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Homologies cellulaire et singulière

On a introduit ici, pour les espaces cellulaires, une théorie homologique. Contrairement au cas des complexes simpliciaux, il n’y a pas de morphisme de complexes naturel entre le complexe des chaînes cellulaires $CW_\bullet (X)$ et le complexe des chaînes singulières $C_\bullet (X)$. On montre cependant dans cet article que l’homologie cellulaire est bien isomorphe à l’homologie singulière.

Retour sur l’application bord dans $CW_\bullet (X)$

Dans un lemme nous identifions $CW_i(X)$ à $H_i(X^{(i)}, X^{(i-1)})$. Nous précisons ici la démonstration de ce lemme pour réinterpréter l’application bord $\partial$ en terme de la suite exacte d’homologie d’un triplet d’espaces.

Théorème (Suite exacte longue d’un triplet)

Soient $A\subset B\subset C$ des espaces topologiques. Il existe pour tout $i$ dans $\mathbb{N}$ un morphisme naturel

$$\delta : H_i (C,B) \to H_{i-1} (B,A)$$

tels que la suite infinie

$$ \ldots \to H_i (B,A) \to H_i (C,A) \to H_i (C,B) \stackrel{\delta}{\to} H_{i-1} (B,A) \to \ldots \to H_0 (C,A) \to H_0 (C,B) \to 0 $$

soit exacte. Les flèches autres que $\delta$ sont simplement induites par les morphismes de paires associées. Un morphisme de triplets induit un morphisme entre suites exactes longues.

Par ailleurs la flèche $\delta : H_i (C,B) \to H_{i-1} (B,A)$ est égale à la composée

$$H_i(C,B) \to H_{i-1}(B) \to H_{i-1}(B,A)$$

où la première est celle de la suite exacte longue de la paire $(C,B)$ et la deuxième celle de la paire $(B,A)$.

Démonstration.

Le morphisme de paires $(C,A) \to (C,B)$ induit un morphisme canonique $C_\bullet(C,A) \to C_\bullet(C,B)$ qui est surjectif car $A\subset B$. Le noyau de ce morphisme de complexes est précisément le complexe $C_\bullet(B)/C_\bullet(A)=C_\bullet(B,A)$. La suite exacte longue est donc celle associée à la suite exacte courte de complexes

$$ C_\bullet(B,A)\hookrightarrow C_\bullet(C,A) \rightarrow C_\bullet(C,B) \to \{ 0 \}.$$

L’identification de la flèche $\delta$ découle de la construction du morphisme de bord dans le théorème général qui associe une suite exacte longue d’homologie à une suite exacte courte de complexes.

C.Q.F.D.

$$ $$

En particulier, le lemme évoqué ci-dessus identifie, pour tout $i\in \mathbb{N}$, le bord $\partial: CW_i(X) \to CW_{i-1}(X)$ avec le morphisme $\delta$ du théorème ci-dessus associé au triplet $(X^{(i)}, X^{(i-1)}, X^{(i-2)})$.

Homologie cellulaire vs homologie singulière

Théorème

Pour tout CW-complexe $X$ et tout entier naturel $n$, il existe un isomorphisme $H_n (CW_\bullet (X)) \cong H_n^{sing} (X)$. De plus, pour toute application cellulaire $f: Y\to X$, le diagramme suivant est commutatif.

$$\xymatrix{ H_n(CW_\bullet(Y)) \ar[r]^{\cong} \ar[d]_{f_*} & H_n^{sing}(Y) \ar[d]^{f_*} \\ H_n(CW_\bullet(X)) \ar[r]^{\cong} & H_n^{sing}(X) .}$$

Démonstration. D’après la remarque qui précède le théorème, $H_n(CW_\bullet(Y)) $ est le groupe abélien

$$\mathrm{ker}\Big( H_i(X^{(i)}, X^{(i-1)}) \stackrel{\delta}\to H_{i-1}(X^{(i-1)}, X^{(i-2)})\Big) / \mathrm{im}\Big( H_{i+1}(X^{(i+1)}, X^{(i)}) \stackrel{\delta}\to H_{i}(X^{(i)}, X^{(i-1)})\Big) $$

où les applications $\delta$ sont les morphismes de bord associés respectivement aux suites exactes des triplets $(X^{(i)}, X^{(i-1)}, X^{(i-2)})$ et $(X^{(i+1)}, X^{(i)}, X^{(i-1)})$.

