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Cette page présente la transcription d’une section des Œuvres Complètes de Poincaré. Vous pouvez retrouver nos commentaires par ici.

§4. Cycles à une dimension

Le problème des cycles à une dimension a été entièrement résolu par M. Picard ; je n’aurai donc qu’à traduire avec nos notations le raisonnement de M. Picard.

Cherchons quelles sont les congruences entre les arêtes. Ainsi que nous l’avons vu au début du paragraphe II, nous pouvons toujours supposer qu’une pareille congruence ne contient pas d’arêtes de la catégorie $\alpha$. Notre congruence devra donc être de la forme

$$\tag{1} \sum \theta'_{k} \alpha_{i} \beta_{i} C'_k + \sum \theta''_{k} \beta_{i} B''_k \equiv 0. $$

Observons que

$$ \begin{array}{l} \sum \theta'_{k} \alpha_{i} \beta_{i} C'_k \equiv \sum \theta'_{k} \alpha_{i}C'_k + H,\\ \sum \theta''_{k} \beta_{i} B''_k \equiv H', \end{array}$$

$H$ et $H'$ étant un ensemble de sommets de la catégorie $\beta$. Il vient donc

$$ \sum \theta'_{k} \alpha_{i}C'_k + H + H' = 0,$$

et, comme les sommets $\alpha_i C'_k$ ne peuvent se réduire ni avec les sommets de la catégorie $\beta$, ni avec ceux de la catégorie $\alpha$ où l’indice de $\alpha$ serait différent de $i$, on doit avoir

$$\tag{2} \sum \theta'_{k} \alpha_{i}C'_k = 0, $$

la sommation étant étendue à tous les sommets $\alpha_i C'_k$, appartenant à un même indice $i$, mais aux divers indices $k$.

Que signifie cette identité (2) ? quand, $y$ venant en $A_i$ le polyèdre $P'_i$ dégénère, plusieurs sommets peuvent se confondre, mais aucun ne peut disparaître (tandis qu’il peut y avoir disparition d’arêtes ou de faces). La somme algébrique de tous les coefficients $\theta'_k$ relatifs aux divers sommets $\alpha_i C'_k$, qui se confondent en un seul, doit donc être nulle ; donc la somme de tous les $\theta'_k$ est nulle.

$$\tag{3} \sum \theta'_k = 0 $$

A cause de la relation (3), nous pouvons trouver sur le polyèdre $P'_i$ une combinaison d’arêtes $\sum \zeta'_k B'_k$ telle que

$$\tag{4} \sum \zeta'_k B'_k \equiv \sum \theta'_{k} C'_k. $$

On aura alors

$$\tag{5} \sum \zeta'_{k}\alpha_{i}\beta_{i}B'_{k} \equiv \sum \zeta'_{k}\alpha_{i}B'_{k} - \sum \zeta'_{k}\beta_{i}B'_{k} + \sum \theta'_{k} \alpha_{i}\beta_{i}C'_{k} . $$

D’ailleurs, lorsque $y$ vient en $A_i$ les arêtes et les sommets $B'_k$ et $C'_k$ du polyèdre $P'_i$ deviennent les arêtes et les sommets $\alpha_i B'_k$ et $\alpha_i C'_k$ ; nous avons donc la congruence

$$ \sum \zeta'_{k}\alpha_{i}B'_{k} \equiv \sum \theta'_{k} \alpha_{i}\beta_{i}C'_{k}$$

ou, à cause de (2),

$$ \qquad \qquad \sum \zeta'_{k}\alpha_{i}B'_{k} \equiv 0$$

Cette congruence signifie que la combinaison $\sum \zeta'_{k}\alpha_{i}B'_{k}$ forme un cycle fermé sur la surface de Riemann $S (A_i)$. Mais, quand, $y$ venant en $A_i$, la surface de Riemann dégénère, des cycles peuvent disparaître, mais il n’arrive jamais que des cycles nouveaux apparaissent. Donc, au cycle $\sum \zeta'_{k}\alpha_{i}B'_{k}$ correspondra sur la surface $S(M_i)$ au moins un cycle fermé $\sum \varepsilon'_{k}M_{i}B'_{k}$, se réduisant à $\sum \zeta'_{k}\alpha_{i}B'_{k}$ pour $M_i = \alpha_i$, de sorte que l’on ait

