intégrales simples par rapport à toutes les variables, les limites de l’intégration étant définies par les inégalités qui spécifient les limites du domaine de variation de ces variables.

Dans l’expression précédente, $F$ désigne une fonction donnée des $y$. Comme dans le reste de l’article, Poincaré ne précise rien sur la nature de la fonction (continue, dérivable, analytique, etc.), ce qui est compréhensible si on pense qu’il explore des phénomènes liés non pas à cette nature, mais aux diverses manières de se donner formellement l’expression que l’on intègre. Pour le moment cette expression n’utilise en rien le plongement de la variété $V$ dans $\mathbb{R}^n$.

Mais Poincaré considère ensuite un deuxième type d’intégrande, qui s’exprime lui uniquement en termes des variables de l’espace ambiant, sans tenir compte de la sous-variété $V$ :

$$ \tag{11} \int \sum X_{\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m} d x_{\alpha_1} d x_{\alpha_2} \dots d x_{\alpha_m}. $$

Les coefficients $X_{\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m}$ sont des fonctions (de nouveau Poincaré ne donne pas de précisions supplémentaires) des variables $x_1, ..., x_n$. Ce qui compte est la règle suivante :


Il faut convenir que la fonction $X$ est nulle si deux de ses indices sont égaux et qu’elle change de signe quand on permute deux de ses indices.

En termes modernes, l’intégrande précédent peut être interprété de deux manières :

  • soit comme un tenseur covariant antisymétrique de degré $m$, qui s’écrit

    $$\sum_{1 \leq \alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m \leq n} X_{\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m} d x_{\alpha_1} \otimes d x_{\alpha_2} \otimes \dots \otimes d x_{\alpha_m} $$

  • soit comme une forme différentielle de degré $m$, qui s’écrit :

    $$\begin{array}{l} \sum_{1 \leq \alpha_1 , \alpha_2 , \dots , \alpha_m \leq n} X_{\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m} d x_{\alpha_1} \wedge d x_{\alpha_2} \wedge \dots \wedge d x_{\alpha_m} \\  = m! \sum_{1 \leq \alpha_1 < \alpha_2 < \dots < \alpha_m \leq n} X_{\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m} d x_{\alpha_1} \wedge d x_{\alpha_2} \wedge \dots \wedge d x_{\alpha_m}. \end{array} $$

Notons la présence du facteur $m!$ permettant de passer de la première à la deuxième expression. Il provient du fait que dans le premier cas on n’impose aucune contrainte aux indices $\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m$, à la différence du deuxième cas, où ils sont pris dans l’ordre croissant.

En termes intrinsèques, un tenseur covariant de degré $m$ est une section de la puissance tensorielle $m$-ème $(T^*M)^{\oplus m}$ du fibré cotangent $T^*M$ de la variété sur laquelle on travaille (dans l’article de Poincaré, $M = \mathbb{R}^n$). Ce fibré se décompose canoniquement comme somme directe du fibré des tenseurs symétriques et de celui des tenseurs antisymétriques :

$$(T^*M)^{\oplus m} = (T^*M)^{\oplus m}_{sym} \oplus (T^*M)^{\oplus m}_{asym}.$$

Par ailleurs, la puissance extérieure $m$-ème $\Lambda^m T^* M$ de $T^*M$ est un quotient de $(T^*M)^{\oplus m}$, obtenu en imposant que chaque fois que l’on permute deux facteurs dans un produit tensoriel de $1$-formes, on change de signe :

$$(T^*M)^{\oplus m} \longrightarrow \Lambda^m T^* M.$$

En restriction au sous-espace $(T^*M)^{\oplus m}_{asym}$, l’application précédente est un isomorphisme de fibrés, ce qui permet de passer de l’une des interprétations précédentes à l’autre.

