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§II. Schéma d’un polyèdre

Considérons donc, comme à la page 271 de l’Analysis situs un polyèdre à $p$ dimensions, c’est-à-dire une variété $V$ à $p$ dimensions, divisée en variétés $v_p$ ; les frontières des $v_p$ seront les $v_{p-1}$, celles des $v_{p-1}$ seront les $v_{p-2}, \ \ldots,$ celles des $v_1$ (arêtes) seront les $v_0$ (sommets).

J’appellerai $\alpha_i$ le nombre des $v_i$.

Soient $a_1^q, \ a_2^q,\ \ldots, \ a_{\alpha_q}^q$ les différentes $v_q$.

Soit $a_1^q$ une des variétés $v_q$ et $a_1^{q-1}$ une des variétés $v_{q-1}$ qui lui sert de frontière. Étudions les rapports de $a_1^q$ et de $a_1^{q-1}$.

Soient

$$ \tag{1} F_1=F_2=\ldots=F_{n-q}=F_{n-q+1}=0 \ \ \ \ \varphi_{\gamma}>0 $$

les égalités et les inégalités qui définissent $a_1^{q-1}$, d’après la première définition des variétés (Analysis situs, p. 196).

Les relations qui définissent $a_1^q$ pourront se mettre sous la forme

$$ \tag{2} F_1=F_2=\ldots=F_{n-q}=0, \ \ \ \ F_{n-q+1}>0, \ \ \ \ \varphi_{\gamma}>0. $$

Dans ce cas nous dirons que la relation de $a_1^q$ et de $a_1^{q-1}$ est directe.

Cette relation deviendrait inverse, si l’une de ces deux variétés était remplacée par la variété opposée ; elle redeviendrait directe, si chacune des deux variétés était remplacée par la variété opposée.

On sait qu’une variété est remplacée par la variété opposée (Analysis situs p. 204), quand on permute deux des fonctions $F$ (qui, égalées à zéro, donnent les équations qui définissent la variété), ou qu’on change le signe de l’une d’elles.

Ainsi les deux variétés

$$ \begin{array}{ccccc} F_1=F_2=F_3=0; & \ \ & F_1=F_2=0,& \ \ & F_3>0;\\ F_1=F_2=F_3=0; & \ \ & F_1=F_3=0,& \ \ & F_2<0;\\ F_1=F_2=F_3=0; & \ \ & F_2=F_3=0,& \ \ & F_1>0\\ \end{array}$$

sont en relation directe ; tandis que les deux variétés

$$ F_1=F_3=F_3=0; \quad F_1=F_2=0; \quad F_3<0; $$

$$ F_1=F_3=F_3=0; \quad F_1=F_3=0; \quad F_2>0; $$

sont en relation inverses.

Cela posé, soit $\epsilon_{i,j}^q$ un nombre qui sera égal à zéro, si $a_j^{q-1}$ n’est pas frontière de $a_i^q$ ; à $+1$, si $a_j^{q-1}$ est frontière de $a_i^q$ et en relation directe avec $a_i^q$ ; et, enfin, à $-1$ si $a_j^{q-1}$est frontière de $a_i^q$mais en relation inverse avec $a_i^q$.

Nous conviendrons d’écrire la congruence

$$ \tag{3} a_i^q\equiv \sum \epsilon_{i,j}^q a_j^{q-1}, $$

qui nous fait connaître les frontières de $a_i^q$.

L’ensemble des congruences (3), relatives aux différentes $v_p,v_{p-1},\ldots,v_0$ de $V$, constitue ce qu’on peut appeler le schéma d’un polyèdre.

On peut se poser deux questions :

  1. Un schéma étant donné, existera-t-il toujours un polyèdre, qui y corresponde ?
  2. Deux polyèdres qui ont le même schéma, sont-ils homéomorphes ?

Sans aborder, pour le moment, ces deux questions, cherchons quelques-unes des conditions auxquelles doit satisfaire un schéma, pour qu’un polyèdre y puisse correspondre.

Considérons l’une des $v_{p-1}$, $a_1^{p-1}$ par exemple ; cette variété devra séparer, l’une de l’autre, deux des $v_p$, et deux seulement ; de sorte que, parmi les nombres $\epsilon^p_{i,1}$, il y en aura un qui sera égal à $+1$, un qui sera égal à $-1$ et tous les autres seront égaux à zéro.

Ce n’est pas tout ; envisageons l’une quelconque des $v_q$, $a_i^q$ par exemple, et une quelconque des $v_{q-2}$, $a_k^{q-2}$ par exemple.