On peut écrire trois suites exactes associées aux triplets

$$(X^{(i)}, X^{(i-1)}, X^{(i-2)}), \quad (X^{(i+1)}, X^{(i)}, X^{(i-1)})$$

et au triplet

$$(X^{(i+1)}, X^{(i)}, X^{(i-2)})$$

reliant les deux précédents. On obtient le diagramme suivant les entrelaçant :

$$\xymatrix{ && H_i(X^{(i+1)}, X^{(i-2)}) \ar[r]& H_i(X^{(i+1)}, X^{(i)}) \\ H_i(X^{(i-1)}, X^{(i-2)}) \ar[r] & H_i(X^{(i)}, X^{(i-2)}) \ar[r]^{\gamma} \ar[ru]^{\psi}& H_{i} (X^{(i)}, X^{(i-1)}) \ar[r]^{\delta} & H_{i-1}(X^{(i-1)}, X^{(i-2)}) \\ H_{i+1}(X^{(i+1)}, X^{(i)}) \ar[ru]^{\phi} \ar[rru]_{\delta} & & & } $$

D’après le théorème d’écrasement, on a $ H_i(X^{(i-1)}, X^{(i-2)})=0$. Il suit de l’exactitude des suites que $\mathrm{ker}(\delta)=\mathrm{im}(\gamma)\cong H_i(X^{(i)}, X^{(i-2)})$ et donc le groupe que l’on cherche vaut

$$\mathrm{ker}(\delta)/\mathrm{im}(\delta)\cong H_i(X^{(i)}, X^{(i-2)})/\mathrm{im}(\phi).$$

De même, de $ H_i(X^{(i+1)}, X^{(i)})=0$, on déduit que

$$H_i(X^{(i+1)}, X^{(i-2)}) \cong \mathrm{im}(\psi) \cong H_i(X^{(i)}, X^{(i-2)})/\mathrm{im}(\phi) \cong H_i(CW_\bullet(X)).$$

L’isomorphisme avec $H_i(X)$ découle maintenant du lemme suivant

Lemme

Soit $X$ un complexe cellulaire. Pour tout $i\geq 0$ et $k\geq 1$, les applications naturelles (de paires) induisent des isomorphismes

$$H_i(X) \stackrel{\cong}\longleftarrow H_i(X^{(i+k)}) \stackrel{\cong}\longrightarrow H_i(X^{(i+k)}, X^{(i-2)}) $$

en homologie.

Démonstration du lemme

Par la suite exacte longue de triplets, on a une suite exacte

$$0=H_i(X^{(i-2)}, X^{(i-3)}) \to H_i(X^{(i+k)}, X^{(i-2)}) \to H_i(X^{(i+k)}, X^{(i-3)}) \to H_{i-1}(X^{(i-2)}, X^{(i-3)})=0$$

de laquelle on déduit, en itérant, les isomorphismes

$$ H_i(X^{(i+k)}, X^{(i-2)}) \cong \cdots \cong H_i(X^{(i+k)}, X^{(0)}) \cong H_i(X^{(i+k)},\emptyset)=H_i(X^{(i+k)} )$$

donnés par les flèches naturelles.

De même, la flèche naturelle

$$H_i(X^{(i+k)})\to H_i(X^{(i+k+1)})$$

est un isomorphisme (pour tout $k\geq 1$). Il reste à montrer que la flèche naturelle

$$H_i(X^{(i+k)}) \to H_i(X)$$

est un isomorphisme. Soit

$$c=\sum \lambda_i \sigma_i \quad (\lambda_i\neq 0)$$

une chaîne singulière. La réunion des images des $\sigma_i$ est un compact de $X$. Il n’intersecte donc qu’un nombre fini de cellules ouvertes et par conséquent, il existe un entier $p$ tel que le support des images des $\sigma_i$ soit contenu dans $X^{(i+k+p)}$. Auquel cas, le bord de $c$ est constituté de chaînes dont les images sont aussi contenues dans $X^{(i+k+p)}$. Comme l’application

$$H_i(X^{(i+k)})\to H_i(X^{(i+k+p)})$$

est bijective (pour tout $p$), on en déduit que tout cycle singulier dans $X$ est homologue à un cycle dans $H_i(X^{(i+k)})$ et que l’inclusion

$$H_i(X^{(i+k)})\to H_i(X)$$

est injective.

C.Q.F.D.

$$ $$

Finalement, la commutativité du diagramme du théorème découle du fait qu’une application cellulaire induit des morphismes des triplets associés et du fait que les suites exactes considérées sont fonctorielles par rapport aux morphismes de paires et de triplets.

C.Q.F.D.