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Groupe fondamental d’un scindement de Heegaard

Très formellement, on peut définir un corps en anses comme une variété de dimension 3 compacte à bord orientable qui possède des disques de dimension $2$ proprement plongés, deux à deux disjoints, de sorte que le découpage de la variété le long de ces disques produise des pièces qui sont homéomorphes à des boules $\mathbb{B}^3$. Si l’on trouve — bien légitimement, à notre avis — que cette définition est trop formelle, on pourra retenir qu’un corps en anses de genre $g$ est le « solide qu’on obtient en remplissant une bouée à $g$ places » [1]. Et si l’on préfère la pause goûter aux jeux de plage, on retiendra qu’un corps en anses, c’est un bretzel ou une fougasse à $g$ trous !

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Deux corps en anses de genre 2 (à homotopie près) par Jeff Koons. Proviennent-t-ils du découpage d’une variété fermée le long d’une surface ?

Un scindement de Heegaard d’une variété de dimension 3 fermée orientable $M$ est une décomposition de $M$ en deux corps en anses $\Sigma_1$ et $\Sigma_2$ d’intérieurs disjoints. Cette décomposition résulte du découpage de $M$ le long d’une surface fermée plongée [2]. Cette surface, et les deux corps en anses $\Sigma_1$ et $\Sigma_2$, ont bien sûr le même genre $g$.

Les scindements de Heegaard sont un outil fondamental de la topologie des variétés de dimension 3. Toute variété fermée orientable de dimension 3 en admet un. On trouvera une preuve de ce fait important dans l’article "Décomposition en anses, diagrammes de Heegaard". Nous nous intéressons ici aux liens entre les scindements de Heegaard et le groupe fondamental.

Un scindement de Heegaard d’une variété $M$ consiste à découper $M$ le long d’une surface fermée orientable plongée $S$, de manière à obtenir deux morceaux $\Sigma_1,\Sigma_2$ qui seront tous deux des corps en anses (évidemment de même genre que $S$). On peut alors reconstruire $M$ en recollant $\Sigma_1$ à $\Sigma_2$ à l’aide d’un homéomorphisme $\varphi$ entre leurs bords $\partial\Sigma_1$ et $\partial\Sigma_2$. Le groupe fondamental de chacune des pièces $\Sigma_i$ est un groupe libre $\mathbb{L}_g$ de rang $g$. L’homorphisme naturel du groupe fondamental de $\partial\Sigma_i$ dans celui de $\Sigma_i$ (avec le point base $z$ choisi dans $\partial \Sigma_i$)

$$\varphi*:\pi_1(\partial\Sigma_i,z)\to\pi_1(\Sigma_i,z)$$

est surjectif. Son noyau est le sous-groupe normal engendré par les courbes de compression : ce sont des courbes fermées simples sur la surface $\partial\Sigma_i$, qui ne sont pas homotopiquement triviales dans $\partial\Sigma_i$, mais qui bordent des disques dans $\Sigma_i$. Il est facile de voir qu’on peut trouver un système de $g$ courbes de compressions (une par place de baigneur dans la bouée !) qui engendrent le noyau.

Dans l’Analysis Situs, Poincaré décrit le groupe fondamental de la variété $M$ comme le quotient du groupe fondamental $\pi_1(\partial \Sigma_1,z)\simeq \pi_1(\partial \Sigma_2,z)$ par le sous-groupe normal engendré par les courbes de compression de $\Sigma_1$ et de $\Sigma_2$.

Dans le cours filmé ci-dessous, on explique comment le théorème de van Kampen permet d’obtenir cette description. On étudie ensuite plus en détail le cas particulier des espaces lenticulaires. Ce sont les variétés de dimension 3 qui admettent un scindement de Heegaard de genre $1$. Autrement dit, ce sont les variétés obtenues en recollant deux tores pleins le long de leurs bords.


[1Attention, remplir une bouée de béton pour obtenir un solide nuit gravement à la flottabilité de celle-ci. Cette pratique est déconseillée à nos plus jeunes lecteurs.

[2Attention, cette surface est très particulière : si on choisit « au hasard » une surface $S$ fermée plongée dans $M$, il n’y a aucune raison pour que $S$ sépare $M$ en deux composantes connexes, et surtout pour que les adhérences de ces composantes connexes soit des corps en anses.