De deux choses, l’une : ou bien $a_k^{q-2}$ n’appartiendra pas à $a_i^q$, et dans ce cas tous les produits

$$ \tag{4} \epsilon_{i,j}^q\epsilon_{j,k}^{q-1} $$

seront nul, car si $a_j^{q-1}$ n’appartient pas à $a_i^q$ le premier facteur est nul ; si, au contraire, $a_j^{q-1}$ appartient à $a_i^q$, la variété $a_k^{q-2}$ ne peut pas appartenir à $a_j^{q-1}$ (sans quoi, elle appartiendrait à $a_i^q$, contrairement à l’hypothèse), et le second facteur doit être nul.

Ou bien $a_k^{q-2}$ appartiendra à $a_i^q$ ; mais alors nous pourrons raisonner sur la variété $a_i^q$, comme nous raisonnions tout à l’heure sur la variété $V$, et nous conclurons que $a_k^{q-2}$ doit séparer, l’une de l’autre, deux des variétés $v_{q-1}$, qui appartiennent à $a_i^q$, et deux seulement : soient $a_1^{q-1}$ et $a_2^{q-1}$.

Parmi les produits (4), il n’y en aura que deux qui ne seront pas nuls, à savoir

$$ \epsilon_{i,1}^q \epsilon_{1,k}^{q-1}, \quad \epsilon_{i,2}^q \epsilon_{2,k}^{q-1} . $$

Pour tous les autres, en effet, ou bien $a_j^{q-1}$ n’appartiendra pas à $a_i^q$ , ou bien $a_k^{q-2}$ n’appartiendra pas à $a_j^{q-1}$.

Ces deux produits sont d’ailleurs égaux : l’un à $+ 1$. l’autre à $-1$.

On aura donc dans tous les cas

$$ \tag{5} \sum_j \epsilon_{i,j}^q\epsilon_{j,k}^{q-1}=0. $$

Nous avons, de même,

$$ \sum_i \epsilon_{i,1}^p = 0, $$

et, plus généralement, quel que soit $k$,

$$ \tag{5 bis} \sum_i \epsilon_{i,k}^p =0. $$

La relation (5 bis) peut être regardée, à un certain point de vue, comme un cas particulier de la relation (5).

Soit $P$ la portion de l’espace à $p+1$ dimensions, limitée par le polyèdre $V$ ; alors la frontière complète de $P$ se composera des diverses variétés $v_p$, qui, par leur ensemble, forment $V$ ; nous pourrons donc écrire, au sens de la congruence (3),

$$ \tag{3 bis} P \equiv \sum_i a_i^p, $$

ou encore

$$ P\equiv \sum_i \epsilon_{0,i}^{p+1} a_i^p, $$

où les nombres $\epsilon_{0,i}^{p+1}$ seront tous, par définition, égaux à $1$.

A ce compte, la relation (5 bis) qui peut s’écrire

$$ \sum_i \epsilon_{0,i}^{p+1} \epsilon_{i,k}^p = 0, $$

n’est plus qu’un cas particulier de la relation (5).

Nous avons, ensuite, chaque $v_1$ , qui a pour limites deux $v_0$, et deux seulement, ce qui nous donne des congruences (3) de la forme

$$ a_i^1\equiv a_j^0-a_k^0, $$

et une relation analogue à (5) et (5 bis)

$$ \sum_j \epsilon_{i,j}^1=0, $$

qui rentrerait encore dans la forme (5), en convenant de faire tous les $\epsilon_0$ égaux à $+1$.

D’autre part, envisageons l’une des $a_i^q$ ; toutes les $a_j^{q+1}$ auxquelles elle sert de frontière ; toutes les $a_k^{q+2}$, auxquelles ces $a_j^{q+1}$ servent de frontières et ainsi de suite. L’ensemble de toutes ces variétés constituera ce que nous avons appelé un aster (Analysis situs, p. 276).

Nous avons vu (loc. cit., p. 276) que le polyèdre qui correspond à un aster, doit être simplement connexe. Ainsi une condition pour qu’un polyèdre puisse correspondre à un schéma donné, c’est que les polyèdres qui correspondent aux différents asters, d’après la convention de la page 276 de l’Analysis situs, soient tous simplement connexes.

Considérons maintenant une des $a_i^q$, toutes les $a_j^{q-1}$ qui lui servent de frontières, les $a_k^{q-2}$ qui servent de frontières à ces $a_j^{q-1}$ et ainsi de suite. Cet ensemble de variétés constituera un polyèdre à $q$ dimensions ; nous supposerons que ce polyèdre soit simplement connexe.

