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Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Vous pouvez retrouver nos commentaires par ici.

§ 14. Conditions de l’homéomorphisme

On sait que deux variétés fermées à deux dimensions qui ont même nombre de Betti sont homéomorphes. C’est ce qui résulte, par exemple, de l’étude des périodes des fonctions abéliennes. Considérons une surface de Riemann $R$ et soit $z$ la variable imaginaire correspondante ; on pourra introduire une variable imaginaire nouvelle $t$, telle que $z$ soit une fonction fuchsienne de $t$ et que $t$, considéré comme fonction de $z$, n’ait aucun point singulier sur la surface $R$. Tous les groupes fuchsiens correspondant à diverses surfaces de Riemann ayant même ordre de connexion seront isomorphes.

Ce groupe fuchsien ne sera, d’ailleurs, évidemment autre que le groupe fondamental $g$, relatif à la surface $R$ considérée comme une variété à deux dimensions.

On remarquera que tous les groupes fuchsiens ne sont pas susceptibles de définir ainsi une variété fermée à deux dimensions. Considérons le polygone fuchsien fondamental $R_0$ auquel, si la fonction fuchsienne existe dans tout le plan, il faudra ajoindre [1] son symétrique $R'_0$ par rapport à l’axe des quantités réelles ; mais alors le domaine $R_0 + R'_0$ ne sera plus toujours simplement connexe. A chaque point de la variété fermée $V$ devrait correspondre un point de $R_0$ (ou de $R_0 + R'_0$) et un seul, et réciproquement. Supposons qu’il existe un ou plusieurs cycles de sommets et que la somme des angles de ce cycle soit zéro ou $\frac{2\pi}{n}$, $n$ étant un entier plus grand que $1$ ; soit alors $M$ le point de $V$ qui correspond à ce cycle de sommets et envisageons un lacet infiniment petit enveloppant $M$. D’après la définition du groupe $g$, à ce lacet doit correspondre, dans le groupe $g$, la substitution identique et, dans le groupe fuchsien, une substitution non identique. Le groupe fuchsien ne peut donc être isomorphe à $g$.

Restent alors les groupes fuchsiens de la première famille tels que la somme des angles d’un cycle quelconque soit $2\pi$, et ceux de la troisième famille. Mais ceux-ci doivent également être rejetés. En effet, si le groupe est de la troisième famille, le domaine $R_0 + R'_0$ n’est plus simplement connexe. Soit $C$ un contour fermé tracé dans ce domaine et tel que l’on n’ait pas

$$c \sim 0.$$

A ce contour correspondra, dans le groupe fuchsien, une substitution identique (puisque la variable $z$ sera revenue à son point de départ) et, dans le groupe $g$, une substitution non identique. Ici encore, le groupe fuchsien ne peut être isomorphe à $g$.

Il ne reste donc que les groupes de la première famille et tels que la somme des angles de chaque cycle soit égale à $2\pi$.

Tous ceux de ces groupes qui sont du même genre sont isomorphes entre eux, et c’est pour cette raison que toutes les variétés fermées à deux dimensions qui ont même nombre de Betti sont homéomorphes.

En est-il de même quand le nombre de dimensions est plus grand ; deux variétés fermées à $h$ dimensions ($h>2$) qui ont mêmes nombres de Betti sont-elles homéomorphes ?

Nous allons voir que non et c’est ce qui nous fait voir combien les questions d’Analysis situs se compliquent quand le nombre des dimensions s’accroît.

Il est clair d’abord que, si deux variétés sont homéomorphes, leurs groupes $g$ seront isomorphes.

Revenons maintenant à notre sixième exemple et recherchons si deux groupes $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$ peuvent être isomorphes.

Soient $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$ et $(\alpha',\beta',\gamma',\delta')$ ces deux groupes ; soient $C_1$, $C_2$, $C_3$ ; $C'_1$, $C'_2$, $C'_3$ les trois contours fondamentaux de chacun de ces groupes ;

$$ \tag{1} \begin{cases} \begin{array}{rcl} C_1 + C_2 & \equiv & C_2 + C_1,\\ C_1 + C_3 & \equiv & C_3 + \alpha C_1 + \gamma C_2,\\ C_2 + C_3 & \equiv & C_3 + \beta C_1 + \delta C_2.\\ \end{array} \end{cases} $$

$$ \tag{1bis} \begin{cases} \begin{array}{rcl} C'_1 + C'_2 & \equiv & C'_2 + C'_1,\\ C'_1 + C'_3 & \equiv & C'_3 + \alpha' C'_1 + \gamma' C'_2,\\ C'_2 + C'_3 & \equiv & C'_3 + \beta' C'_1 + \delta' C'_2,\\ \end{array} \end{cases} $$

les équivalences fondamentales des deux groupes.