Mais en 1895, date de parution de l’article de Poincaré, ces points de vue n’existaient pas encore. Le calcul des tenseurs covariants et contravariants n’allait être introduit qu’en 1900, dans un article de Ricci et Levi-Civita [1]. Et la notion de forme différentielle extérieure de degré quelconque n’allait être introduite qu’en 1899 par Elie Cartan [2]. Quant à la notion de fibré vectoriel, et cotangent en particulier, elle n’allait être dégagée vraiment que dans les années 1930 [3].

Utilisons encore le langage anachronique des formes différentielles. Poincaré explique ensuite qu’une forme de degré $m$ sur l’espace ambiant $\mathbb{R}^n$ se restreint en une forme de degré $m$ sur la sous-variété $V$, qui peut donc s’intégrer sur celle-ci comme il l’a expliqué au début. En effet, l’intégrande de la troisième intégrale mentionnée dans cette section est égal à cette forme restreinte :

$$ \sum X_{\alpha_1\alpha_2\dots\alpha_m} \frac{\partial (x_{\alpha_1}, x_{\alpha_2},\dots, x_{\alpha_m})}{\partial (y_1, y_2,\dots, y_m)}d y_1 \wedge d y_2 \wedge \dots \wedge d y_m = u^*\omega$$

si

$$\omega = \sum X_{\alpha_1,\alpha_2,\dots,\alpha_m} d x_{\alpha_1} \wedge d x_{\alpha_2} \wedge \dots \wedge d x_{\alpha_m}$$

et si $u: V \hookrightarrow \mathbb{R}^n$ est l’application de plongement.

La question des orientations

En termes modernes, Poincaré vient donc d’expliquer :

  • ce qu’est une forme différentielle de degré $m$ sur $\mathbb{R}^n$ ;
  • comment restreindre une telle forme à une carte d’une sous-variété de dimension $m$ ;
  • comment intégrer cette restriction.

Mais il manque quelque chose : la question des orientations. En effet, l’intégrale d’une forme différentielle de degré $m$ sur une variété de dimension $m$ n’est bien définie qu’une fois la variété munie d’une orientation. Poincaré spécifie que la convention sera de choisir toujours des paramétrages par les variables $(y_1, ..., y_m)$ qui soient positifs, c’est-à-dire de telle manière qu’ils envoient l’orientation standard de $\mathbb{R}^m$ sur l’orientation choisie de $V$. C’est de cette manière que l’on peut comprendre le paragraphe suivant :


En effet, si l’on permute deux lettres $y_1$ et $y_2$, l’intégrale change de signe ; il importe donc de se donner l’ordre de ces lettres et la permutation de deux de ces lettres équivaudrait à un changement du sens de l’intégration dans l’étude des intégrales simples. Je dirai donc le sens de l’intégration pour parler de l’ordre dans lequel on convient de ranger les lettres $y_1, y_2,\dots, y_m$.

Ces considérations pourraient laisser penser qu’une fois choisies des coordonnées locales sur $V$, et après en avoir éventuellement permuté deux, on peut calculer l’intégrale de la forme donnée par calculs successifs d’intégrales simples.

C’est bien le cas si la dimension $m$ de $V$ est au moins $2$. Mais lorsque $m=1$, il faut éventuellement changer le signe de $y_1$, si en augmentant les valeurs de $y_1$ on parcourt $V$ dans le sens négatif.

Par exemple, si on a à intégrer :

$$\int_{[0,1]} dy_1$$

mais que $y_1$ définit l’orientation négative sur la courbe $V$ choisie, paramétrée par le segment $[0,1] \subset \mathbb{R}$, alors il faut d’abord prendre une nouvelle coordonnée $t_1 = -y_1$. L’intégrale devient :

$$\int_{[-1,0]} - dt_1.$$

Et ce n’est que parce que l’on sait que la coordonnée $t_1$ définit maintenant l’orientation choisie de $V$, que cette dernière intégrale peut maintenant s’interpréter comme l’intégrale définie usuelle :

$$\int_{-1}^0 (-1) dt. $$

Mais comme $y_1$ définissait l’orientation opposée de la courbe $V$, on avait par contre :

$$\int_{[0,1]} dy_1 = - \int_0^1 dt.$$

Conditions d’intégrabilité

Poincaré revient à l’« intégrale » (11) et se demande quand les « conditions d’intégrabilité sont remplies », c’est-à-dire :


[...] dans quel cas l’intégrale (11) est nulle toutes les fois qu’elle s’applique à une variété fermée.