Ce n’est plus là une condition nécessaire pour qu’un polyèdre puisse correspondre au schéma ; c’est simplement une condition que, sauf avis contraire, nous supposerons remplie.

Pour éclairer ces définitions par quelques exemples, voyons d’abord quel est le schéma du tétraèdre généralisé, défini à la page 275 (Analysis situs).

Les faces de ce tétraèdre seront définies par les $n+1$ équations

$$ \tag{6} \begin{cases} x_1=0, \quad x_2=0, \quad \ldots, \quad x_n=0,\\ \quad x_1+x_2+\cdots+x_n=1. \end{cases} $$

On obtiendra les $a_i^q$ en supprimant $q+1$ de ces équations ; pour définir le sens de la variété $a_i^q$, nous supposerons qu’on supprime ces $q+1$ équations, mais sans changer l’ordre des $n-q$ équations restantes.

Cela posé, considérons la relation de $a_i^q$ et de $a_j^{q-1}$ et cherchons à déterminer le nombre $\epsilon_{i,j}^q$.

D’abord, pour que $a_i^{q-1}$ appartienne à $a_i^q$, il faut que $a_i^{q-1}$ soit définie par les $n-q$ équations qui définissent $a_i^q$, auxquelles on devra adjoindre une $(n-q+1)^{\rm i\grave{e}me}$ équation, prise parmi les équations (6). S’il n’est pas ainsi, le nombre $\epsilon_{i,j}^q$ sera nul.

Supposons donc que $a_i^{q-1}$ soit obtenu en supprimant les $q$ équations qui occupent les

$$ \alpha_1, \alpha_2, \ldots, \alpha_q \quad \mbox{rangs}. $$

Supposons que $a_i^q$ soit obtenue en supprimant, en outre, la $\beta^{\rm i\grave{e}me}$ équation ; alors le nombre $\epsilon_{i,j}^q$, dont la valeur absolue sera toujours égale à $1$, aura même signe que le produit

$$ (\beta-\alpha_1)(\beta-\alpha_2)\cdots (\beta-\alpha_q). $$

Il est aisé de vérifier alors que la relation (5) a lieu.

Considérons, en effet, la variété $a_k^{q-2}$, obtenue en supprimant les équations de rang $\alpha_1, \alpha_2, \ldots, \alpha_{q-1}$ et la variété $a_i^q$, obtenue en supprimant, en outre, les équations de rang $\beta$ et $\gamma$. (Il est clair que si $a_i^q$ ne s’obtenait pas en supprimant les mêmes équations que pour $a_k^{q-2}$, plus deux autres, tous les produits $\epsilon_{i,j}^q\epsilon_{j,k}^{q-1}$ seraient nuls).

Dans ce cas, tous ces produits seront encore nuls, sauf deux

$$ \epsilon_{i,1}^q \epsilon_{1,k}^{q-1} \quad {\rm et} \quad \epsilon_{i,2}^q \epsilon_{2,k}^{q-1}, $$

qui correspondront aux deux variétés $a_1^{q-1}$ et $a_2^{q-2}$ obtenues respectivement en supprimant les équations de rang $\alpha_1, \alpha_2, \ldots, \alpha_{q-1}, \beta$ et celles de rang $\alpha_1, \alpha_2, \ldots, \alpha_{q-1}, \gamma$. Alors, les quatre nombres

$$ \epsilon_{i,1}^q, \quad \epsilon_{1,k}^{q-1}, \quad \epsilon_{i,2}^q, \quad \epsilon_{2,k}^{q-1} $$

auront respectivement même signe que

$$ \begin{array}{cl} (\gamma-\beta)&(\gamma-\alpha_1)(\gamma-\alpha_2)\cdots (\gamma-\alpha_{q-1}),\\ &(\gamma-\alpha_1)(\gamma-\alpha_2)\cdots (\gamma-\alpha_{q-1}),\\ (\beta-\gamma)&(\beta-\alpha_1)(\beta-\alpha_2)\cdots (\beta-\alpha_{q-1}),\\ &(\beta-\alpha_1)(\beta-\alpha_2)\cdots (\beta-\alpha_{q-1}). \end{array} $$

On vérifie ainsi que les deux produits, qui ne sont pas nuls, sont égaux et de signe contraire [1].

C.Q.F.D.


[1Le polyèdre ainsi défini, ainsi que tout polyèdre à $n$ dimensions, limité par $n-1$ variétés planes, s’appellera tétraèdre généralisé rectiligne. J’appellerai tétraèdre généralisé toute variété homéomorphe à un tétraèdre généralisé rectiligne.