Supposons les deux groupes isomorphes et soient

$$ \begin{array}{c} a_3 C_3 + a_1 C_1 + a_2 C_2,\\ b_3 C_3 + b_1 C_1 + b_2 C_2,\\ c_3 C_3 + c_1 C_1 + c_2 C_2,\\ \end{array} $$

les contours du premier groupe qui correspondent respectivement aux contours $C'_1$, $C'_2$, $C'_3$ du second groupe ; les $a$, les $b$ et les $c$ sont des entiers ; nous avons vu en effet, plus haut, que tout contour du premier groupe peut se mettre sous cette forme.

Pour que l’isomorphisme ait lieu, il faut qu’en substituant, dans les équivalences (1bis), $a_3 C_3 + a_1 C_1 + a_2 C_2 + \cdots$ [2] à la place de $C'_1$, $C'_2$, $C'_3$, on retrouve les équivalences (1).

Il faut donc d’abord que les substitutions (que je désigne par les mêmes signes que les contours correspondants)

$$ \begin{array}{c} a_3 C_3 + a_1 C_1 + a_2 C_2,\\ b_3 C_3 + b_1 C_1 + b_2 C_2,\\ \end{array} $$

soient permutables. Pour simplifier l’écriture, je vais employer la notation suivante :

Je poserai

$$a_3 = h, \qquad b_3 = k, \qquad a_1 C_1 + a_2 C_2 = S_0 ; \qquad b_1 C_1 + b_2 C_2 = T_0,$$

de sorte que nos deux premières substitutions se réduisent à $h C_3 + S_0$, $k C_3 + T_0$.

Je désignerai par $S_1$ ce que devient $S_0$ quand on y fait subir aux coefficients la substitution linéaire $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$, c’est-à-dire quand on remplace $a_1$ et $a_2$ par

$$\alpha a_1 + \beta a_2 \quad \textrm{et} \quad \gamma a_1 + \delta a_2.$$

$S_2$ sera ce que devient $S_1$, quand on fait subir à ses coefficients la même substitution et ainsi de suite ; de même, $T_1$, $T_2, \ldots$ seront les transformés successifs de $T_0$.

Cela posé, on aura, en vertu des équivalences (1)

$$S_0 + h C_3 \equiv h C_3 + S_h.$$

Pour que nos substitutions soient permutables, il faut donc que

$$h C_3 + S_0 + k C_3 + T_0 \equiv k C_3 + T_0 + h C_3 + S_0$$

ou

$$(k+h) C_3 + S_k + T_0 \equiv (k+h) C_3 + T_h + S_0$$

ou [3]

$$ \tag{λ} S_k + T_0 \equiv T_h + S_0, $$

Supposons d’abord que $h$ soit égal à $k$ et différent de 0 ; l’équivalence précédente pourra être remplacée par les égalités

$$(\alpha_h-1)(a_1 - b_1) + \beta_h (a_2 - b_2) = 0,$$

$$\gamma_h (a_1 - b_1) + (\delta_h-1)(a_2 - b_2) = 0,$$

où j’ai désigné par

$$\left| \begin{array}{cc} \alpha_h & \beta_h\\ \gamma_h & \delta_a \end{array} \right|$$

les coefficients de la puissance $h^{\textrm{ième}}$ de la substitution linéaire

$$\left| \begin{array}{cc} \alpha & \beta\\ \gamma & \delta \end{array} \right|$$

Ces égalités peuvent être satisfaites de deux manières :

  1. Ou bien si

    $$a_1 = b_1, \qquad a_2 = b_2,$$

auquel cas les deux substitutions

$$h C_3 + S_0, \quad k C_3 + T_0$$

seraient identiques ;

  1. Ou bien si le déterminant

    $$\left| \begin{array}{cc} \alpha_h -1 & \beta_h\\ \gamma_h & \delta_h -1 \end{array} \right|$$

est nul. Mais cela ne peut arriver que si l’on a

$$s^h = 1,$$

$s$ étant une des racines de l’équation

$$\tag{2} \left| \begin{array}{cc} \alpha -s & \beta\\ \gamma & \delta -s \end{array} \right| = 0, $$

c’est-à-dire si la substitution $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$ est elliptique ; ce qui veut dire que les racines de l’équation (2) en $s$ sont imaginaires (dans l’espèce, elles doivent être égales à une racine $h^{\textrm{ième}}$ de l’unité) ou parabolique, ce qui veut dire que les racines de l’équation (2) sont égales.