En termes modernes, il semble ensuite énoncer :

Théorème

Soit $\omega$ une forme différentielle de degré $m$ sur $\mathbb{R}^n$. L’intégrale $\int_V \omega$ est nulle pour toute sous-variété fermée et orientée de dimension $m$ de $\mathbb{R}^n$ si et seulement si $d \omega =0$.

Pourquoi disons-nous qu’il « semble » énoncer cela ? Parce qu’il n’est pas clair s’il énonce une équivalence ou seulement une implication : il dit simplement « Nos conditions d’intégrabilité s’écriront ... ». Notons que s’il n’introduit pas l’opération de différentiation extérieure, les membres de gauche du système d’équations écrit par Poincaré sont exactement les coefficients de la différentielle extérieure $d \omega$ de la forme $\omega$, intégrant de (11).

Poincaré ne démontre ici aucune des implications du théorème précédent, mais il renvoie à son article de 1887 [4] dans lequel il étendait au cas de deux variables complexes la théorie de Cauchy des résidus des fonctions d’une seule variable complexe.

L’article précédent sur les résidus est probablement, parmi les articles que Poincaré avait déjà publiés, celui qui a le plus motivé les considérations de ce paragraphe. En effet, Poincaré y avait déjà défini comme ici la notion d’intégrale multiple, ainsi que les conditions d’intégrabilité. Par contre, il y calcula ces conditions non pas en se demandant à quelle condition l’intégrale sur toute sous-variété fermée de $\mathbb{R}^n$ est nulle, mais en répondant à la question :

Question

À quelle condition l’intégrale $\int_{V_t} \omega$ est-elle indépendante de $t$ pour toute famille différentiable $(V_t)_t$ à un paramètre $t$ de sous-variété orientées et de dimension $m$ de $\mathbb{R}^n$, de bord fixe et telle que $V_0= V$ ?

Cette approche provient d’un point de vue de calcul des variations, domaine des mathématiques existant depuis le début du XVIII-ème siècle, et dont Poincaré était un fin connaisseur à cause de son intérêt pour la mécanique céleste et la physique en général.

Pour plus de détails sur l’article de 1887 sur les résidus des intégrales doubles, on pourra consulter nos commentaires à son sujet.

Différentiation versus intégration

Notons que l’opération de différentiation extérieure n’a été introduite par Elie Cartan qu’en 1899 pour les formes de degré $1$ [5], et en 1901 pour les formes de degré quelconque [6]. Notons aussi que le contexte qui a amené Cartan à introduire ces opérations était différent de celui de l’article de Poincaré : si ce dernier s’occupe du formalisme des intégrales multiples, Cartan s’occupait du formalisme de la résolution des systèmes de Pfaff, c’est-à-dire des systèmes d’équations aux dérivées partielles de la forme $\phi_1= \cdots = \phi_p =0$, où les $\phi_i$ désignent des formes différentielles de degré $1$.

En fait, si les formes différentielles de degré supérieur ou égal à deux n’apparaissent ainsi comme objet d’étude qu’autour de 1900, les formes de degré $1$ étaient quant à elles manipulées dès le XVIII-ème siècle. C’est à l’époque qu’étaient apparues, à leur sujet, les premières « conditions d’intégrabilité ». On avait découvert par exemple qu’une forme :

$$A(x,y,z) dx + B(x,y,z) dy + C(x,y,z) dz$$

est « intégrable » (c’est-à-dire égale à la différentielle $df$ d’une fonction $f(x,y,z)$) si et seulement si :

$$\frac{\partial A}{\partial y} - \frac{\partial B}{\partial x} = \frac{\partial A}{\partial z} - \frac{\partial C}{\partial x} = \frac{\partial B}{\partial z} - \frac{\partial C}{\partial y} =0. $$