$$\tag{6} \sum \varepsilon'_{k}M_{i}B'_{k} \equiv 0, $$

$$ \sum \varepsilon'_{k}\alpha_{i}B'_{k} = \sum \zeta'_{k}\alpha_{i}B'_{k} .$$

Si alors nous remplaçons $\zeta'_k$ par $\zeta'_k - \varepsilon'_k$, la congruence (4) subsistera encore à cause de (6) ; la congruence (5) sera encore également vraie, et l’on aura

$$ \sum (\zeta'_{k} - \varepsilon'_k)\alpha_{i}B'_{k} = 0.$$

Nous pouvons donc toujours supposer que les $\zeta'_k$ aient été choisis de telle façon que

$$\tag{7} \sum \zeta'_{k}\alpha_{i}B'_{k} = 0 . $$

Si nous rapprochons la congruence (5) de l’identité (7) nous aurons l’homologie

$$\tag{8} \sum \theta'_{k} \alpha_{i}\beta_{i}C'_{k} \sim \sum \zeta'_{k}\beta_{i}B'_{k} $$

et, en ajoutant cette homologie à (1), il vient

$$ \sum \zeta'_{k}\beta_{i}B'_{k} + \sum \theta''_{k}\beta_{i}B''_{k} \equiv 0,$$

où ne figurent plus que des arêtes de la catégorie $\beta$.

Nous pouvons donc toujours supposer que notre congruence (1) ne contient que des arêtes de la catégorie $\beta$. C’est le théorème de Picard, d’après lequel un cycle à une dimension peut toujours être ramené dans une position telle que $y$ soit constant tout le long du cycle.

A chacun des cycles fermés de la surface $S_0$ correspond donc une congruence de la forme (1), mais toutes ces congruences ne sont pas distinctes. C’est ce qu’à montré M. Picard. Soient $\omega_1, \omega_2, \cdots, \omega_{2p}$ les $2p$ cycles de $S_0$, et supposons qu’une substitution $S_h$ du groupe de Picard change $\omega_i$ en

$$ m_{1}\omega_1 + m_{2}\omega_2 + \cdots + m_{2p}\omega_{2p},$$

on aura l’homologie

$$\tag{9} \omega_{i} \sim m_{1}\omega_1 + m_{2}\omega_2 + \cdots + m_{2p}\omega_{2p}. $$

Ces homologies réduisent le nombre des cycles à une dimension, et M. Picard a montré même que, pour une surface algébrique la plus générale, ce nombre se réduit à zéro. Appelons cycles subsistants ceux qui ne sont pas une combinaison linéaire de divers cycles évanouissants par rapport à divers points singuliers $A_i$. Ce sont ceux qui restent distincts quand on tient compte des homologies (9). Et, en effet, l’homologie (9) exprime que le cycle

$$ \omega_{i} - \sum m_{k}\omega_k$$

est évanouissant par rapport au point singulier qui correspond à la substitution $S_h$ du groupe de Picard.

Il y a donc autant de cycles à une dimension que de cycles subsistants. Nous avons vu, d’autre part, qu’il y a autant de cycles à trois dimensions que de cycles invariants.

Or, d’après le théorème fondamental sur les nombres de Betti, il doit y avoir autant de cycles à une dimension que de cycles à trois dimensions.

Il doit donc y avoir autant de cycles subsistants que de cycles invariants.

C’est ce que nous allons vérifier.

Cette vérification est aisée s’il n’y a pas de cycles évanouissants de la seconde sorte.

Rappelons, en effet, que le groupe de Picard est d’une forme particulière.