Supposons donc que $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$ soit hyperbolique, c’est-à-dire que les racines de l’équation en $s$ soient réelles ; et ne supposons plus $h=k$.

Alors la puissance $k^{\textrm{ième}}$ de

$$h C_3 + S_0$$

et la puissance $h^{\textrm{ième}}$ de

$$k C_3 + T_0$$

devront être permutables ; soient

$$h' C_3 + S'_0,$$

$$k' C_3 + T'_0$$

ces deux puissances ; comme on aura

$$h'=k'=hk,$$

ces deux puissances, d’après ce qui précède, devraient être identiques. Dans le groupe $(\alpha',\beta',\gamma',\delta')$ supposé isomorphe, la puissance $k^{\textrm{ième}}$ de $C'_1$ devrait être identique à la puissance $h^{\textrm{ième}}$ de $C'_2$. Comme il ne saurait en être ainsi, on devra avoir

$$h = k =0,$$

c’est-à-dire

$$a_3 = b_3 = 0.$$

Passons au cas des substitutions elliptiques auxquelles nous assimilerons la substitution

$$\left| \begin{array}{cc} -1 & 0\\ 0 & -1 \end{array} \right|.$$

Alors le déterminant

$$\left| \begin{array}{cc} \alpha_h -1 & \beta_h\\ \gamma_h & \delta_h -1 \end{array} \right|$$

peut s’annuler pour une certaine valeur de $h$ que j’appelle $\nu$.

Mais alors la substitution

$$\left| \begin{array}{cc} \alpha_{\nu} & \beta_{\nu}\\ \gamma_{\nu} & \delta_{\nu} \end{array} \right|$$

se réduit à la substitution identique, c’est-à-dire que l’on a

$$\alpha_{\nu} = \delta_{\nu} = 1, \qquad \beta_{\nu} = \gamma_{\nu} = 0.$$

Alors il arrive d’abord que $\nu C_3$ est permutable à $C_1$ et à $C_2$ et plus généralement que deux substitutions

$$ \begin{array}{c} a_3 C_3 + a_1 C_1 + a_2 C_2,\\ b_3 C_3 + b_1 C_1 + b_2 C_2,\\ \end{array} $$

sont permutables, pourvu que $a_3$ et $b_3$ soient divisibles par $\nu$. Cette condition suffisante est d’ailleurs nécessaire, en excluant, comme nous l’avons fait plus haut, le cas où deux puissances de nos deux substitutions seraient identiques.

Pour le démontrer, je vais encore employer une notation plus abrégée ; le symbole

$$m_1 C_1 + m_2 C_2$$

n’a de sens que si $m_1$ et $m_2$ sont entiers ; mais le suivant

$$\mu (a'_1 C_1 + a'_2 C_2) + \rho (b'_1 C_1 + b'_2 C_2)$$

peut avoir un sens alors même que $\mu, \rho$, les $a'$ et les $b'$ ne sont pas entiers, pourvu que

$$\mu a'_1 + \rho b'_1, \quad \mu a'_2 + \rho b'_2$$

soient entiers. Il est évident que ce qui nous permet d’agir ainsi, c’est que $C_1$ et $C_2$ sont permutables, [4]

Choisissons alors

$$ \begin{array}{rcl} \xi_0 & = & a'_1 C_1 + a'_2 C_2,\\ \eta_0 & = & b'_1 C_1 + b'_2 C_2,\\ \end{array} $$

de telle sorte que

$$\xi_1 = \xi_0 s, \qquad \eta_1 = \eta_0 s^{-1} ;$$

$\xi_1$ et $\eta_1$ sont, d’après nos conventions, les transformées de $\xi_0$ et $\eta_0$ par la substitution linéaire $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$ ; $s$ est une des racines de l’équation (2). D’après la théorie des substitutions linéaires, on peut toujours choisir les nombres $a'$ et $b'$ (qui seront généralement irrationnels et même imaginaires) de façon qu’il en soit ainsi ; posons alors

