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Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Vous pouvez retrouver nos commentaires par ici.

§ 13. Équivalences fondamentales

Le groupe $G$ sera dérivé d’un certain nombre de substitutions principales $S_1$, $S_2, \ldots, S_p$. A chacune d’elles correspondra un contour fermé, de sorte que nous aurons $p$ contours fermés fondamentaux $C_1$, $C_2, \ldots, C_p$ et qu’un contour fermé quelconque soit équivalent à une combinaison des contours fondamentaux se succédant dans un certain ordre.

Ces contours fondamentaux ne sont pas, en général, tout à fait indépendants et il y a entre eux certaines relations que j’appellerai équivalences fondamentales.

Supposons, par exemple, qu’on ait entre les contours fondamentaux, l’équivalence

$$k_1 C_1 + k_2 C_2 + k'_1 C_1 + k_3 C_3 \equiv 0.$$

Cela signifie que la substitution $S_1^{k_1}S_2^{k_2}S_1^{k'_1}S_3^{k_3}$ du groupe $G$ se réduit à la substitution identique.

Les équivalences fondamentales nous font donc connaître la forme du groupe $G$.

Supposons que la variété $V$ ait été définie par le mode de représentation du § 10 et que nous n’ayons qu’un seul polyèdre $P_1$. Il est clair qu’on obtiendra tous les contours fondamentaux de la manière suivante. Soient $M_0$ un point intérieur à $P_1$, $A$ un point d’une des faces de $P_1$, $A'$ le point correspondant sur la face conjuguée. On ira de $M_0$ à $A$, puis de $A'$ à $M_0$ sans sortir de $P_1$ ; le chemin correspondant sur la variété $V$ sera fermé.

Il y aura donc autant de contours fondamentaux que de paires de faces.

Voici maintenant comment on formera les équivalences fondamentales :

Considérons un cycle d’arêtes. Soit, par exemple, une arête, intersection des faces $F_1$ et $F'_{\mu}$, et que je désignerai pour cette raison sous le nom d’arête $F_1 F'_{\mu}$ ; soient $F'_1$ la face conjuguée de $F_1$ et $F_2 F'_1$ l’arête correspondante à $F_1 F'_{\mu}$ sur cette face ; soient $F'_2$ la face conjugée [1] de $F_2$ et $F_3 F'_2$ l’arête correspondante à $F_2 F'_1$ sur cette face ; et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on retombe sur la face $F'_{\mu}$ et l’arête $F_1 F'_{\mu}$.

Remarquons qu’en faisant cette opération l’on pourra retomber, plusieurs fois, sur la même face.

Soient $A_i$ un point de $F_i$ et $A'_i$ le point correspondant de $F'_i$ ; soit $C_i$ le contour fondamental

$$M_0 A_i + A'_i M_0.$$

Alors, on aura l’équivalence fondamentale

$$C_1 + C_2 + \cdots + C_{\mu} \equiv 0.$$

Il y aura donc autant d’équations fondamentales que de cycles d’arêtes.

Quand on aura formé ainsi les équivalences fondamentales, on en déduira les homologies fondamentales qui n’en diffèrent que parce que l’ordre des termes est indifférent. La connaissance de ces homologies fera immédiatement connaître le nombre de Betti $P_1$.

Appliquons ces principes aux exemples cités plus haut, et remarquons que, toutes les variétés citées dans ces exemples étant fermées et à trois dimensions, on aura

$$P_1 = P_2.$$

Premier exemple :

$$ \begin{array}{cccc} (C_1 ) \qquad & ABCD & \equiv & A'B'D'C' , \\ (C_2 ) \qquad & ABB'A' & \equiv & CDD'C' , \\ (C_3 ) \qquad & ACC'A' & \equiv & BDD'B'. \end{array} $$

Voici ce que j’entends par la notation

$$ (C_1) \qquad \ ABDC \ \equiv \ A'B'D'C'. $$

Je veux dire que la face $ABDC$ est conjuguée de $A'B'D'C'$ et que $\alpha$ désignant un point de $ABDC$ et $\alpha'$ un point de $A'B'D'C'$, le contour fondamental $M_0 \alpha + \alpha' M_0$ est désigné par $C_1$.

Équivalences fondamentales :

$$C_1 + C_2 \equiv C_2 + C_1, \qquad C_1 + C_3 \equiv C_3 + C_1, \qquad C_2 + C_3 \equiv C_3 + C_2.$$

Les homologies fondamentales se réduisent à des identités

$$P_1 = P_2 = 4.$$

Je passe tout de suite au troisième exemple, puisque nous avons vu que le second doit être rejeté.

Troisième exemple :

$$ \begin{array}{cccc} (C_1 ) \qquad & ABDC & \equiv & B'D'C'A',\\ (C_2 ) \qquad & ABB'A' & \equiv & C'CDD',\\ (C_3 ) \qquad & ACC'A' & \equiv & DD'B'B. \end{array} $$

Équivalences fondamentales :

$$ \begin{array}{ll} C_1 + C_3 + C_2 \equiv 0, & \qquad C_1 - C_3 - C_2 \equiv 0,\\ C_2 - C_1 - C_3 \equiv 0, & \qquad C_3 - C_2 - C_1 \equiv 0, \end{array} $$

ce qui peut aussi s’écrire

$$ 2 C_1 \equiv 2 C_2 \equiv 2 C_3, \ \qquad 4 C_1 \equiv 0. $$

Homologies fondamentales :

$$C_1 \sim C_2 \sim C_3 \sim 0,$$

d’où

$$P_1 = P_2 = 1.$$

On peut donner de ce résultat une interprétation géométrique simple.

