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Qu’est-ce que la topologie algébrique ?

Le seigneur de La Palice le confirmera : la topologie algébrique étudie la topologie avec des outils algébriques.

La topologie étudie des espaces… topologiques !

Typiquement, il s’agit de parties $X$ d’un espace euclidien ${\mathbb R}^n$. Deux espaces $X_1$ et $X_2$ sont considérés comme équivalents par les topologues s’ils sont homéomorphes, c’est-à-dire s’il existe une bijection $f: X_1 \to X_2$ qui est continue ainsi que son inverse.

Par exemple, un cercle, une ellipse et un carré dans le plan sont homéomorphes. De la même manière, une sphère cabossée est homéomorphe à une « vraie sphère ronde ». En revanche, le chiffre 8 n’est pas homéomorphe au chiffre 0. Combien de lettres de l’alphabet (disons en majuscule) y a-t-il à homéomorphisme près ? Ainsi, on ne se préoccupe pas de la géométrie des espaces, mais simplement de leur « forme globale ».

Les objets que nous manipulerons ne semblent pas très compliqués a priori. Le plus souvent on cherche à comprendre des variétés.

Une variété de dimension $k$ est un espace topologique $X$ tel que tout point possède un voisinage homéomorphe à un ouvert de ${\mathbb R}^k$. On parle de courbe si $k=1$ et de surfaces si $k=2$. Lorsque Poincaré a fondé la topologie algébrique, les courbes et les surfaces étaient à peu près comprises. C’est pour cette raison qu’il s’est d’abord concentré sur l’étude des variétés de dimension 3, mais la topologie ne se limite pas, bien entendu, à ce cas particulier, même s’il est très riche.

L’algèbre étudie des structures... algébriques !

Il s’agit par exemple de groupes, d’espaces vectoriels, d’anneaux etc.

Analysis Situs

La topologie algébrique, anciennement appelée Analysis Situs, cherche à attacher à chaque espace topologique $X$ un objet (ou des objets) de nature algébrique $H(X)$ qui décrit partiellement la « forme globale » de $X$. Il faut que cette construction soit naturelle dans le sens suivant.

À chaque application continue $f:X_1 \to X_2$ correspond un homomorphisme $f_{\star} : H(X_1) \to H(X_2)$ compatible avec les opérations de composition : $(f \circ g)_{\star} = f_{\star} \circ g_{\star}$. On demande également que $(id_X)_{\star}= id_{H(X)}$, d’où il résulte en particulier que deux espaces $X_1,X_2$ homéomorphes ont des objets algébriques associés $H(X_1), H(X_2)$ isomorphes. On pense en général qu’il est plus facile de savoir si deux objets algébriques sont isomorphes que de savoir si deux espaces topologiques sont homéomorphes. Pour cette raison, dans de nombreuses situations, l’algèbre est « au service » de la topologie.

Dans ce site, nous porterons une grande attention à un exemple important d’une telle construction $H(X)$ : il s’agit des groupes (abéliens) d’homologie. Cette introduction n’est pas le lieu de donner une définition (qui, nous le verrons, n’est pas si facile). Contentons-nous d’un exemple. Si $X$ est un tore de dimension 2, alors $H_1(X)$ sera le groupe abélien ${\mathbb Z}^2$. Pourquoi ce 2 ? Simplement parce qu’on peut découper le tore le long d’un méridien et d’un parallèle, sans déconnecter le tore en plusieurs morceaux. Si $X$ est une sphère de dimension 2, $H_1(X)=0$, « parce que » toute courbe fermée simple tracée sur la sphère la découpe en deux morceaux. Tout cela demande bien sûr des explications, qui seront données dans ce site.

Parfois cet outil algébrique est trop faible et ne permet pas de retrouver la topologie, mais parfois il est très puissant. Pour ne donner qu’un seul exemple, historiquement important, Poincaré associe un groupe, appelé groupe fondamental et noté $\pi_1(X)$, à tout espace topologique connexe par arcs. Dans son dernier mémoire, consacré aux variétés de dimension 3, il formule la fameuse « conjecture de Poincaré » dont il dit qu’« elle l’entraînerait trop loin ». Il avait raison puisqu’elle ne fut démontrée qu’un siècle plus tard par Perelman. Voici cette conjecture, maintenant théorème, qui illustre le fonctionnement de la topologie algébrique :


« Une variété compacte de dimension 3 dont le groupe fondamental est trivial est homéomorphe à la sphère de dimension 3. »

Nous verrons d’autres exemples de cette nature où le passage de l’algèbre vers la topologie fonctionne parfaitement.

Pourquoi « Analysis Situs » ?

Il s’agit de l’ancien nom donné à la topologie algébrique, choisi par Poincaré comme titre de son mémoire principal, datant de 1895. Contentons-nous de quelques indications succinctes sur l’origine de ce nom latin.

Au moins deux innovations majeures en mathématiques ont marqué la fin 16ème siècle et le début du 17ème. D’une part, Viète invente en quelque sorte l’algèbre, en utilisant des lettres, comme $x,y, ...$ pour représenter des nombres variables. Il appelle ce nouveau domaine « l’Analyse spécieuse ». D’autre part, Descartes invente les coordonnées qui portent son nom. Un point est décrit par deux nombres $(x,y)$ et une courbe s’identifie à son équation : c’est le début de la géométrie algébrique. Vers 1670, Leibniz est profondément marqué par ces deux changements de points de vue, unifiant des parties différentes des mathématiques. Il rêve de faire la même chose avec des « formes » sans donner vraiment de sens à ce mot, mais que nous pourrions comprendre aujourd’hui comme « un espace topologique à homéomorphisme près ». Leibniz ne parviendra pas à grand-chose dans ce sujet mais il baptisera « Analysis Situs » cette nouvelle science. C’est Poincaré qui réalisera le rêve de Leibniz (même si, bien sûr, un certain nombre d’autres mathématiciens ont préparé le terrain avant Poincaré : Euler, Gauss, Cauchy, Riemann, Möbius, Listing, Betti, etc.).

Êtes-vous curieux de savoir comment Poincaré présentait en termes simples l’importance de la recherche dans cette nouvelle science ? Alors lisez :