Nous voyons que Poincaré généralise ce critère aux formes de degré quelconque et à un nombre quelconque de variables. Mais attention, son interprétation de la notion d’intégrabilité n’est pas la même qu’au XVIII-ème siècle, puisque lui manque précisément la notion de différentielle applicable à des formes de degré quelconque. C’est-à-dire, concernant une forme $\omega$ de degré $m$ sur $\mathbb{R}^m$ :

  • il ne peut pas dire qu’elle est intégrable s’il existe une forme $\phi$ de degré $m-1$ telle que $d\phi = \omega$, car il n’a pas dégagé une notion de différentielle $d$ applicable à une forme de degré quelconque ;
  • il peut par contre dire qu’elle est intégrable si $\int_V \omega=0$ pour toute sous-variété orientée et fermée de dimension $m$ de $\mathbb{R}^m$.

Pour les formes de degré $1$, ces deux points de vue existaient déjà et on savait qu’ils étaient équivalents. Ce sont des travaux de Cauchy dans les années 1840 [7] qui avaient mené à envisager ce double point de vue, en permettant d’intepréter la recherche d’une « primitive » $f$ d’une forme $\phi$ de degré $1$ comme un problème de calcul d’intégrale définie. Plus précisément, on suppose donnée la valeur $f(O)$ en un point quelconque de $\mathbb{R}^n$ pris comme origine, et on cherche à définir $f(P)$ en un autre point $P$ par :

$$f(O) + \int_{\gamma} \phi$$

le long d’un chemin $\gamma$ allant de $O$ à $P$. Lorsque $\phi =df$, on a bien :

$$f(P) - f(O) = \int_{\gamma} \phi$$

et cela indépendamment du chemin (différentiable par morceaux) qui joint $O$ à $P$.

Réciproquement, si ces diverses intégrales sont indépendantes du chemin (ce qui revient à dire que l’intégrale de $\phi$ sur toute courbe fermée et orientée est nulle), alors on peut définir $f$ de la manière précédente, et on vérifie qu’il s’agit bien d’une primitive de $\phi$.

Intégrales restreintes à des ouverts de $\mathbb{R}^n$

Pour le moment, les conditions d’intégrabilité (équivalentes donc au fait que $\omega$ est fermée : $d \omega =0$) étaient supposées vérifiées sur $\mathbb{R}^n$ tout entier. Poincaré considère ensuite la situation où elles ne sont vérifiées que sur un ouvert $D$ de $\mathbb{R}^n$.

Bien sûr, il n’avait pas à disposition le langage commode des ouverts et des fermés, qui n’est devenu commun qu’à partir des années 1930 [8]. Mais on reconnait dans sa manière de définir la région $D$ dans laquelle les conditions d’intégrabilité sont supposées remplies un ouvert de $\mathbb{R}^n$, puisque cette région est définie par des inégalités strictes :

$$ - \epsilon < F_{\alpha} < \epsilon, \: \: \varphi_{\beta} > - \epsilon $$

les fonctions $F_{\alpha}$ et $\varphi_{\beta}$ étant au moins continues.

Poincaré énonce ensuite sans preuve ce que nous pouvons reformuler ainsi en langage moderne [9] :

Théorème

Soit $\omega$ une forme différentielle de degré $m$ sur $\mathbb{R}^n$. Si elle est fermée sur l’ouvert $D$ (c’est-à-dire si $d \omega =0$ sur $D$), et que $V'$ est une sous-variété orientée de dimension $m+1$ de $D$, alors $\int_{\partial V'} \omega =0$.

Ici $\partial V'$ désigne le bord (canoniquement orienté) de $V'$. En fait Poincaré parle de la « frontière complète » de $V'$. Comme nous l’avons expliqué dans notre commentaire du §5, cette notion est subtile, et ne doit pas être interprétée exactement comme le bord de $V'$.