$$S_0 = \mu \xi_0 + \rho \eta_0, \qquad T_0 = \mu' \xi_0 + \rho' \eta_0.$$

On aura

$$\mu \xi_0 + \rho \eta_0 + h C_3 \equiv h C_3 + \mu s^h \xi_0 + \rho s^{-h} \eta_0$$

et

$$k(h C_3 + \mu \xi_0 + \rho \eta_0) \equiv kh C_3 + \mu \frac{s^{kh}-1}{s^h-1} \xi_0 + \rho \frac{s^{-kh}-1}{s^{-h}-1} \eta.$$

Cela posé, l’équivalence ($\lambda$) peut s’écrire

$$ \begin{array}{rcl} \mu (s^k-1) & = & \mu' (s^h-1),\\ \rho (s^{-k}-1)& = & \rho' (s^{-h}-1).\\ \end{array} $$

Si $k$ et $h$ ne sont pas divisibles par $\nu$, ces solutions ne sont pas satisfaites identiquement et nous pourrons poser

$$\mu = (s^h-1)\epsilon, \qquad \mu' = (s^k-1)\epsilon, \qquad \rho = (s^{-h}-1)\zeta, \qquad \rho'=(s^{-k}-1)\zeta.$$

Mais alors

$$ \begin{array}{rcl} k(h C_3 + S_0) & \equiv & kh C_3 + \epsilon (s^{kh}-1) \xi_0 + \zeta (s^{-kh}-1) \eta_0,\\ h(k C_3 + T_0) & \equiv & kh C_3 + \epsilon (s^{kh}-1) \xi_0 + \zeta (s^{-kh}-1) \eta_0\\ \end{array} $$

ce qui montre que la puissance $k^{\textrm{ième}}$ de notre première substitution est identique à la puissance $h^{\textrm{ième}}$ de la seconde. Comme nous excluons ce cas, nous concluons que l’on doit avoir

$$a_3 \equiv b_3 \equiv 0 \qquad (\textrm{mod}\ \nu).$$

Mais on peut aller plus loin ; d’abord si nous appelons $C'_1$ et $C'_2$ nos deux premières substitutions, nous pouvons les remplacer par

$$\omega_1 C'_1 + \omega_2 C'_2, \qquad \omega'_1 C'_1 + \omega'_2 C'_2,$$

les $\omega$ étant des entiers tels que $\omega_1 \omega'_2 - \omega_2 \omega'_1 = 1$. Nous pouvons donc toujours supposer que $b_3 = 0$ (sans quoi l’on remplacerait $C'_1$ et $C'_2$ par $\omega_1 C'_1 + \omega_2 C'_2$ et $\omega'_1 C'_1 + \omega'_2 C'_2$ en choisissant les $\omega$ de façon à annuler le nouveau $b_3$).

Mais le sous-groupe dérivé de $C'_1$ et de $C'_2$, à cause de l’isomorphisme avec $(\alpha',\beta',\gamma',\delta')$, doit être permutable à toutes les substitutions du groupe et, en particulier, à $C_3$.

Ecrivons donc que la substitution

$$-C_3 + C'_2 + C_3$$

fait partie du sous-groupe dérivé de $C'_1$ et de $C'_2$. Nous avons

$$ \begin{array}{rcl} C'_2 & = & \mu' \xi_0 + \rho' \eta_0,\\ -C_3 + C'_2 + C_3 & = & \mu' s \xi_0 + \rho' s^{-1} \eta_0.\\ \end{array} $$

Pour que cette seconde substitution fasse partie de son groupe, il faut, si $a_3$ n’est pas nul, que cette dernière substitution soit un multiple de $C'_2$.

Or, cela ne peut évidemment avoir lieu que si $s = s^{-1} = -1.$

Si on laisse ce cas de côté, on devra avoir

$$a_3 = b_3 = 0.$$

Si donc nous laissons de côté le cas où

$$\alpha + \delta = \pm 2$$

[substitutions paraboliques et substitution $(-1,0,0,-1)$], nous devrons avoir

$$a_3 = b_3 = 0.$$

J’ajoute que $c_3$ devra être égal à 1, sans quoi les combinaisons des trois substitutions fondamentales

$$ \begin{array}{rcl} a_1 C_1 + a_2 C_2 & \equiv & C'_1,\\ b_1 C_1 + b_2 C_2 & \equiv & C'_2,\\ c_3 C_3 + c_1 C_1 + c_2 C_2 & \equiv & C'_3,\\ \end{array} $$

ne pourraient pas reproduire toutes les substitutions

$$m_3 C_3 + m_1 C_1 + m_2 C_2$$

du groupe $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$, mais seulement celles où l’entier $m_3$ serait divisible par $c_3$.

