> Groupe fondamental > Groupe fondamental par les revêtements > Les revêtements

Les revêtements

Le concept de fonction, ou d’application, a suivi une très longue évolution dans l’histoire des mathématiques. Aujourd’hui, une application $f$ d’un ensemble $E$ vers un autre ensemble $F$ associe à chaque élément $x$ de $E$ un unique élément $f(x)$ de $F$. Il faut avoir conscience que dans beaucoup de situations, on souhaiterait associer plusieurs images à un même élément. C’est par exemple le cas pour la racine carrée ou pour le logarithme d’un nombre complexe.

Exercice
  • Montrer qu’il n’existe pas d’application continue $f : \mathbb{C} \to \mathbb{C} $ telle que pour tout $z\in \mathbb{C} $ on ait $f(z)^2=z$.
  • Montrer qu’il n’existe pas d’application continue $f : \mathbb{C} \setminus \{0\} \to \mathbb{C} $ telle que pour tout $z\in \mathbb{C} $ on ait $\exp(f(z))=z$.

Les géomètres du passé avaient donc pris l’habitude de manipuler des « fonctions multivaluées », dites aussi « multiformes » dont la définition était peu claire. La « racine carrée » de $z$ prenait deux valeurs, et le logarithme était défini « à $2 i \pi$ » près.

Sur l’image ci-dessous, sont représentées les fonctions multivaluées $z \mapsto \sqrt{z}$ et $z \mapsto \sqrt[3]{z}$.

JPEG - 528.3 ko
Modèle de la collection de l’IHP

Voici un exemple un peu plus riche [1]. Considérons l’espace $P_n$ des polynômes moniques en la variable complexe $z$ de degré $n$ et soit $P’_n$ l’ouvert de $P_n$ formé des polynômes dont le discriminant est non nul, c’est-à-dire dont les $n$ racines sont distinctes. À chaque élément $p \in P’_n$, on peut associer les $n$ racines du polynôme $p$ mais on ne peut choisir une racine qui dépende continûment de $p$. Les racines de $p$ définissent une fonction multivaluée. Cette impossibilité de choisir une racine n’est pas anodine puisqu’elle est au fondement de la théorie de Galois. Le groupe fondamental de Poincaré s’inspire de ces exemples.

Aujourd’hui, on ne parle plus de fonctions multivaluées. De temps en temps, on peut y penser comme des « inverses » de fonctions au sens contemporain du terme. Par exemple, au lieu du logarithme, on pensera à la « réciproque » de l’exponentielle. A vrai dire, même si beaucoup de mathématiciens d’aujourd’hui continuent à penser au logarithme comme une fonction multivaluée, la plupart ne le rendent pas explicite, ni par oral, ni par écrit.

Voici une définition.

Définition

Une application continue $p : X \to B$ entre deux espaces topologiques est un revêtement si chaque point $b$ de $B$ possède un voisinage ouvert $U$ tel que l’image réciproque $p^{-1}(U)$ est la réunion disjointe d’une collection d’ouverts $(V_i)_{i \in I}$ tels que la restriction de $p$ à chaque $V_i$ est un homéomorphisme sur $U$.

Nous ne chercherons pas la généralité maximale dans notre présentation, et pour les applications que nous avons en vue, les espaces seront des variétés différentiables ou des complexes simpliciaux. Quoi qu’il en soit, nous supposerons que les espaces topologiques considérés sont séparés. Cette hypothèse, anodine pour un topologue, ne l’est pas en géométrie algébrique : il suffit de penser à la topologie de Zariski.

La tradition est de noter (au tableau !) les flèches verticalement. L’espace $X$ est appelé l’espace total du revêtement, et l’espace $B$ en est la base. On imagine toujours que $X$ est « au dessus » de $B$.

Un ouvert $U$ comme dans la définition est dit trivialisant pour le revêtement. D’une manière imagée, on pensera aux $V_i$ comme des « assiettes » qui sont au dessus de $B$ et on dira que $p^{-1}(U)$ est une « pile d’assiettes ».

Lorsque l’espace $B$ tout entier est trivialisant, on dit que le revêtement est trivial. Cela revient à dire qu’il existe un homéomorphisme $h$ entre $X$ et $B \times F$ où $F$ est un espace discret de telle sorte que $p \circ h^{-1} : B \times F \to B $ soit simplement la projection sur le premier facteur.