Le théorème précédent peut être vu comme une conséquence du théorème dit « de Stokes » :

Théorème

Soit $\omega$ une forme différentielle de degré $m$ sur la variété $M$ de dimension $m+1$. Alors $\int_{\partial M} \omega =\int_M d\omega$.

Poincaré n’énonce pas de théorème analogue, mais seulement sa conséquence formulée plus haut. Cela est un peu étrange étant donné que Volterra avait énoncé dès 1889 un théorème de type Stokes pour des sous-variétés de $\mathbb{R}^n$ de dimension quelconque [10] et qu’il affirmait dès son introduction s’inspirer de l’article de Poincaré sur les résidus des intégrales doubles dont nous avons parlé plus haut.

Nous laissons le lecteur curieux interpréter en termes modernes la manière dont Volterra énonce une formule de Stokes généralisée :


Si formi

$$M_{i_1, i_2 \cdots i_{r+1}} = \sum_{s=1}^{r+1} (-1)^{s-1} \frac{\partial L_{i_1 \cdots i_{s-1} i_{s+1} \cdots i_{r+1}} } {\partial x_{i_s}}.$$

Denotiamo con $S_r$ il contorno di un iperspazio $S_{r+1}$ ad $r+1$ dimensioni aperto ed immerso in $S_n$ ; con $\alpha_{i_1 i_2 \cdots i_{r+1}}$ i coseni di direzione di $S_{r+1}$ e con $\beta_{i_1 i_2 \cdots i_{r}}$ quelli di $S_r$.

La estensione del teorema di STOKES consiste nella formula seguente

$$ \int_{S_{r+1}} \Sigma_i M_{i_1 i_2 \cdots i_{r+1}} \alpha_{i_1 i_2 \cdots i_{r+1}} d S_{r+1} = \int_{S_r} \Sigma_i L_{i_1 i_2 \cdots i_{r}} \beta_{i_1 i_2 \cdots i_{r}} d S_{r}. $$

Revenons à Poincaré. Il énonce ensuite ce que l’on peut reformuler de la manière suivante [11] :

Théorème

Soit $\omega$ une forme différentielle de degré $m$ sur $\mathbb{R}^n$. Si $\omega$ est fermée en restriction à une sous-variété $M$ de $\mathbb{R}^n$ (c’est-à-dire telle que $d \omega|_M =0$), et que $V'$ est une sous-variété orientée de dimension $m+1$ de $M$, alors $\int_{\partial V'} \omega =0$.

Le point important pour Poincaré est qu’en sachant que la variété $V'$ est contenue dans une sous-variété $M$ de $\mathbb{R}^n$, on a moins de « conditions d’intégrabilité » à vérifier (seulement l’annulation des coefficients de $d\omega|_M$ à la place de ceux de $d \omega$) pour être sûrs que l’on a une annulation :

$$\int_{\partial V'} \omega =0.$$

Poincaré pourrait écrire plus concrètement ces conditions en nombre réduit, mais il ne le fait pas, en remarquant juste :


Ces conditions seraient aisées à former, mais cela m’entraînerait trop loin de mon sujet.

Le lien avec les nombres de Betti

Poincaré revient ensuite au cas d’une « intégrale » $\int \omega$ vérifiant les conditions d’intégrabilité sur un ouvert $D$ de $\mathbb{R}^n$. Il énonce que les valeurs qu’elle prend sur les sous-variétés fermées, orientées et de dimension $m$ contenues dans $D$ sont des combinaisons linéaires à coefficients entiers de certaines d’entre elles :


que l’on pourra appeler les périodes de l’intégrale (11).

Cela mena à la définition moderne :

Définition

Si $\omega$ est une forme fermée de degré $m$ sur une variété $M$, alors une période de $\omega$ est la valeur de l’intégrale de $\omega$ sur une sous-variété fermée et orientée de $M$ de dimension $m$.