Maintenant toute substitution du groupe $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$, doit pouvoir être mise sous la forme

$$m_3 C'_3 + m_1 C'_1 + m_2 C'_2.$$

Pour que $C_1$ puisse être mis sous la forme, il faut d’abord que $m_3$ soit nul ; et ensuite que l’on ait identiquement

$$C_1 = m_1 (a_1 C_1 + a_2 C_2) + m_2 (b_1 C_1 + b_2 C_2)$$

et, de même,

$$C_2 = m'_1 (a_1 C_1 + a_2 C_2) + m'_2 (b_1 C_1 + b_2 C_2).$$

Comme les $m$ et les $m'$ sont entiers, j’en conclurai que le déterminant

$$a_1 b_2 - a_2 b_1 = 1.$$

Mais j’ai dit plus haut que l’on pouvait remplacer $C'_1$ et $C'_2$ par

$$\omega_1 C'_1 + \omega_2 C'_2, \quad \omega'_1 C'_1 + \omega'_2 C'_2.$$

Si $a_1 b_2 - a_2 b_1$ est égal à 1, nous pourrons choisir les $\omega$ de telle façon que

$$\omega_1 C'_1 + \omega_2 C'_2 = C_1, \qquad \omega'_1 C'_1 + \omega'_2 C'_2 = C_2,$$

c’est-à-dire que nous pourrons toujours supposer

$$a_1 = b_2 = 1, \qquad a_2 = b_1 = 0.$$

Mais alors l’équivalence (1bis)

$$C'_1 + C'_3 \equiv C'_3 + \alpha' C'_1 + \gamma' C'_2$$

devient

$$C_1 + C_3 \equiv C_3 + \alpha' C_1 + \gamma' C_2,$$

d’où

$$\alpha = \alpha', \qquad \gamma = \gamma' ;$$

on trouverait, de même,

$$\beta = \beta', \qquad \delta = \delta'.$$

Nous devons donc conclure que les deux groupes $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$ et $(\alpha', \beta', \gamma', \delta')$ ne peuvent être isomorphes que si l’on peut passer de l’un à l’autre en changeant $C'_1$ et $C'_2$ en

$$\omega_1 C'_1 + \omega_2 C'_2, \quad \omega'_1 C'_1 + \omega'_2 C'_2.$$

Cela peut s’énoncer d’une autre manière.

Soit

$$S=\left| \begin{array}{cc} \alpha & \beta\\ \gamma & \delta \end{array} \right|$$

une substitution linéaire à coefficients entiers et telle que

$$\alpha \delta - \beta \gamma = 1.$$

Soit

$$T=\left| \begin{array}{cc} \omega_1 & \omega_2\\ \omega'_1 & \omega'_2 \end{array} \right|$$

une autre substitution linéaire à coefficients entiers et telle que

$$\omega_1 \omega'_2 - \omega'_1 \omega_2 = 1.$$

La substitution $T^{-1}ST$, qui s’appelle la transformée de $S$ par $T$, est aussi linéaire à coefficients entiers et a pour déterminant 1.

Si deux substitutions linéaires $S$ et $S'$ à coefficients entiers et de déterminant 1 sont transformées l’une de l’autre par une substitution de la forme $T$, je dirai que $S$ et $S'$ appartiennent à la même classe [5].

Il est clair d’abord que $S$ et $S'$ ne peuvent appartenir à la même classe que si la somme $\alpha + \delta$ a la même valeur pour l’une et pour l’autre, mais cette condition n’est pas suffisante et à une même valeur entière de $\alpha + \delta$ correspondront plusieurs classes de substitutions linéaires, de la même façon qu’à un même déterminant correspondent plusieurs classes de formes quadratiques.

Ainsi la condition nécessaire et suffisante pour que les deux groupes $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$, $(\alpha', \beta', \gamma', \delta')$ soient isomorphes, c’est que les deux substitutions linéaires $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$, $(\alpha', \beta', \gamma', \delta')$ appartiennent à la même classe.

