Les bons conseils

Le 11 février 1926, Emile Picard est reçu à l’Académie française. Le voici en habit vert :

Comme le veut la tradition, un immortel doit lui souhaiter la bienvenue au club. C’est le romancier Marcel Prévost qui est chargé de ce discours. Comment allait-il expliquer le théorème de Picard selon lequel le premier groupe d’homologie d’une hypersurface générique dans $P^3$ est nul ?

Extrait du (long) discours :


Semblable infortune advint naguère à ce grand géomètre (vous déplorez quelque part qu’il ne soit pas assez célèbre) Cauchy. Cauchy enseignait à Prague, vers 1833, les mathématiques au duc de Bordeaux. Son élève, par ailleurs d’esprit vif et appliqué, ne parvenait pas à comprendre ce simple théorème que toute section plane d’un cône est une ellipse...

[…]

Et Cauchy s’épuisait vainement en arguments géométriques. A la fin, prenant un parti extrême, il arrêta net ses raisonnements et, les yeux dans les yeux, demanda à son élève

« — Monseigneur, vous me savez honnête homme, et incapable de tromper ?

— Comment donc ! se récria le duc.

— Eh bien, Monseigneur, dans les conditions indiquées, la section plane d’un cône est une ellipse, je vous en donne ma parole d’honneur.

— Pas un mot de plus, Monsieur, répliqua vivement l’élève... Pas un mot de plus, vous me désobligeriez. La section est une ellipse ; voilà une affaire réglée... »

L’enfant royal avait raison ; car l’argument qui le convainquait ne diffère pas de celui qui nous empêche de douter, par exemple, « qu’une surface algébrique n’ait pas, en général, d’intégrale de différentielle totale de première espèce ». Vous nous l’avez dit, cela suffit à assurer notre conviction et nous vous répondons, comme le jeune disciple de Cauchy : « Voilà une affaire réglée. »

Espérons que les lecteurs de ce site n’accepteront pas ce genre d’arguments d’autorité. Il est préférable de se souvenir de la réponse d’Euclide au roi Ptolémée 1er qui trouvait la géométrie trop difficile et demandait s’il n’y avait pas une manière facile de l’aborder : « Sire, il n’y a pas de voie royale vers la géométrie »