On a alors le théorème de base, qui découle de la formule de Stokes généralisée :

Théorème

Si $\omega$ est une forme fermée de degré $m$ sur une variété $M$, et que modulo le sous-groupe de torsion les sous-variétés $V_1, ..., V_k$ engendrent $H_m(M, \mathbb{Z})$, alors toute période de $\omega$ est une combinaison linéaire à coefficients dans $\mathbb{Z}$ des périodes $\int_{V_1}\omega, ..., \int_{V_k}\omega$.

Le nombre minimal de générateurs de $H_m(M, \mathbb{Z})$ modulo torsion est par définition le $m$-ème nombre de Betti $B_m$, ce qui montre que l’on peut prendre $k = B_m$ dans l’énoncé précédent. En nous rappelant que Poincaré définit le $m$-ème nombre de Betti $P_m$ de telle manière que (voir nos commentaires du §6) :

$$ P_m = B_m +1,$$

on comprend comment les successeurs arrivèrent à l’énoncé précédent à partir de cette affirmation de Poincaré :


Le nombre maximum des périodes est égal à $P_m -1$ [...]

Après une courte explication de cette affirmation, Poincaré poursuit ainsi :


On pourrait d’ailleurs faire voir qu’il existe toujours des intégrales de la forme (11) pour lesquelles le nombre maximum des périodes est atteint.

Cette phrase est à première vue énigmatique. Que signifie « le nombre maximum de périodes » ? N’est-il pas égal à $B_m$ ? Probablement que Poincaré a en tête la possibilité de réduire encore le nombre de périodes fondamentales, permettant d’exprimer toutes les autres par combinaisons linéaires à coefficients entiers. Ceci est possible dès que l’une d’entre elles est une telle combinaison linéaire des périodes fondamentales restantes. Alors comment être sûrs qu’un tel cas ne se produit pas ? Il suffirait de savoir que ces périodes fondamentales sont rationnellement indépendantes. Mais peut-on trouver une forme fermée $\omega$ ayant cette propriété ?

Vers la cohomologie de de Rham

C’est peut-être en réfléchissant aussi à cette question qu’Elie Cartan fut amené à se demander si on ne pouvait pas obtenir n’importe quel multiplet de nombres réels en intégrant sur une base de $H_m(M, \mathbb{Z})$ modulo torsion, et si les deux points de vue sur les conditions d’intégrabilité discutés précédemment, équivalents pour les formes de degré $1$, ne l’étaient pas en tout degré. Voici en effet ce qu’il conjectura en 1928 [12] :


Si une intégrale de différentielle exacte [de nos jours on dirait fermée] d’ordre $p$, définie dans l’espace clos $\mathcal{E}$, est nulle pour tout domaine d’intégration fermé à $p$ dimensions, elle résulte, par application de la formule de Stokes généralisée, d’une intégrale multiple d’ordre $p-1$ (définie et régulière dans tout l’espace).

Si l’on considère $h$ variétés fermées à $p$ dimensions entre lesquelles n’existe aucune homologie, il existe $h$ intégrales de différentielles exactes telles que le tableau carré des valeurs de ces intégrales étendues aux $h$ variétés ait un déterminant différent de zéro.

Peu après, de Rham démontra ces conjectures dans sa thèse [13]. Lorsque des groupes de cohomologie furent définis vers 1935, apparut le cadre de pensée permettant d’aboutir à la formulation suivante du théorème de de Rham :

Théorème

Soit $M$ une variété fermée et $m$ un entier compris entre $0$ et la dimension de $M$. Notons par $H_{DR}^m(M, \mathbb{R})$ le $m$-ème groupe de cohomologie de de Rham, quotient de l’espace vectoriel des formes fermées de degré $m$ sur $M$ par le sous-espaces des formes exactes. Alors la forme bilinéaire canonique

$$H_{DR}^m(M, \mathbb{R}) \times H_m(M, \mathbb{R}) \longrightarrow \mathbb{R}$$

donnée par l’intégration d’une forme sur un cycle est non-dégénérée.

Pourquoi Poincaré n’a pas formulé dans son langage, au moins de manière conjecturale, le théorème de de Rham ? Probablement parce qu’il n’avait pas dégagé l’opération de différentiation extérieure. Il a néanmoins permis au lecteur attentif Elie Cartan de formuler des conjectures moins sybillines que l’affirmation concernant le « nombre maximum de périodes ».

