Rien de bien difficile dans cet article, et Poincaré ne s’attarde d’ailleurs pas beaucoup sur ces détails. On y définit les lacets, leurs homotopies, leurs concaténations, et enfin le groupe fondamental, comme le groupe des classes d’homotopie de lacets. Il existe beaucoup de variantes de cette définition. Par exemple, dans cet article, la composition des lacets n’est pas associative, et elle ne le devient qu’à homotopie près. Certains n’apprécient pas ce défaut et préfèrent un autre modèle dans lequel l’associativité est directe. Peu importe ! L’un des défauts de cette définition est qu’elle semble indiquer que le groupe fondamental est bien plus gros qu’il n’est en réalité. Une illustration de cela est que le groupe fondamental d’une variété compacte est un groupe de présentation finie, et donc dénombrable, ce qui n’apparaît pas clairement dans la définition.
Une homotopie entre $(\alpha\star \beta)\star \gamma$ et $\alpha\star (\beta\star \gamma)$ est une application de $[0,1] \times \Omega(X)^3 \to \Omega(X)$ et on peut généraliser cela en construisant des applications $K_n \times \Omega(X)^n \to \Omega(X)$ où $K_n$ est le $n$-squelette d’un certain polyèdre, appelé le polyèdre de Stasheff. C’est le début de la théorie des opérades, mais c’est une autre histoire.
L’oncle Henri Paul suggère au lecteur de penser à quelques exemples concrets. Quel est le groupe fondamental des boucles d’oreilles hawaïennes ? Un lacet peut-il tourner autour d’une infinité de boucles ? Ou bien, considérez l’adhérence du graphe de la fonction $f(x) = \sin (1/\sin(x))$ et quotientez-la par la translation $x\mapsto x+ 2 \pi$. Quel est le groupe fondamental de ce quotient ?
Quel est le groupe fondamental de ${\mathbb R}^2 \setminus {\mathbb Q}^2$ ?
Henri Paul a un mauvais souvenir du cours de topologie algébrique qu’il a suivi naguère dans le cadre d’un cours de DEA (analogue du M2 d’aujourd’hui). Le cours parlait des ensembles semi-simpliciaux, bien sûr sans aucun dessin et sans la moindre intuition. On définit d’abord la petite catégorie dont les objets sont les entiers naturels et dont les flèches de $n$ vers $p$ sont les applications croissantes au sens large entre $\{0, 1, …, n\}$ et $\{0, 1, …, p\}$. Un ensemble semi-simplicial est alors un foncteur contravariant de cette petite catégorie vers la catégorie des ensembles. Voilà une définition incompréhensible. Henri Paul a dû subir le supplice 😫 de la définition du groupe fondamental d’un ensemble semi-simplicial en termes de lacets… semi-simpliciaux ! Comme quoi les étudiants d’aujourd’hui ont de la chance de disposer des œuvres de Henri Paul de Saint Gervais. 😉
Un jour, à Bâle, Henri Paul était parti faire les courses au marché avec Norbert A’Campo. Il y avait beaucoup de monde, ça grouillait dans tous les sens. Norbert dit alors à Henri Paul : « tu vois, le groupe des tresses, c’est le groupe fondamental de l’espace des $n$-uplets de points distincts dans le plan, ce sont les $n$-personnes qui partent de chez elles, qui vont faire le marché, et qui reviennent chez elles ». Plus clair que les ensembles semi-simpliciaux.