Le groupe $G$ est d’ordre fini et se compose seulement de huit substitutions distinctes correspondant aux contours suivants :

$$0, C_1, C_2, C_3, \quad 2 C_1, 3 C_1, 3 C_2, 3 C_3.$$

Le groupe est isomorphe au groupe suivant :

$$ \begin{array}{c} (x,y,z,t;-y,x,-t,z;\\ \qquad \qquad -t,-z,y,x;z,-t,-x,y;\\ \qquad \qquad -x,-y,-z,-t;y,-x,t,-z;\\ \qquad \qquad \qquad \qquad t,z,-y,-x;-z,t,x,-y). \end{array} $$

Ce groupe, qui transforme en lui-même l’hypercube à quatre dimensions, dont les huit faces ont pour équations

$$x=\pm 1, \qquad y=\pm 1, \qquad z=\pm 1, \qquad t=\pm 1,$$

pourrait être appelé le groupe hypercubique.

Quatrième exemple :

$$ \begin{array}{cccc} (C_1 ) \qquad & ABCD & \equiv & B'D'C'A',\\ (C_2 ) \qquad & ABB'A' & \equiv & CDD'C',\\ (C_3 ) \qquad & ACC'A' & \equiv & BDD'B'. \end{array} $$

Équivalences fondamentales :

$$C_2 + C_3 \equiv C_3 + C_2, \qquad C_3 + C_1 \equiv C_1 + C_2, \qquad -C_2 + C_1 \equiv C_1 +C_3.$$

Homologies fondamentales :

$$C_2 \sim C_3 \sim 0,$$

d’où

$$P_1 = P_2= 2.$$

Cinquième exemple :

$$ \begin{array}{cccc} (C_1 ) \qquad & ABC & \equiv & FED,\\ (C_2 ) \qquad & ACE & \equiv & FDB,\\ (C_3 ) \qquad & AED & \equiv & FBC,\\ (C_4 ) \qquad & ADB & \equiv & FCE, \end{array} $$

Équivalences fondamentales :

$$C_1 \equiv C_2 \equiv C_3 \equiv C_4, \qquad 2 C_1 \equiv 0,$$

d’où

$$C_1 \sim C_2 \sim C_3 \sim C_4 \sim 0,$$

et

$$P_1 = P_2 = 1.$$

Le groupe $G$ se réduit à deux substitutions correspondant aux contours $0$ et $C_1$.

Sixième exemple : — Le groupe $G$ est évidemment holomorphe au groupe $(\alpha,\beta,\gamma,\delta)$.

Les trois substitutions

$$ \begin{array}{c} (x,y,z;x+1,y,z),\\ (x,y,z;x,y+1,z),\\ (x,y,z;\alpha x+\beta y,\gamma x + \delta y, z+1)\\ \end{array} $$

correspondront respectivement aux contours fondamentaux $C_1$, $C_2$ et $C_3$.

Nous avons d’abord les équivalences fondamentales

$$ \begin{array}{rcl} C_1 + C_2 & \equiv & C_2 + C_1,\\ C_1 + C_3 & \equiv & C_3 + \alpha C_1 + \gamma C_2,\\ C_2 + C_3 & \equiv & C_3 + \beta C_1 + \delta C_2,\\ \end{array} $$

d’où il résulte d’abord que toute combinaison des contours fondamentaux peut se mettre sous la forme

$$m_3 C_3 + m_1 C_1 + m_2 C_2,$$

les $m$ étant des entiers. Et comme cette expression ne pourrait être équivalente à $0$ que si les trois entiers $m$ étaient nuls, il en résulte que nous possédons là toutes les équivalences fondamentales.

Homologies fondamentales :

$$ \begin{array}{rcl} (\alpha -1) C_1 + \gamma C_2 & \sim & 0,\\ \beta C_1 + (\delta -1) C_2 & \sim & 0.\\ \end{array} $$

Si ces deux homologies ne sont pas distinctes, on aura

$$C_1 \sim C_2 \sim 0,$$

d’où

$$P_1 = P_2 = 2 \ ;$$

c’est ce qui arrive dans le cas général et particulièrement pour notre quatrième exemple.

Si le déterminant de ces homologies est nul, c’est-à-dire que

$$(\alpha-1)(\delta-1)-\beta\gamma = 0$$

ou

$$\alpha + \delta = 2,$$

on aura

$$P_1 = P_2 = 3,$$

sauf le cas où les deux homologies se réduiraient à des identités. C’est ce qui arrive pour

$$\alpha=\delta=1, \qquad \beta=\gamma=0,$$

c’est-à-dire pour notre premier exemple ; on a alors

$$P_1 = P_2 = 4.$$


[1Sic.