Exemples - Exercices
  • Montrer que l’application $z \in \mathbb{C} \setminus \{0\} \mapsto z^n \in \mathbb{C} \setminus \{0\}$ est un revêtement ($n$ est un entier naturel $\geq 1$). Dans ce cas, l’ensemble d’indices $I$ a $n$ éléments. On dit que le revêtement possède $n$ feuillets.
  • Montrer que l’application $z \in \mathbb{C} \mapsto z^n \in \mathbb{C} $ n’est pas un revêtement.
  • Montrer que l’application $z \in \mathbb{C} \mapsto \exp(z) \in \mathbb{C} \setminus \{0\}$ est un revêtement. Dans ce cas, l’ensemble d’indices $I$ a une infinité dénombrable d’éléments. On dit que le revêtement a une infinité de feuillets.
Exercice

On suppose que $B$ est à base dénombrable et que $X$ est connexe. Montrer que les images réciproques $p^{-1}(b)$ sont discrètes et au plus dénombrables.

Voici une autre source d’exemples très naturels.

Soit $\Gamma$ un groupe dénombrable agissant librement, proprement et discontinûment sur un espace localement compact $X$. Cela signifie qu’un élément de $\Gamma$ différent de l’identité n’a pas de point fixe dans $X$ et que chaque point possède un voisinage dont les images par les éléments de $\Gamma$ sont disjointes deux à deux. On considère l’espace $B=X/\Gamma$ quotient de $X$ par l’action de $\Gamma$, muni de la topologie quotient.

Exercice

Montrer que l’application de passage au quotient de $X$ sur $B=X/\Gamma$ est un revêtement.

Quelques conventions :

  • Les espaces que nous considérerons seront toujours « jolis », exempts de pathologies locales. Pour l’instant le lecteur pourra penser qu’il s’agit de variétés différentielles (séparables, séparées) ou encore de complexes simpliciaux. Nous reviendrons sur la définition de « jolis » dans la suite du cours.
  • Nous considérons des espaces pointés. Un espace pointé est la donnée d’un espace et du choix d’un de ses points. Nous noterons $(B,b)$ un espace $B$ pointé en $b\in B$ et lorsque nous écrirons $p : (X,x) \to (B,b)$, cela signifiera que l’application continue $p$ de $X$ dans $B$ envoie le point $x$ sur le point $b$.
  • Sauf exception, les espaces que nous considérerons seront connexes (par arcs).
Définition

Deux revêtements $p : (X,x) \to (B,b)$ et $p’ : (X’,x’) \to (B,b)$ sont isomorphes s’il existe un homéomorphisme $h : (X,x) \to (X’,x’)$ tel que $p’ \circ h = p$.

Notre but principal est de comprendre la nature de l’ensemble $Rev (B,b)$ de toutes les classes d’isomorphismes de revêtements (connexes et pointés) d’un espace (connexe et pointé) donné $(B,b)$.

Il est important de commencer par le premier exemple non trivial, qui est au cœur de la théorie.

Exercice

Soit $\mathbb{S}^1$ le cercle unité dans $\mathbb{C} $. Montrer qu’à isomorphisme près les seuls revêtements connexes de $(\mathbb{S}^1,1)$ sont les suivants :

  • $z \in (\mathbb{S}^1,1) \to z^n \in (\mathbb{S}^1,1)$ pour $n \in \mathbb{N}^{\star}$,
  • $t \in (\mathbb{R}, 0) \to \exp(2 i \pi t) \in (\mathbb{S}^1,1)$.

Notez en particulier que ces revêtements ne sont pas isomorphes entre eux (pensez au cardinal des fibres).

Cet exercice deviendra un cas très particulier d’un théorème très général de classification des revêtements d’un espace quelconque $(B,b)$. Cependant, l’étudiant aurait tort de ne pas le résoudre tout de suite, même s’il ne dispose que de peu d’outils pour le faire. Par définition d’un revêtement, on peut recouvrir la base par des ouverts au dessus desquels le revêtement étudié est trivial. Si la base est un cercle, on peut donc trouver un nombre fini d’intervalles trivialisants qui recouvrent le cercle. En étudiant « à la main » comment les diverses piles d’assiettes se connectent au dessus de l’intersection des intervalles trivialisants, et en « tournant autour du cercle » l’exercice ne devrait pas être trop difficile même s’il laissera sans doute à l’étudiant le sentiment qu’il ne comprend pas tout ce qu’il fait ! La suite du cours le satisfera, on l’espère ! Avant de s’y jeter on pourra commencer par regarder le cours filmé ci-dessous qui commence par reprendre ce qui vient d’être dit ici.


[1On trouvera ici un autre exemple riche et détaillé.