Nous avons laissé de côté le cas où

$$\alpha + \delta = \pm 2.$$

Si $\alpha + \delta =2$, la substitution $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$ sera de la même classe que $(1,h,0,1)$ ; le groupe $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$ sera isomorphe à $(1,h,0,1)$.

Celui-ci contient une substitution remarquable $C_2$, qui n’est multiple d’aucune autre et qui est permutable à toutes les substitutions du groupe. On voit d’ailleurs sans peine que si $h$ n’est pas nul, $C_2$ est la seule substitution qui jouisse de cette propriété.

Nous pouvons d’ailleurs laisser de côté le cas où $h$ est nul, car le groupe $(1,0,0,1)$, dont toutes les substitutions sont permutables deux à deux, ne peut être évidemment isomorphe à aucun autre groupe $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$.

Si $\alpha + \delta = -2$, le groupe $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$ sera isomorphe à $(-1,h,0,-1)$. Celui-ci contient une substitution remarquable $C_2$, qui n’est multiple d’aucune autre, qui n’est pas permutable à toutes les substitutions du groupe, mais qui est permutable au double de toutes ces substitutions. Si $h$ n’est pas nul, $C_2$ est la seule substitution qui jouisse de cette propriété. Si, au contraire, $h$ est nul, il y en a une infinité, ce qui prouve déjà que $(-1,0,0,-1)$ ne peut être isomorphe à $(-1,h,0,-1)$.

De même, la présence de cette substitution remarquable $C_2$ dans $(1,h,0,1)$ et l’absence de toute substitution jouissant de la même propriété dans $(-1,h',0,-1)$ montrent que ces deux groupes ne sauraient être isomorphes.

Il me reste deux questions à résoudre :

  1. Les groupes $(1,h,0,1)$ et $(1,h',0,1)$ ou $|h| \neq 0$, $|h'| \neq 0$, $|h| \neq |h'|$, peuvent-ils être isomorphes ?
  2. Même question pour les groupes $(-1,h,0,-1)$, $(-1,h',0,-1)$.

Commençons par la première question.

J’observe d’abord que, $C_2$ étant la seule substitution du premier groupe qui jouisse de la propriété caractéristique énoncée plus haut, on devra avoir

$$C'_2 \equiv C_2$$

(ou $C'_2 \equiv -C_2$, mais alors on changerait $C'_1$ et $C'_2$ en $-C'_1$ et $-C'_2$).

Maintenant, pour que l’on puisse, en combinant

$$ \begin{array}{rcl} C'_1 & \equiv & a_3 C_3 + a_1 C_1 + a_2 C_2,\\ C'_2 & \equiv & C_2,\\ C'_3 & \equiv & c_3 C_3 + c_1 C_1 + c_2 C_2,\\ \end{array} $$

retrouver toutes les substitutions du premier groupe, il faut que

$$a_3 c_1 - c_3 a_1 = 1.$$

On démontre alors aisément que

$$C'_1 + C'_3 \equiv C'_3 + C'_1 + h C'_2,$$

ce qui prouve que les deux groupes ne peuvent être isomorphes, que si

$$h = \pm h'.$$

Passons à la seconde question.

On verrait, comme tout à l’heure, que l’on doit avoir

$$C'_2 \equiv C_2.$$

$$a_3 c_1 - c_3 a_1 = 1.$$

Il vient ensuite

$$C'_1 + C'_3 \equiv (a_3 + c_3) C_3 + (c_1 + a_1 \epsilon) C_1 + (c_2 + a_2 \epsilon - a_1 c_3 h \epsilon) C_2,$$

$$\epsilon = (-1)^{c_3}$$

et [6]

$$C'_3 - C'_1 \equiv (c_3 - a_3) C_3 + (c_1 - a_1) \epsilon' C_1$$

$$\qquad \qquad \qquad + [c_2 - a_2) \epsilon' + (a_1 + c_1) a_3 \epsilon' h] C_2,$$

$$\epsilon'=(-1)^{a_3}.$$

Si l’on veut que

$$C'_1 + C'_2 \equiv C'_3 - C'_1 + h' C'_2,$$

il faut que

$$a_3 = 0, \qquad \epsilon'= 1, \qquad \epsilon = -1, \qquad a_1 c_3 = 1, \qquad h=h'.$$

Donc nos deux groupes ne pourront être isomorphes que si

$$h=\pm h'.$$

Le résultat énoncé plus haut est donc général et s’étend aux substitutions paraboliques.

