> Commentaires des textes originaux > Commentaires du premier complément > Commentaires sur le §X du premier complément

Nous présentons sur cette page nos commentaires sur une section des Œuvres Originales de Poincaré : le paragraphe que nous commentons est accessible par ici.

Commentaires sur le §X du premier complément

Poincaré donne ici une nouvelle démonstration du fait, prouvé dans le §VII, que les nombres de Betti (réduits) associés à un polyèdre $P$ de dimension $3$ triangulant une variété $M$ et à son polyèdre dual $P^*$ sont identiques. Dans le paragraphe VII, ce résultat est démontré en utilisant le fait géométrique que les cellules de $P^*$ forment bien une cellulation (polyédrale) de $M$, cf. commentaires du §VII.

La démonstration que présente Poincaré dans ce chapitre, qu’il qualifie d’arithmétique ne se base que sur la combinatoire des relations d’incidence et le fait que $P$, vu comme complexe simplicial « abstrait », est connexe et vérifie, pour tout sommet $p$, les relations suivantes [1]

$$\alpha_0^p- \alpha_1^p +\alpha_2^p = \beta_0^p -\beta_1^p +\beta_2^p=2$$

où les $\alpha_i^\bullet$, $\beta_j^\bullet$ désignent respectivement les faces adjacentes à une même case de $P$, les faces contenant un même sommet $p$ de son dual $P^*$.

Cette condition est évidemment vérifiée lorsque $P$ munit $M$ d’une structure $PL$. Le point remarquable noté par Poincaré est qu’il suffit de cette condition au niveau du polyèdre pour démontrer l’égalité des nombres de Betti. Essentiellement, sa démonstration utilise seulement que le link de chaque sommet a la même homologie qu’une sphère. Il en déduit que le théorème reste vrai pour des complexes simpliciaux de ce type, donnant ici une indication de la future généralisation de la dualité de Poincaré aux variétés homologiques [2] On renvoie aux commentaires du cinquième complément pour plus de détails. Cela dit, même s’il démontre ce résultat, à ce stade d’analysis situs, Poincaré pense qu’il n’existe pas de sphères d’homologie qui ne soit pas une « vraie » sphère.

La méthode de Poincaré

La technique employée par Poincaré est proche de celle utilisée dans le § 3 du premier complément. Ce qu’énonce précisément Poincaré est le lemme ci-dessous qu’il agrémente des idées de la démonstration élémentaire du § 7.

Soit $P$ un polyèdre et $P^*$ son dual. On note $b_i^\bullet$ les cellules de $P^*$ et $a_j^\bullet$ les cellules de $P$ de sorte que $b_i^\ell$ est la cellule associée à $a_i^{3-\ell}$. On notera $a_m^0b_n^0$ une arête reliant les sommets $a_m^0$, $b_n^0$ pourvu qu’ils soient dans une même face.

Lemme Toutes les homologies contenant des arêtes de $P$ et de $P^*$ sont des combinaisons linéaires des homologies :

$$b_i^1\sim a_k^0b_j^0 -a_k^0b_h^0 \quad\mbox{ et }$$

$$ a_i^1 \sim b_k^0 a_j^0 -b_k^0 a_h^0$$

où $b_k^0$ est un sommet de $b_i^2$ et $a_k^0$ est un sommet de $a_i^2$.

La preuve consiste essentiellement à remarquer que les bords des faces de toutes $3$-cellules de $P$ ou $P^*$ s’expriment comme de telles combinaisons linéaires du second (respectivement premier) type.

Pour démontrer l’équivalence des nombres de Betti réduits $\beta_1(P) =\beta_1(P^*)$ (et la fin du lemme tel qu’il est énoncé), il suffit donc de montrer que l’on peut passer de tout $1$-cycle de $P$ à un $1$-cycle de $P^*$ en utilisant les homologies du Lemme (le sens réciproque se démontrera de même).
L’idée est de découper tout $1$-cycle de $P$ en une somme de chemin

$$ \dots a_h^0) (a_h^0\dots a_i^0)(a_i^0\dots a_j^0)(a_j^0\dots... $$

où chaque bloc $(a_h^0\dots a_i^0)$ est une suite d’arêtes (décrites par lerus extrémités) vivant dans une même case $a_\ell^3$.

En utilisant que l’homologie du link d’un sommet de $P^*$ est une $2$-sphère, on démontre comme dans la démonstration de la surjectivité du §5 du premier complément, que toute chaîne $(a_h^0\dots a_i^0)$ est homologue, par une suite d’homologie comme dans le lemme ci-dessus, à la chaîne $(a_h^0b_\ell^0a_i^0)$ où on rappelle que $b_\ell^0$ est le sommet de $P^*$ associé à la case $a_\ell^3$.
Par suite on peut réécrire les chaînes sous la forme

$$ \dots b_k^0) (b_\ell^0 a_i^0 b_{m}^0)(b_m^0 a_k^0 b_n^0)(b_n^0\dots... $$

Toujours pour les mêmes raisons, on peut réécrire, en utilisant les homologies du lemme ci-dessus, $(b_\ell^0 a_i^0b_{m}^0)$ comme une somme de chaînes de support dans la $3$-cellule $b_i^0$ associée à $a_i^0$.
On obtient finalement un cycle

$$ \dots b_k^0) (b_\ell^0 \dots b_{m}^0)(b_m^0 \dots b_n^0)(b_n^0\dots... $$

dans $P^*$.
C.Q.F.D.

Par ailleurs, les conditions de connexité et en terme de caractéristique d’Euler-Poincaré, énoncées par Poincaré ne sont suffisantes qu’en dimension 3. On pourrait cependant obtenir le résultat suivant

Proposition

Soit $P$ un complexe simplicial et $P^*$ son complexe polyédral dual. Si le link de tous les simplexes de $P^*$ sont des sphères d’homologie, alors $H_i(P^*)\cong H_i(P)$ pour tout entier $i$.

Ébauche de preuve : avec les hypothèses proposées, les $i$-cellules de $P^*$ forment des espaces polyédraux dont le bord est homologue à une sphère. En prenant les étoiles des sommets de $P^*$, on obtient une décomposition de $P$ en « cellules » homologiques (c’est à dire des espaces topologiques qui ont l’homologie d’un espace contractible) qui sont des polyèdres. En particulier, on peut définir un opérateur de bord comme pour les CW-complexes ou les complexes polyédraux. Il suffit alors d’adapter la preuve du théorème de comparaison de l’homologie singulière avec l’homologie simpliciale à ce cadre en utilisant que l’homologie relative de cette décomposition polyédrale est bien donnée par des bouquets de sphère par hypothèse.
C.Q.F.D.


[1on notera la coquille dans la formule de Poincaré

[2c’est à dire les variétés dont le link est une sphère d’homologie