Soient $\omega_1, \omega_2, \cdots, \omega_{2p}$ les $2p$ cycles fondamentaux et envisageons la forme bilinéaire [1]

$$ \Phi = \omega'_2 \omega_1 - \omega'_1 \omega_2 + \omega'_4 \omega_3 - \omega'_3 \omega_4 + \cdots + \omega'_{2p} \omega_{2p-1} - \omega'_{2p-1} \omega_{2p}.$$

Pourvu que les cycles fondamentaux aient été convenablement choisis, si l’on fait subir aux $\omega$ l’une des substitutions linéaires du groupe de Picard, et que l’on fasse subir en même temps aux $\omega'$ cette même substitution linéaire, la forme $\Phi$ demeure inaltérée. D’autre part le nombre de cycles subsistants sera le même que celui des solutions distinctes du système $(A)$ d’équations linéaires obtenues en égalant chaque cycle fondamental à son transformé par chacune des substitutions de Picard.

Soit alors $\sum m_{i}\omega_i$ un cycle invariant ; comme l’expression $\sum m_{i}\omega_i$ peut-être assimilée à la forme linéaire $\Phi$, en faisant

$$ \omega'_2 = m_1, \quad \omega'_1 = -m_2, \quad \omega'_3 = m_4, \quad \omega'_4 = -m_3, \quad \cdots;$$

comme, d’autre part, $\sum m_{i}\omega_i$ se change en $\sum m_{i}\omega_i$ quand les $\omega$ subissent une des substitutions linéaires du groupe de Picard, nous devons conclure que le système de valeurs

$$ -m_2, \quad m_1, \quad -m_3, \quad m_4, \quad \cdots$$

est son propre transformé par cette substitution linéaire. C’est donc une solution du système $(A)$ dont nous venons de parler.

On voit, d’ailleurs, qu’à deux ou plusieurs cycles invariants linéairement indépendants correspondront ainsi deux ou plusieurs solutions du système $(A)$ linéairement indépendantes, et inversement.

Il y aura donc autant, de cycles subsistants que de cycles invariants.

C. Q. F. D.

Qu’arrivera-t-il, maintenant, s’il y a des cycles évanouissants de la seconde sorte ?

J’ai déjà dit que ce cas ne peut se présenter pour ces surfaces à singularités ordinaires auxquelles M. Picard a ramené toutes les autres (t. I, p. 85). II est vrai qu’il pourrait avoir lieu pour d’autres surfaces si l’on voulait les étudier sans leur faire subir préalablement la transformation de M. Picard ; mais ces surfaces présenteraient un point singulier d’une nature spéciale, et la variété $V$ à quatre dimensions engendrée par cette surface présenterait elle-même un point singulier.

Or, les théorèmes généraux qui nous occupent et que nous avons démontrés dans l’Analysis situs et ses compléments ne sont pas applicables aux variétés $V $ présentant des points singuliers ; ils cesseraient, en général, d’être vrais pour ces variétés, à moins que l’on ne fasse des conventions spéciales.

La question même de savoir si un cycle évanouissant de la seconde sorte doit être regardé comme homologue à zéro dépend encore des conventions également légitimes que l’on peut faire. Il est vrai qu’un pareil cycle sert de frontière complète à une variété à deux dimensions faisant partie de $V$ ; mais sur cette variété se trouve un point singulier de $V$.

Pour faire comprendre la difficulté qui en résulte, prenons un exemple beaucoup plus simple ; imaginons dans l’espace ordinaire une surface présentant un point conique, ou plus simplement encore un cône de révolution avec son prolongement. Soit $S$ le sommet du cône, $C$ une circonférence de ce cône. Dans un sens, la circonférence $C$ est la frontière complète d’une région de ce cône, celle qui est comprise entre la circonférence $C$ et le sommet S. Mais, d’un autre côté, une ligne tracée sur le cône pourra sortir de cette région sans traverser $C$ si, en passant par le sommet $S$, elle passe d’une nappe du cône à l’autre.

Dans ces conditions, il semblera préférable de laisser de côté ces cas singuliers et de se borner à ces surfaces à singularités ordinaires auxquelles toutes les autres peuvent être ramenées.


[1Point intempestif dans les Oeuvres}.