Si les deux substitutions linéaires $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$, $(\alpha', \beta', \gamma', \delta')$ ne sont pas de la même classe, les deux groupes correspondants ne peuveut [7] être isomorphes.

Il résulte de cette longue discussion que les différents groupes $(\alpha, \beta, \gamma, \delta)$ peuvent donner naissance à une infinité de variétés fermées $V$ distinctes, c’est-à-dire non homéomorphes. Or, le nombre $P_1$ ne peut prendre que l’une des trois valeurs 2, 3 ou 4.

Pour que deux variétés fermées soient homéomorphes, il ne suffit donc pas qu’elles aient mêmes nombres de Betti.

C’est ce que nos autres exemples mettent également en évidence.

Dans le troisième exemple, le groupe $G$ se réduit à huit substitutions et dans le cinquième exemple, à deux substitutions seulement.

Considérons, au contraire, l’hypersphère

$$x_1^2+x_2^2+x_3^2+x_4^2=1 ;$$

c’est une variété dont le groupe $G$ se réduit à une seule substitution, la substitution identique.

Voilà donc trois variétés, dont les groupes $G$ sont d’ordre fini ; mais ces groupes ne sont pas isomorphes ; de sorte que ces variétés ne seront pas homéomorphes ; et cependant elles auront mêmes nombres de Betti

$$P_1 = P_2 = 1.$$

Il paraîtra naturel de restreindre le sens du mot simplement connexe et de le réserver aux variétés, dont le groupe $G$ se réduit à la substitution identique.

Alors une variété fermée de plus de deux dimensions pourra avoir son groupe $G$ d’ordre fini sans être simplement connexe.

Cela n’arriverait pas avec les variétés de deux dimensions : leur groupe $G$ ne pouvait être d’ordre fini sans se réduire à une seule substitution.

Nous avons vu pourquoi un groupe fuchsien, qui admet un cycle de sommets dont la somme des angles est égale à $\frac{2\pi}{n}$ ($n>1$), ne peut être le groupe $G$ d’une variété fermée à deux dimensions.

Il en est de même pour la même raison, de tout groupe d’ordre fini ou, plus généralement, de tout groupe contenant une substitution, dont une puissance entière se réduit à la substitution identique.

Il pourrait être intéressant de traiter les questions suivantes.

  1. Étant donné un groupe $G$ défini par un certain nombre d’équivalences fondamentales, peut-il donner naissance à une variété fermée à $n$ dimensions ?
  2. Comment doit-on s’y prendre pour former cette variété ?
  3. Deux variétés d’un même nombre de dimensions, qui ont même groupe $G$, sont-elles toujours homéomorphes ?

Ces questions exigeraient de difficiles études et de longs développements. Je n’en parlerai pas ici.

Je veux toutefois attirer l’attention sur un point.

Riemann a rattaché l’étude des courbes algébriques à celle des variétés à deux dimensions au point de vue de l’Analysis situs.

De même, l’étude des surfaces algébriques se rattache à celle des variétés à quatre dimensions. Ces variétés ont trois nombres de Betti :

$$P_1 = P_3 \qquad \textrm{et} \qquad P_2.$$

M. Picard a montré que si la surface algébrique est la plus générale de son degré, le nombre $P_1$ se réduit à 1 ; il ne prend une valeur plus grande que 1 que dans certains cas particuliers. La connexion multiple se présentait ainsi comme un cas particulier de la connexion simple.

Ce résultat semble paradoxal ; peut-être nous le paraîtra-t-il un peu moins maintenant ; un groupe $G$ peut être beaucoup plus complexe qu’un autre groupe $G'$ et cependant correspondre à une valeur plus petite du nombre $P_1$.


[1Faute dans le texte original : adjoindre.

[2Il s’agit de l’expression du texte original. Il faudrait plutôt écrire $a_3 C_3 + a_1 C_1 + a_2 C_2, \dots$.

[3La virgule qui suit est dans le texte original.

[4C’est ainsi que finit ce paragraphe dans le texte original.

[5De nos jours, on dit plutôt qu’elles sont conjuguées.

[6Typo de parenthèse et de crochet dans le texte original

[7Sic.