Poincaré conclut cette section en mentionnant qu’il a eu un précurseur en Betti dans l’examen des liens entre homologie des cycles et intégration multiple :


Cette manière de faire comprendre la définition des nombres de Betti a été employée par Betti lui-même pour le premier et le dernier de ces nombres, c’est à dire pour $P_1$ et $P_{m-1}$ ; mais nous venons de voir qu’il est aisé de faire de même pour les autres nombres de Betti.

Pour d’autres informations sur le travail de Betti auquel Poincaré fait ici allusion, on pourra consulter notre commentaire historique « Les discussions entre Riemann et Betti sur l’Analysis Situs ».


[1Il s’agit de « Méthodes de calcul différentiel absolu et leurs applications », Mathematische Annalen 54 (1900), 125-201.

[2Dans l’article « Sur certaines expressions différentielles et sur le problème de Pfaff. » Annales E.N.S. 16 (1899), 239-332. Repris dans « Œuvres Complètes. » Partie II, Vol. 1, 303-397.

[3Pour des renseignements historiques à ce sujet, on pourra consulter le Chapitre III du livre « A history of algebraic and differential topology » de Dieudonné, paru en 1989 chez Birkhäuser, ainsi que l’article « Fibre bundles, fibre maps » de Zisman, pages 605-629 de la somme « History of topology » éditée par James, North-Holland, Elsevier, 1999.

[4Il s’agit de « Sur les résidus des intégrales doubles. » Acta Math. 9 (1887), 321-380.

[5Dans son article cité précédemment.

[6Dans l’article « Sur l’intégration de certains systèmes de Pfaff de caractère deux. » Bull. Soc. Math. France 29 (1901), 233-302. Repris dans Œuvres Complètes. Partie II, Vol. 1, 483-554.

[7L’un des premiers semblant être « Sur les intégrales qui s’étendent à tous les points d’une courbe fermée. » C. R. Acad. Sci. 23 (1846), 251-255.

[8On pourra consulter à ce sujet l’article « The emergence of open sets, closed sets, and limit points in analysis and topology ». Historia Mathematica 35 (2008), 220-241, de Gregory H. Moore.

[9Notons au passage qu’il y a une erreur de notation dans l’article de Poincaré : lorsqu’il dit que $V'$ fait partie de $V$, il faut comprendre $D$ à la place de $V$. De même pour sa précision « le nombre $m+1$ doit donc être inférieur ou au plus égal au nombre des dimensions de $V$ ».

[10À la page 407 de l’article « Delle variabili complesse negli iperspazi ». Rend. Accad. dei Lincei Ser. IV 5 (1889), 158-165. Repris dans « Opere » 1, 403-410.

[11C’est nous qui introduisons la notation $M$. Poincaré a ici aussi un problème de notations, en utilisant à la place la lettre $V$, ce qui produit des confusions avec le début de la section.

[12Dans « Sur les nombres de Betti des espaces de groupes clos. » C.R. Acad. Sci. Paris 187 (1928), 196-198. Repris dans « Œuvres Complètes. » Partie I, Vol. 2, Gauthier-Villars, 1952, 999-1001.

[13Cette thèse fut publiée sous forme de l’article « Sur l’analysis situs des variétés à $n$ dimensions. » J. Math. Pures Appl. (9) 10 (1931), 115-200. Auparavant, il avait annoncé ses résultats au sujet des conjectures de Cartan dans « Intégrales multiples et analysis situs. » C. R. Acad. Sci. Paris 188 (1929), 1651-1652. Pour des détails sur le contexte historique des travaux de Cartan et de Rham, on pourra consulter l’article « Cartan, Lebesgue, de Rham et l’analysis situs dans les années 1920. Scènes de la vie parisienne » de Michèle Audin, paru dans la Gazette des Mathématiciens 134 (2012), 49-75.