> Triangulation des variétés > Classification des surfaces triangulées par réduction à une forme (...) Classification des surfaces triangulées par réduction à une forme normale |
Toute variété — et donc en particulier toute surface — lisse admet une triangulation lisse. [1] Dans cet article on montre que toute surface triangulée compacte orientable est homéomorphe à la somme connexe de $g$ tores. On montre donc le théorème suivant. [2]
Toute surface (lisse) compacte orientable est homéomorphe à la sphère $\mathbb{S}^2$ ou à la somme connexe de $g$ tores ($g \geq 1$).
La démonstration en quelques mots et deux animations
Partons d’une surface topologique compacte orientable triangulée. Dans l’animation suivante on commence par séparer tous les triangles. On les étale ensuite sur un plan comme les pièces d’un gigantesque puzzle. On peut alors énumérer ces pièces/triangles de telle manière que chaque triangle ait une arête en commun avec son successeur. En recollant par récurrence ces triangles, on obtient donc un polygone avec un nombre pair de côtés deux à deux identifiés. L’orientation de la surface définit un sens de parcours du bord ; en énumérant dans l’ordre les arêtes (sur lesquelles on aura choisi une fois pour toutes une orientation) représentées par les côtés du polygone, on obtient un symbole de type $abcb^{-1}da^{-1} \cdots$ où chaque lettre apparaît une fois sans exposant (lorsque l’orientation de l’arête coïncide avec celle du polygone) et une fois avec exposant $-1$. [3] La deuxième partie de l’animation montre comment modifier ce polygone (sans changer la surface) pour le mettre sous forme normale, c’es-à-dire sous la forme
$$a_1b_1a_1^{-1} b_1^{-1} \cdots a_g b_g a_{g}^{-1} b_g^{-1}$$
pour un certain $g \geq 1$ ou $aa^{-1}$ si $g=0$.
Dans l’animation ci-dessus, la forme normale à laquelle on arrive est un polygone à 12 côtés. L’animation qui suit montre finalement que la surface associée est bien la somme connexe de 3 tores.
Revenons maintenant sur la réduction à une forme normale. Elle comporte deux étapes :
- on se ramène à un polygone dont tous les sommets sont identifiés en contractant certaines arêtes, puis
- on se ramène à une forme normale par découpage puis collage.
1ère étape : vers un polygone dont tous les sommets sont identifiés
Appliquons la démonstration esquissée ci-dessus à une triangulation du tore avec beaucoup de triangles. Ces petits triangles recollés dans le plan donnent un polygone avec un grand nombre (pair) de côtés. L’animation suivante explique pourquoi toute paire d’arêtes dont les deux extrémités sont distinctes au quotient peut être écrasée.
Une fois que l’on ne peut plus écraser d’arêtes, on est ramené à un polygone dont tous les sommets sont identifiés au quotient (un carré dans l’animation précédente) ou à un bigone, comme dans l’animation suivante, qui part, cette fois, d’une triangulation de la sphère.
Puisqu’au bigone est associé la sphère, on peut supposer, à l’issue de cette première étape, que tous les sommets du polygone obtenu en recollant tous les petits triangles sont identifiés au quotient. L’animation suivante illustre encore une fois cette première étape, en partant d’une surface de genre 2 triangulée.
Le polygone obtenu à l’issu de cette première étape est là encore sous forme normale et l’animation ci-dessous montre bien que la surface obtenue est somme connexe de deux tores.
Les deux animations suivantes permettent de visualiser d’une autre manière que le recollement d’un $4g$-gone sous forme normale donne une surface à $g$ anses ou somme connexe de $g$ tores.
$$ $$
Toutefois, comme le montre la toute première animation, en général une deuxième étape est nécessaire pour mettre le polygone sous forme normale.
2ème étape : découpage et collage
À l’issue de la première étape tous les sommets du polygone sont donc identifiés au quotient. Mais dans la surface quotient le point image de ces sommets ne disconnecte pas la surface. Il s’en suit que si $a$ est un côté quelconque du polygone, alors il existe un autre côté $b$ tel que $a$ et $b$ apparaissent (à permutation circulaire près) dans l’ordre
$$a \cdots b \cdots a^{-1} \cdots b^{-1}~.$$
On dit qu’ils sont enchaînés.
À l’issue de la première étape de la toute première animation que l’on reproduit ci-dessous, les côtés blancs et bleus sont enchaînés mais ne se suivent pas. L’animation montre ensuite que deux couper-coller le long des côtés blanc et bleu font surgir des côtés (vert et bleu clair) enchaînés et qui se suivent. En itérant le processus on arrive finalement à un polygone sous forme normale, et le théorème est démontré.
C.Q.F.D.
Groupe fondamental, genre, caractéristique d’Euler
Le groupe fondamental de la surface associé à un $4g$-gone sous forme normale admet la présentation suivante :
$$\langle a_1 , b_1 , \ldots , a_g , b_g \; | \; a_1b_1a_1^{-1} b_1^{-1} \cdots a_g b_g a_g^{-1} b_g^{-1} \rangle.$$
Son abélianisé est libre de rang $2g$. En particulier si $g \neq g'$ les surfaces correspondantes ne sont pas homéomorphes. L’entier $g$ est donc uniquement déterminé par la surface (topologique) ; on l’appelle le genre de la surface.
Les différentes animations ci-dessus illustrent bien la proposition suivante, dont nous laissons la démonstration en exercice. [4]
Considérons une surface triangulée et notons $S$, $A$ et $F$ le nombre de sommets, arêtes et triangles de la triangulation. La caractéristique d’Euler
$$\chi = S-A+F$$
est indépendante du choix de la triangulation. On a $\chi = 2-2g$, où $g$ est le genre de la surface.
Notez que le genre $g$ est égal à la moitié du rang du premier groupe d’homologie de la surface, ou encore au nombre maximum de courbes simples fermées 2 à 2 disjointes tracées sur la surface et indépendantes en homologie.
[1] Un théorème de Radò affirme même que toute surface topologique admet une triangulation.
[2] On en donne ici une démonstration alternative par la théorie de Morse.
[3] Des deux triangles bordant une arête, un exactement a une orientation compatible avec celle de l’arête.
[4] Il s’agit de vérifier que les mouvements effectués lors des deux étapes ci-dessus ne change pas la caractéristique d’Euler.